Montesquieu, Les lettres persanes, analyse de la lettre 30

Montesquieu, Les lettres persanes, analyse de la lettre 30

Lecture analytique

CONTEXTE : La seconde moitié du XVIIème siècle voit l’émergence en Europe d’un nouveau courant d’idée portés par des philosophes, c’est

le mouvement des Lumières. Ce mouvement littéraire, philosophique et intellectuel prône le culte de la raison et les découvertes scientifiques ainsi que l‘avancée technologique. Par opposition au Classicisme, ce mouvement souhaite apporter à chacun une nouvelle vision des choses éclairées par la raison. Les philosophes des Lumières rejettent dans ce but toutes sortes de croyances. Le philosophe Montesquieu, homme lettré de bonne famille, rédige de nombreux essais qui prônent ces valeurs. Il est considéré comme l’initiateur de la philosophie des Lumières en France.

ŒUVRE : Les Lettres Persanes de Montesquieu, roman épistolaire publiée en 1721, inaugure donc le siècle des Lumières en France dans le domaine littéraire. Par un regard étranger et l’utilisation d’une correspondance épistolaire, Montesquieu critique les dérives de la société française.

EXTRAIT : La lettre étudiée est la trentième lettre qui compose le roman. Dans celle-ci, un des deux persans, Rica, est sujet des admirations de tous les parisiens pour ses ornements exotiques. Montesquieu critique dans cette lettre la frivolité du peuple français et son attachement au paraître.

 

I. Le succès de l’exotisme chez les parisiens.

 

Conclusion annoncée dès le début, l’auteur choisit d’illustrer sa morale en l’annonçant explicitement au début = présent de vérité générale “sont” et généralisation de « les parisiens ». “Extravagance”=> ils pensent seulement au paraître et ce défaut est excessif.

envoyé du ciel : vieillards, hommes, femmes, enfants,

tous voulaient me voir.

Imparfait de narration + introduction par conj de subordination « lorsque » : Rica nous livre une expérience, il nous donne son point de vue. Hyperbole + comparaison irréelle « comme si » = exagération de la réaction « envoyé du ciel » + énumération : “vieillards, hommes, femmes, enfants” =>englobe toute la population sans exception = ne vise personne mais accuse tout le monde => rejoint la généralisation du début.

Énumération d’actions banales mais qui suscitent à cause de la présence du Persan tout l'intérêt des parisiens + anaphore du “si je” et utilisation de l’imparfait de description + énumération de termes liés à l’apparence / mode: “arc en ciel nuancé de mille couleurs” et cent lorgnettes dressées contre ma figure” Le persan est pour les parisiens un “objet” à voir absolument comme la Joconde de Léonard de Vinci par exemple => n’a tant été vu que moi ⇒ tous ces éléments énoncent un schéma répétitif qui ne manque jamais, appuyé par l’emploi de “aussitôt” et de “tout le monde” = tous se calquent sur Rica, il provoque invariablement les mêmes réactions chez les parisiens.

Accumulation de pronoms et adjectifs à la première personne du singulier + champ lexical de la vue + champ lexical de la totalité ou du nombre ==> crée un effet d’abondance : toute l’attention est entièrement centrée sur Rica.

Autre prise de point de vue : utilisation du discours indirect libre “Il faut avouer qu’il a bien l’air Persan”, ici apporté comme une preuve de plus de l’admiration qu’il suscitait. Mais ils soulignent ce qui est évident « il a l’air bien persan » = chose évidente mais extraordinaire donc on souligne.

Verbe de crainte “craignait” appuyé par la quantification du “tant” + “pas assez” qui s’oppose à “toutes” (x2) ==> marque une réaction complètement démesurée de la part des habitants et tourne définitivement les parisiens en ridicule. Mais réaction du persan = “souriais” + “chose admirable !” : il se rit des parisiens et de leur excès --> ironie mise en avant par “admirable”.

