Analyse de La servante au grand coeur de Baudelaire

Analyse de La servante au grand coeur de Baudelaire

Poème

La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,

Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,

Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.

Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,

Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,

Son vent mélancolique à l’entour de leurs marbres,

Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,

A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,

Tandis que, dévorés de noires songeries,

Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,

Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,

Ils sentent s’égoutter les neiges de l’hiver

Et le siècle couler, sans qu’amis ni famille

Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

 

Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,

Calme, dans le fauteuil, je la voyais s’asseoir,

Si, par une nuit bleue et froide de décembre,

Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,

Grave, et venant du fond de son lit éternel

Couver l’enfant grandi de son oeil maternel,

Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,

Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?

 

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

Commentaire composé

Comment Baudelaire, dans ce poème, nous décrit l’affection qu’il éprouve envers sa nourrice, à travers sa fascination pour la mort ?

 

I) L’éloge de la servante

“La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,” : Baudelaire montre que sa nourrice avait plus d’affection pour lui que sa propre mère, ce qui est souligné par le groupe nominal “au grand coeur”. 

“Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.” : Baudelaire s’adresse à sa mère et la reproche d’oublier sa nourrice, dont Baudelaire aimait beaucoup, puisqu’il souhaite l’honorer avec des fleurs.

“Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,” : L’arbre représente Baudelaire qui trouve du pessimisme dans le monde vivant, dont sa mère. En effet, pour lui, il pense que sa mère devrait honorer la femme qui a élevé son fils.

“A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,” : Le poète continue à plaindre les morts en les associant à la souffrance, et en les comparant aux humains qui vivent paisiblement. Cela est un autre reproche qu’il a envers sa mère, qui n’a pas de compassion pour la servante décédée.

“Lorsque la bûche siffle et chante,” : Baudelaire nous dresse un décor rassurant de la place près de la cheminée. Cela crée un contraste entre les vivants et les morts, et le poète dit que sa mère ne mérite pas le confort qu’elle possède.

“si le soir,/ Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir” : Il espère voir l’esprit de sa nourrice lui rendre visite. Le mot “calme” est ambigu car on ne sait pas qui est calme : est-ce le soir, est-ce Baudelaire, est-ce la servante ? 

“Si, par une nuit bleue et froide de décembre,/ Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,/ Grave, et venant du fond de son lit éternel/ Couver l'enfant grandi de son œil maternel,” : Baudelaire émet des hypothèses sur l’apparition de sa nourrice qu’il a perdue, avec la préposition “si”. Le poète reproche à sa mère de ne pas avoir éprouvé autant d’amour envers lui contrairement à sa nourrice dont le seul souvenir lui apporte davantage de réconfort que la conversation épistolaire qu’il mène avec sa mère.

“Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,” : L’âme représente la servante qui n’existe que dans le monde spirituel, et précise qu’elle avait des qualités morales, qui n’étaient apparemment pas présentes chez sa mère.

 

II) L’omniprésence de la mort

“Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,” : Le lecteur comprend que la servante est morte. On a alors la présence du champ lexical de la mort “sommeil”, “humble pelouse”. Ce dernier groupe nominal montre qu’elle a eu un enterrement pauvre.

“Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.” : L’évocation des fleurs renforce la mort de la nourrice, puisque déposer des fleurs sur des tombes est un acte qui montre qu’on ressent de l’affection pour les morts.

“Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,” : Le pathétique est présent puisque le poète parle des morts comme s’ils étaient vivants.

“Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres,” : La présence de l’automne, saison où les arbres sont considérés comme mourants à cause de la perte de leurs feuilles, ce qui crée un autre parallèle avec la mort en l’associant à une saison.

“Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,” : Le vent est personnifié car il est qualifié de “mélancolique”, ce qui est similaire à Baudelaire. On a ainsi une description romantique, car le poète présente ses émotions à travers la nature.

“Tandis que, dévorés de noires songeries,” : Les morts se trouvent dans un sommeil éternel mais ne rêvent pas. C’est pourquoi Baudelaire utilise “noires songeries” pour qualifier ce phénomène, avec “noires” représentant le vide. Baudelaire se range du côté de la servante donc du côté des morts. Il est lui-même mort dans son coeur.

“Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,” : Le mort sont seuls dans leurs cercueils, sans bouger, sans parler. Ils sont donc solitaires, et n’ont plus à qui discuter.

“Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,” : Le corps mort se décompose à cause des vers jusqu’à ce qu’il n’en reste que des squelettes. Baudelaire fait ici preuve de beaucoup de réalisme dans sa description de la mort et de la putréfaction du corps.

“Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver/ Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille/ Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.” : L’enjambement représente les siècles qui s’écoulent, accentuant ces longueurs interminables ainsi que la solitude des morts. Ici nous avons un paysage état d’âme, c’est très romantique. Baudelaire parle de lui-même, de ce qu’il ressent.

“Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?” : Le champ lexical de la mort est présent de nouveau avec l’image du squelette qui pleure. La servante pleure-t-elle parce qu’on l’a oubliée ou parce que Baudelaire lui manque ?


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