Explication de Ourika de Claire de Duras

Explication de Ourika de Claire de Duras

L’action se déroule à Paris, plus précisément dans le faubourg Saint-Jacques, comme le précise le narrateur : « je fus appelé un matin au faubourg Saint-Jacques » (l. 3). On est peu après le sacre de Napoléon Ier en 1804, puisque l’empereur « avait permis depuis peu le rétablissement de quelques-uns de ces couvents » (l. 5), ce qui situe le récit sous l’Empire, dans un contexte de restauration partielle des institutions religieuses après la Révolution. Le narrateur est un jeune médecin venant de Montpellier, une ville célèbre pour sa faculté de médecine (cf. note 1), et il raconte les faits à la première personne, ce qui donne un ton personnel et introspectif au récit. Il s’agit donc d’un souvenir raconté a posteriori.

 

Les lieux décrits sont marqués par la ruine et le passage du temps, ce qui correspond tout à fait à l’esthétique romantique. Le cloître est partiellement détruit : « le cloître était à découvert d’un côté par la démolition de l’antique église » (l. 8), et il ne reste « que quelques arceaux » (l. 9), ce qui renforce l’idée de déclin. Le sol est pavé de « longues pierres plates » (l. 13) qui sont en réalité des tombes, dont les inscriptions ont été « pour la plupart effacées par le temps » (l. 15). Ces éléments – ruines, sépultures, nature en décomposition – nourrissent une atmosphère mélancolique et mystérieuse, typique de l’imaginaire romantique, qui aime les lieux chargés d’histoire et de souffrance.

 

Les tombes signalent d’abord la présence de la mort dans ce lieu de vie religieuse, ce qui crée un contraste saisissant. Leur état délabré et le fait que certaines aient été « brisées pendant la Révolution » (l. 16) montrent les conséquences du bouleversement historique. Elles annoncent aussi symboliquement le sort de la jeune religieuse : le narrateur avoue qu’en voyant ces tombes, « je me figurais que j’allais contempler une nouvelle victime des cloîtres » (l. 27). Cela suggère donc une forme de destin tragique et inévitable. Enfin, ces sépultures renvoient à une vision sombre de l’histoire, où les idéaux révolutionnaires ont laissé place à la désolation, renforçant le ton mélancolique du texte.

 

Quand le narrateur évoque les « préjugés de ma jeunesse » (l. 27), il fait référence à une image négative et stéréotypée des couvents, vue comme un lieu d’enfermement injuste pour les femmes. Il imagine que la malade qu’il s’apprête à rencontrer est une « nouvelle victime des cloîtres », ce qui traduit une vision romantique du couvent comme lieu de répression et de douleur. Cette idée, inspirée par la philosophie des Lumières (cf. note 3), nourrit chez lui une attente tragique : il suppose que la religieuse est malheureuse, enfermée contre sa volonté, et que sa souffrance vient de là. Il projette donc sur elle ses propres représentations idéologiques, avant même de lui avoir parlé.

 

La surprise du narrateur est très forte au moment où il découvre la jeune femme. Elle se manifeste dans la tournure « je fus étrangement surpris » (l. 30), qui est ensuite renforcée par l’exclamation : « en apercevant une négresse ! » (l. 31). L’usage de ce terme, aujourd’hui perçu comme offensant, traduit à l’époque le choc que représente pour lui la présence d’une femme noire dans un couvent de religieuses blanches. Le mot est mis en valeur par l’article indéfini et le point d’exclamation, soulignant la rupture avec ses attentes. Cette surprise n’est pas seulement physique, elle révèle aussi un biais culturel et racial, car il ne s’attendait visiblement pas à rencontrer une femme noire dans ce lieu.

 

Le narrateur est surpris non seulement par l’apparence de la jeune femme, mais aussi par son attitude. Elle est décrite comme très digne et polie, ce qui contraste avec les stéréotypes raciaux que le narrateur pouvait avoir. Il est touché par « la politesse de son accueil et le choix des expressions » (l. 32), et remarque la sincérité de sa voix, « cette douce voix ne pouvait tromper » (l. 46). De plus, il est étonné de son désir de guérison et de la lucidité avec laquelle elle parle de sa souffrance. Tous ces éléments contredisent ses préjugés et montrent qu’il découvre une personne complexe, bien différente de ce qu’il s’était imaginé. Cette surprise révèle donc l’évolution de son regard, qui commence à dépasser les idées toutes faites.