 

II. Le stratagème du turc ou une inversion des positions.

 

“tant”: grand nombre + “ne laissait pas” : flot continu, et intarissable + “à la charge”: lexique militaire qui crée l’image d’une marée de foule assaillant Rica où qu’il soit ==> étonnement et ironie légère du turc face à cela avec l’exagération du “ si”.

L’auteur énonce ici les qualités de Rica : humble mais pas effacé, lucide sur les attentions qu’on lui porte et intelligent = il en fait le parfait type de l’idéal honnête homme et y oppose le parisien qui au contraire est dans la démesure ==> crée un effet chez le lecteur : il fera ainsi plus confiance à l’auteur de la lettre

+ amène à la réflexion : les européens inventent des idéaux qu’ils ne peuvent pas tenir et des exotiques d’une autre culture les incarnent parfaitement...

Le stratagème du turc inverse les situations : les parisiens deviennent les sujets de son expérience, ce n’est plus lui qui est soumis à leurs regards mais eux qui sont sous son regard.

Pour voir si il sera toujours remarqué même en habit français, c ́est a lui d'observer “pour voir “ + reprise de l’adjectif “admirable” => note d’ironie qui annonce déjà la suite + ironie avec le paradoxe entre grande ville/point connu => absurdité des parisiens dont il cherche à comprendre l’origine qui se révèle être l’habit. Travestissement du Persan en Européen = stratagème simple et classique mais efficace.

Dernière phrase annonce la suite du texte = renforce l’ironie et ménage un suspense pour le lecteur.

L'utilisation du passé simple = > suite du texte sera l'effet du stratagème sur son auteur donc le stratagème est efficace, crédible.

 

III. Retournement de situation: les travers de la société moderne.

 

Rica est libre aussi bien de ses habits qui le rendent reconnaissables que de ses mouvements.

“apprécié au plus juste” => Il découvre que seul le port ou non de l'habit persan est le détenteur du changement d'attitude des Parisiens => Ceux-ci se basent donc sur les apparences pour juger de la qualité et de l'intérêt d'un homme.

Montesquieu tente ici de toucher la sensibilité du lecteur. Les parisiens sont des hommes cruels: le Persan dénudé de ses ornements a été lâchement abandonné “néant affreux”. Il montre ici une grave dérive de la population française qui ne fait attention qu’aux apparences.

Insistance sur le désintérêt total des français pour le persan qui a perdu ses apparences avec “sans qu’” (x2) ou encore la longue durée: “une heure” sans parler dans un salon parisien c’est une durée exagérée ici => Montesquieu insiste encore sur les défauts des français.

Les parisiens agissent comme une girouette : leur comportement est marqué par l’inconstance et l’absurdité, ils peuvent changer d’avis dès que l’occasion se présente. Aussi la métaphore “bourdonnement” qui les désigne donne une vision très péjorative de leurs actes et de leur état d’esprit.

Ils retrouvent un intérêt soudain pour Rica dès qu’il connaisse ses origines.

Enfin la formule finale "Comment peut-on être Persan ?" montre encore plus l’arrogance des Français qui pensent qu'on ne peut pas être autrement qu'eux => tout être différent est une curiosité (ethnocentrisme fort).

 

CONCLUSION : Cette lettre offre, à travers le regard de Rica, une critique du caractère excessif et inconstant des parisiens mais aussi celle d’un regard et d’une pensée superficiels d’êtres incapables de se distinguer de la masse en mouvement que constitue les foules parisiennes.

Montesquieu parvient donc à critiquer le monde moderne et ici l’ensemble du peuple de Paris en se protégeant grâce à son personnage fictif.

L’argumentation indirecte permet en effet à l’auteur de dénoncer les travers d’une masse par la fiction, et provoque une réflexion voire même une remise en question chez son lecteur sans que ce dernier se sente visé.

Le genre argumentatif indirect est le genre de prédilection des Lumières au XVIIIème siècle : Voltaire avec Candide dresse aussi une critique de l’ordre, de la société en place, de la royauté, de la religion et encore de l'Église, par le héros ingénu de son conte philosophique.

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