Analyse de L'horloge de Baudelaire

Analyse de L'horloge de Baudelaire

Poème

LXXXV - L'Horloge

 

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible1,

Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !

Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi

Se planteront bientôt comme dans une cible ;

 

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon

Ainsi qu'une sylphide2 au fond de la coulisse ;

Chaque instant te dévore un morceau du délice

A chaque homme accordé pour toute sa saison.

 

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde

Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix

D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,

Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

 

Remember ! Souviens-toi, prodigue3 ! Esto memor4 !

(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)

Les minutes, mortel folâtre5, sont des gangues6

Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

 

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide7

Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.

Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !

Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

 

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,

Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,

Où le Repentir8 même (oh ! la dernière auberge !),

Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

 

     Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal

 

1 impassible : ne montrant aucune émotion

2 sylphide : esprit de l'air qui vole grâce à des ailes (mythologies gauloise, celte et germanique)

3 prodigue : qui dépense sans limite

4 remember, Esto memor : souviens-toi en anglais et latin

5 folâtre : qui ne pense qu'à jouer

6 gangue : matière sans valeur qui entoure une pierre précieuse ou un minerai

7 avide : qui désire quelque chose avec impatience

8 repentir : regret pour une faute commise, et désir de réparer cette faute

Commentaire composé

Comment ce poème représente-t-il la condition humaine à travers une représentation dramatique du temps ?

 

I/ Une représentation dramatique du temps

1/ La présence obsessionnelle de la fuite du temps

“Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi! Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi Se planteront bientôt comme dans une cible;” : “Souviens-toi” donne l’impression que l’horloge parle au poète alors que c’est sa conscience qui ressasse en permanence “souviens-toi que tu vas mourir”. La fuite du temps devient une obsession pour le poète qui est terrifié à l’idée de la mort : “Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote: Souviens-toi! -” 

“Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor!” : il y a une énumération du terme.“Souviens-toi” est répété en plusieurs langues différentes, on voit que le poète est littéralement obsédé par la fuite du temps. 

 

2/ L'accélération du temps

“Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;” : l’accélération du temps est mise en valeur par l’enjambement. Le poète ne voit pas la possibilité d’être heureux dans le futur.

“Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi! Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.”: il y’a une accélération du temps qui temps n’est jamais rassasié, à l’image du sablier que l’on ne peut arrêter. La part de la mort (“la nuit”) augmente par rapport à la vie (“le jour décroît”).

L’heure de la mort se rapproche : “Tantôt sonnera l'heure”.

 

II/ La portée philosophique du poème

1/ Le combat entre l'homme et le temps

L’alternance entre les rimes féminines et les rimes masculines en position “a” dans les rimes embrassées “abba” miment le combat entre l’homme et le temps.

“Chaque instant te dévore un morceau du délice A chaque homme accordé pour toute sa saison.” : Le temps se métamorphose en monstre avec le verbe dévorer, ce qui ne fait que renforcer la peur qu’il inspire. 

 

2/ La toute-puissance du Temps

“Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace” : l’horloge est personnifiée et décrite comme un dieu ; de plus le champ lexical de la peur est employé pour renforcer l’image de la toute-puissance de l’horloge.

“Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois, Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!” : “Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde” montre que le temps représenté maintenant comme un démon prend la vie des hommes car le poète entend une voix dans sa tête. Le poète est atteint de glossolalie ce qui est l’un des signes de la possession démoniaque :”(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)”.

“Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.” : Le temps gagne toujours, comme si c’était une loi qu’on ne peut transgresser. Le temps est donc imbattable, et le combat est perdu d’avance.

 

3/ Une allégorie de la condition humaine

Les rimes embrassées miment la pression que le temps exerce sur les hommes et représentent l’homme pris dans un étau puisque le temps va se resserrer sur lui jusqu’à le broyer.

“Chaque instant te dévore un morceau du délice A chaque homme accordé pour toute sa saison.” : Les hommes ont une durée de vie limitée tandis que le temps lui est éternel. 

“Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!” : Il reproche aux hommes de gaspiller leur temps à faire des choses inutiles au lieu de faire des choses concrètes qui sont beaucoup plus importantes. Il les invite donc à réfléchir sur leur condition d’êtres mortels dont le temps est compté.

Le repentir ne sauvera personne : “Tantôt sonnera l'heure [...] Où le Repentir même [...]te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!”


Écrire commentaire

Commentaires: 0