 

La religieuse elle-même décrit sa maladie d’une manière qui montre que le mal dont elle souffre dépasse le simple plan physique. Elle parle d’une « oppression continuelle », de l’absence de sommeil, et d’une fièvre persistante (l. 35). Ces symptômes pourraient faire penser à une maladie corporelle, mais très vite, le narrateur et le lecteur comprennent qu’ils sont les manifestations d’une souffrance plus profonde. Le corps reflète une douleur morale : « la maigreur était excessive », son visage est marqué par « un long et violent chagrin » (l. 41-42). Le mal dont elle souffre est donc en réalité d’origine psychologique, lié à son passé et à une détresse intérieure.

 

Le mot « mélancolie » s’impose à la lecture à cause de plusieurs éléments : d’abord, les symptômes décrits correspondent à ce que l’on appelait autrefois une mélancolie, c’est-à-dire une tristesse profonde, continue, associée à des troubles physiques. La religieuse est envahie par une grande fatigue, elle dit avoir été longtemps malheureuse : « jamais je n’ai éprouvé tant de calme et de bonheur » (l. 45), ce qui sous-entend qu’elle a traversé une longue période de détresse. Le narrateur parle d’un « long et violent chagrin » qui a détruit le corps mais épargné « l’âme » (l. 42). Le traitement proposé par le médecin n’est pas médical au sens strict : il veut l’amener à « calmer son imagination », « se distraire » et « éloigner des sentiments pénibles » (l. 44), ce qui montre qu’il comprend que son mal est intérieur. Tout cela renvoie bien à la mélancolie romantique, une maladie de l’âme.

 

La phrase « jamais je n’ai éprouvé tant de calme et de bonheur » (l. 45) semble à première vue positive, comme si la jeune femme avait enfin trouvé une forme de paix. Pourtant, cette déclaration est à double sens. Le mot « jamais » insiste sur le fait qu’elle n’avait jamais ressenti cela auparavant, ce qui souligne la profondeur de son malheur passé. Ce calme qu’elle évoque peut aussi avoir quelque chose de troublant, presque inquiétant, car il intervient après une longue période de souffrance, et dans un contexte de maladie. On peut se demander s’il s’agit vraiment d’un bonheur durable, ou plutôt d’un apaisement temporaire, voire d’un renoncement. Cette parole, douce en apparence, cache donc une mélancolie persistante, comme si la jeune femme sentait qu’il est trop tard pour espérer une vraie guérison.


Le portrait d’Ourika dressé par la marquise est valorisant car il met en avant des qualités rares et admirées dans la haute société : elle est « charmante », son « esprit est tout à fait formé », elle est « pleine de talents », « piquante » et « naturelle ». Ces adjectifs montrent qu’Ourika possède à la fois une intelligence développée et une personnalité vive et sincère. L’expression « elle causera comme vous » souligne qu’elle est capable de participer à une conversation mondaine avec autant d’aisance que les femmes blanches de l’aristocratie. Cela montre son niveau d’éducation et sa parfaite adaptation aux codes sociaux, ce qui la rend digne d’admiration. Cependant, malgré ce portrait très positif, on sent une inquiétude sur l’avenir d’Ourika, ce qui introduit une tension entre ses qualités et sa place dans la société.

 

Madame de B. n’est pas réellement surprise par les propos de la marquise, car elle confie que cette pensée l’« occupe souvent », et elle avoue, « toujours avec tristesse », que cela la trouble. Cela montre qu’elle est consciente du destin difficile d’Ourika, et qu’elle y pense régulièrement, avec peine. Ses exclamations finales (« Pauvre Ourika ! je la vois seule, pour toujours seule dans la vie ! ») traduisent une forme de désespoir. Elle ne sait pas quoi faire pour sauver Ourika d’un avenir solitaire et douloureux. Cela montre aussi un sentiment d’impuissance : malgré toute son affection pour Ourika, qu’elle aime « comme si elle était [sa] fille », elle se heurte aux limites imposées par la société.

 

En écoutant cette conversation, Ourika est profondément bouleversée. L’expression « l’éclair n’est pas plus prompt » indique que la prise de conscience de sa situation a été soudaine, brutale, comme un choc fulgurant. Elle ressent une douleur intense : elle se voit comme « un jouet, un amusement pour [sa] bienfaitrice » et comprend qu’elle est rejetée du monde auquel elle croyait appartenir. Les symptômes du choc sont très forts : elle parle de « palpitation », de ses « yeux [qui] s’obscurcissent », et elle perd même « la faculté d’écouter encore ». Ce sont les signes d’un traumatisme émotionnel violent, lié à la prise de conscience de son exclusion.

