Analyse linéaire de la naissance de Gargantua au chapitre 6

Analyse linéaire de la naissance de Gargantua au chapitre 6

Introduction

Ce passage est extrait du chapitre 6 de Gargantua de Rabelais, publié en 1534. Ce roman humaniste raconte l’histoire burlesque de la naissance et de l’éducation de Gargantua, géant fils de Grandgousier et Gargamelle. Dans ce chapitre, intitulé Comment Gargantua naquit d’estrange façon, Rabelais mêle une naissance grotesque, un style savant, et une critique implicite de la religion. L’enfant naît en sortant par l’oreille de sa mère, dans une ambiance festive et scatologique. Sous son apparente légèreté, ce passage révèle l’érudition de l’auteur, sa volonté parodique, et son regard critique sur la foi et la crédulité.

Problématique : En quoi cette naissance burlesque permet-elle à Rabelais d’exprimer une réflexion sur la religion et la pensée ?


Mouvement 1 (lignes 1 à 6) : Une naissance burlesque et extraordinaire

  • Rabelais commence par une description anatomique très précise de la naissance de Gargantua : « matrice », « veine cave », « diaphragme »… Ce vocabulaire technique témoigne de la formation médicale de l’auteur, mais le décalage avec l’invraisemblance de l’accouchement crée un effet comique et absurde.

  • Le nouveau-né, au lieu de naître normalement, prend un autre chemin pour sortir du corps de sa mère : il monte vers l’oreille, ce qui donne une vision grotesque et inversée de la naissance, et rappelle les festivités carnavalesques.

  • Cette scène pastiche aussi les récits épiques et religieux : Gargantua « choisit son chemin », comme un héros libre, conscient, actif. Cela évoque l’Annonciation biblique : l’ange Gabriel parlant à l’oreille de Marie.

  • Le fait que Gargantua parle dès sa naissance est une autre marque de son caractère exceptionnel : son cri « À boire » répété trois fois renvoie à la soif de nourriture, mais aussi à une possible soif de savoir, typique de l’idéal humaniste.
    C’est aussi une parodie du Christ, dont les derniers mots sur la croix sont « J’ai soif » dans l’Évangile selon Jean.


Mouvement 2 (lignes 7 à 14) : Une fausse apologie de la crédulité

  • Rabelais intervient directement dans le récit avec des questions rhétoriques adressées au lecteur : « Diriez-vous qu’il ne l’ait pu faire ? ». Ce faux dialogue sert à moquer la crédulité religieuse et les dogmes imposés par l’Église.

  • Il répète le verbe « croire » trois fois, dans une logique absurde : celui qui croit est celui qui ne pense pas. Il inverse la définition du bon sens : est « sage » celui qui croit tout sans réfléchir → ironie évidente.

  • Il utilise aussi des arguments d’autorité issus de la tradition chrétienne : « contre notre foi, contre notre loi, contre la Sainte Écriture » : ce rythme ternaire imite les sermons religieux… pour mieux en souligner le ridicule.

  • L’impératif familier « ne triturez pas vos pensées » est une invitation sarcastique à cesser de réfléchir : il incite le lecteur à se méfier des vérités toutes faites, ce qui est au cœur de la pensée humaniste.


Mouvement 3 (lignes 15 à la fin) : Une démonstration ironique et érudite

  • Rabelais enchaîne des exemples absurdes et hétéroclites : Bacchus, Minerve, Castor, Roquetaille, Pline… Il mélange mythologie, folklore et références antiques, tout en maintenant un ton sérieux, ce qui accentue l’ironie.

  • L’accumulation d’exemples invraisemblables vise à dénoncer la crédulité : si l’on accepte sans réfléchir ces mythes ou légendes, pourquoi pas la naissance absurde de Gargantua ?

  • Il va jusqu’à se moquer de lui-même, en se traitant de menteur comme Pline : « pas un menteur aussi assuré qu’il a été » → autodérision qui renforce la distance critique du narrateur.

  • Le passage se termine sur une formule familière et brutale : « ne m’en triturez plus l’entendement » : retour à la légèreté comique, mais surtout appel à la liberté de pensée. Et paradoxalement, il donne une référence savante précise : « livre VII, chapitre 9 », ce qui montre que l’érudition est toujours à disposition de celui qui veut chercher.


Conclusion

 

À travers ce récit de naissance carnavalesque et absurde, Rabelais fait bien plus que divertir : il propose une critique implicite de la religion, notamment de la foi aveugle, et valorise l’esprit critique. Il fait appel à la culture, à l’érudition, mais aussi au jugement personnel du lecteur, dans la tradition humaniste de la Renaissance. La naissance de Gargantua devient ainsi une allégorie de la naissance de l’esprit libre, capable de rire, de penser, et de douter.

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