Analyse linéaire de la dispute avec Eudémon dans Gargantua de Rabelais

Analyse linéaire de la dispute avec Eudémon dans Gargantua de Rabelais

Introduction

Ce passage est extrait du roman Gargantua, publié par Rabelais en 1534. Rabelais y raconte la vie d’un géant, Gargantua, de sa naissance à son éducation. Il s’agit d’un roman humaniste, qui mêle comique, érudition et réflexion sérieuse sur l’éducation, sujet central de la Renaissance. Ici, Rabelais décrit la rencontre entre Gargantua, encore mal éduqué par un précepteur sophiste, et Eudémon, un jeune garçon formé selon les principes humanistes.

Problématique : En quoi Eudémon apparaît-il comme un modèle éducatif, et comment cette rencontre marque-t-elle un tournant dans la formation de Gargantua ?


Mouvement 1 (lignes 1 à 11) : L’éloge de Gargantua par Eudémon

  • Le nom Eudémon signifie en grec « bon esprit » ou « heureux génie », et fait déjà de lui un signe de bon augure. En astrologie, ce mot désigne aussi une maison céleste associée à la réussite : Rabelais en fait donc un présage favorable pour Gargantua.

  • Son portrait physique est très valorisant : les adjectifs « bien droit », « avenant », « vermeille », « assurés », « juvénile » montrent qu’il est à la fois élégant, en bonne santé, maîtrisé dans ses gestes. Rabelais, médecin de formation, insiste ici sur le lien entre santé du corps et santé de l’esprit, fondement de l’éducation humaniste, à l’opposé de l’ascétisme des clercs.

  • Son comportement est tout aussi exemplaire : « modestie », « douceur », « vénération » : Eudémon incarne l’honnête homme, poli, respectueux, humble. L’oxymore « exhortait doucement » montre qu’il sait faire preuve d’autorité sans violence.

  • Enfin, son discours est un modèle de rhétorique humaniste : même si l’auteur ne le cite pas, il souligne que son propos est parfaitement structuré en cinq parties, comme le voulaient les orateurs antiques comme Cicéron. Les connecteurs « d’abord, puis, troisièmement… » en témoignent. L’énumération méliorative et la répétition de « si » (« si bien éloquente », etc.) montrent la clarté, la précision et l’aisance de son élocution.

  • Les exemples d’autorité cités — « Gracchus, Cicéron, Emilius » — soulignent que son éducation s’inscrit dans une tradition savante et humaniste.

👉 Eudémon est donc l’image idéale du jeune homme bien éduqué selon les principes de la Renaissance : équilibre du corps et de l’esprit, maîtrise de soi, et culture solide.


Mouvement 2 (lignes 12 à 20) : L’éloge d’Eudémon par contraste

  • La réaction de Gargantua est immédiate : il est incapable de parler, il pleure. La comparaison avec des animaux ridicules ou méprisés (« comme une vache », « un âne mort ») souligne son gêne, sa honte, son inculture.

  • L’opposition entre les deux jeunes garçons passe aussi par le rapport à leur bonnet : Eudémon le tient avec respect, tandis que Gargantua se le met sur le visage pour se cacher, image comique et humiliante.

  • Grandgousier, le père, comprend que l’éducation donnée jusque-là est un échec. Il entre dans une colère exagérée, comique et caricaturale : il veut tuer Maître Jobelin, le précepteur sophiste, puis se ravise.

  • La tirade au subjonctif : « qu’on lui paie ses gages », « qu’on le fasse bien chopiner en sophiste », « qu’il parte à tous les diables » est une satire violente et drôle du monde des sophistes : on les paie, on les gave de vin, puis on les renvoie.

  • L’entrée du discours direct (« au moins en ce vin-là... ») donne plus de vivacité et de théâtralité au texte et reflète l’indignation de Grandgousier, personnage souvent porteur de la sagesse chez Rabelais.

👉 Ce mouvement illustre par l’échec de Gargantua et la colère de son père, la nécessité de rompre avec l’éducation médiévale des sophistes, fondée sur l’accumulation stérile de savoirs, au profit d’une formation humaniste incarnée par Eudémon.


Mouvement 3 (lignes 21 à la fin) : Vers une nouvelle éducation

  • L’éviction de Maître Jobelin est rapide : « une fois parti » : ellipse temporelle qui montre qu’il n’a plus aucun rôle. Grandgousier agit avec humilité et bon sens, en demandant conseil au vice-roi, montrant ainsi que la bonne éducation ne se décide pas seul mais en concertation.

  • Le choix se porte sur Ponocrates, dont le nom signifie « travailleur acharné », un nom symbolique. Il représente l’effort, la discipline et la pédagogie active.

  • Ce moment marque donc un tournant essentiel dans l’histoire de Gargantua : l’éducation sophistique a échoué, Eudémon en démontre les limites, et Ponocrates va incarner le renouveau éducatif fondé sur les idées humanistes : curiosité, exercice du jugement, harmonie du corps et de l’esprit.


Conclusion

 

Dans cet extrait, Rabelais oppose de façon très claire deux modèles éducatifs : l’un humaniste et exemplaire, incarné par Eudémon, et l’autre caricatural et dépassé, représenté par l’éducation sophiste de Gargantua. Par le comique et la parodie, Rabelais dénonce les limites de l’enseignement médiéval et défend une éducation tournée vers la connaissance vivante, critique et joyeuse, fidèle aux idéaux humanistes.

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