 

La marquise considère que la situation d’Ourika est une impasse à cause du contexte social du XVIIIe siècle, où les mariages mixtes sont interdits et où la couleur de peau détermine la place dans la société. Elle affirme que même si Ourika est brillante, « qui voudra jamais épouser une négresse ? » et si, « à force d’argent », elle se marie, ce sera avec un homme « d’une condition inférieure », ce qui la rendra malheureuse. La phrase « elle ne peut vouloir que de ceux qui ne voudront pas d’elle » montre clairement qu’Ourika est piégée : elle aspire naturellement à un destin de jeune fille noble, mais la société refuse de lui donner cette possibilité.

 

Madame de B. tente de défendre Ourika en montrant son attachement personnel : elle dit qu’Ourika est « un attachement » et espère que cela la protègera longtemps « de juger sa position ». Elle pense aussi qu’elle est « bien innocente de ce crime » (ligne 170), ce qui signifie qu’elle ne mérite pas l’exclusion dont elle est victime. Elle essaie de croire que son amour et sa tendresse suffiront à compenser les injustices sociales, mais face à l’analyse froide de la marquise, ses arguments semblent faibles. Elle espère plus qu’elle ne croit vraiment.

 

Selon madame de B., Ourika « n’a pas rempli sa destinée » car elle a été placée dans une situation qui brise « l’ordre de la nature ». Elle n’est ni esclave ni servante, mais elle ne peut pas non plus être totalement intégrée à la noblesse. Le fait de l’avoir élevée comme une jeune fille blanche lui a donné des rêves impossibles. La société ne lui a pas donné la permission de vivre ce rôle, alors elle se venge en la rejetant. Sa destinée aurait été de rester « au-dessous » dans la hiérarchie sociale, mais elle a été « placée dans la société sans sa permission ».

 

Le mot « crime » utilisé par madame de B. est très fort. Il renverse la logique habituelle : ce n’est pas Ourika qui a commis une faute volontaire, mais c’est comme si le fait de vouloir vivre comme une femme blanche et noble était un crime contre l’ordre social. Ce mot reflète l’injustice profonde du système, où une personne est punie non pas pour ce qu’elle fait, mais pour ce qu’elle est. Cela fait écho aux propos de la marquise sur la vengeance de la société. En fait, c’est la société qui est coupable, mais elle fait passer Ourika pour la fautive.

 

À la fin de la scène, Ourika est bouleversée au point de fuir. Elle dit « je m’échappai », ce qui montre un besoin urgent de solitude et de fuite face à la souffrance. Elle court dans sa chambre et se met à pleurer, ce qu’elle appelle un « déluge de larmes ». Cette réaction traduit une prise de conscience brutale : elle comprend qu’elle est condamnée à l’exclusion, malgré tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle a accompli. Ce moment marque un tournant dans son destin, une rupture avec l’illusion d’une vie heureuse.


Au début, Ourika perçoit la Révolution française surtout comme un vaste débat intellectuel. Elle décrit comment, dans le salon de Madame de B., "on parlait tout le jour" de "grands intérêts moraux et politiques" (l. 288-289). Pour elle, ce moment est lié à la réflexion, à la remise en question des idées établies, ce qui correspond à l’esprit des Lumières, où la raison et la discussion sont au centre. Ces penseurs cherchent à "remettre en question tout ce qu'on avait pu croire" (l. 295), ce qui montre bien cette volonté de comprendre le monde par le raisonnement, valeur essentielle des Lumières.


Dès le départ, Ourika émet des réserves sur la Révolution, car elle utilise le mot "arène" (l. 293) pour décrire le débat qui se tient dans le salon. Ce terme évoque la violence et la confrontation, plutôt que la paix et la raison. De plus, elle utilise des verbes qui marquent une certaine distance : "remettent en question", "approfondissaient", "remontaient" (l. 294-296), ce qui montre qu'elle observe ces débats avec un regard critique, comme si elle n'y prenait pas vraiment part mais en était spectatrice.

 

Ourika raconte cette période avec un rythme plus animé, car elle commence à ressentir des émotions plus fortes et personnelles. Le texte est rempli de phrases plus longues, avec des ruptures comme "J’entrevis donc que…" (l. 303), qui montrent son agitation intérieure. Le récit devient plus personnel, elle parle de ses "espérances" (l. 301) et de ses rêves d’une société où elle serait moins "étrangère" (l. 306), ce qui rend son discours plus vivant et plus intime.


La Révolution fait naître chez Ourika l’espoir de ne plus être exclue à cause de sa couleur de peau. Sa "plaie secrète" (l. 299) est la douleur d’être rejetée et isolée dans la société à cause de sa différence. Elle espère que dans le "désordre" révolutionnaire (l. 303), les préjugés disparaîtront, que "toutes les fortunes renversées" (l. 305) créeront un monde où elle pourra trouver sa place. Elle rêve qu’on ne la jugera plus sur sa couleur, mais sur ses qualités morales, sur une "supériorité d’âme" (l. 307).


La dernière phrase du passage montre la droiture morale d’Ourika, car elle comprend que ses qualités profondes, loin de l’aider, l’empêchent d’accepter un monde fondé sur le désordre. Elle dit que ces "qualités mêmes que je pouvais me trouver s’opposèrent vite à mon illusion" (l. 313), ce qui montre qu’elle ne cherche pas un avantage personnel au détriment des autres. Elle ne veut pas profiter d’une injustice, même si cela devait l’avantager.


Ourika parle des révolutionnaires comme des "ridicules" (l. 314), car elle découvre l’hypocrisie de leur "philanthropie" (l. 317), qu’elle qualifie de "fausse" (l. 318). Elle comprend qu’ils prétendent vouloir le bien de tous, mais qu’en réalité, ils sont guidés par des "intérêts intimes" (l. 323) et non par un véritable désir de justice. Leur bonté est feinte, et cela la déçoit profondément, car elle espérait en eux.


Quand la Révolution cesse d’être "une belle théorie" (l. 326), elle devient une lutte d’intérêts personnels. La raison, qui était le fondement des Lumières, disparaît, remplacée par "l’aigreur, l’amertume" (l. 324) et "les personnalités" (l. 325). Les débats tournent en disputes, et les opinions sont fondées sur des "prétentions" et des "peurs" (l. 328). La logique et l’universalité font place aux passions et aux égoïsmes.
 
Le point de vue d’Ourika sur l’histoire peut être qualifié de romantique car elle passe de l’enthousiasme à une grande désillusion. Au départ, elle est pleine d’espoir, pensant que la Révolution va lui permettre de trouver sa place, mais elle découvre une réalité cruelle. À la fin, elle ressent un "triste plaisir" (l. 334), une forme de mélancolie, typique du romantisme, où le bonheur est insaisissable, et où la souffrance nourrit l’âme. Le malheur devient même une condition pour comprendre ce monde plein d'amertume.


 

La marquise se met en colère car elle est blessée par le manque de confiance d’Ourika. Lorsqu’elle lui demande si sa sincérité est réelle ou feinte, elle remet en question les intentions de la jeune fille : « Est-ce là votre bonne foi, dit-elle ? cette sincérité pour laquelle on vous vante ? ». Cette exclamation montre son irritation face à l’attitude réservée d’Ourika, qu’elle interprète comme de la fausseté. Elle se sent rejetée dans son rôle de confidente, d’autant plus qu’elle pensait être celle qui comprenait le mieux la souffrance d’Ourika. Cette incompréhension crée une tension entre les deux femmes, qui éclate à travers l’élévation de la voix de la marquise et l’image de l’orage qui se prépare, symbole de son emportement.

 

Plusieurs valeurs morales sont mises en avant dans ce passage, notamment la sincérité et la confiance. La marquise insiste sur l’importance de l’honnêteté dans les relations humaines, et elle reproche à Ourika de lui cacher ses véritables sentiments : « la réserve quelquefois conduit à la fausseté ». Elle valorise donc une communication ouverte, fondée sur la vérité, tout en rejetant l’hypocrisie. De son côté, Ourika reste marquée par une grande pudeur, presque une forme de modestie tragique, qui l’empêche de se confier entièrement.

 

Les reproches de la marquise sont culpabilisants parce qu’ils mettent Ourika face à sa propre douleur tout en lui faisant porter la responsabilité de son silence. En déclarant : « puisque vous me refusez votre confiance [...] je me chargerai de vous apprendre que vous en avez un », elle lui impose une révélation brutale sur ses sentiments amoureux. Cette déclaration culpabilise Ourika, qui se sent soudainement démasquée et honteuse d’avoir tenté de dissimuler son amour. Elle se sent jugée pour un sentiment qu’elle-même considère comme interdit, ce qui accentue son mal-être.

 

 

Les propos de la marquise sont une révélation pour Ourika parce qu’ils mettent des mots clairs sur ce qu’elle ressentait de manière confuse. Lorsqu’elle lui dit que « tous vos regrets, toutes vos douleurs ne viennent que d’une passion malheureuse », elle dévoile la nature du mal profond d’Ourika : son amour pour Charles. Ourika prend soudain conscience que c’est cette passion refoulée qui est la cause de son malheur, ce qu’elle n’avait peut-être pas pleinement admis avant. Elle le décrit comme « la lumière qui pénétra une fois au fond des enfers », une métaphore forte qui souligne la violence de cette révélation.

 

Le registre dominant dans ce passage est le registre pathétique. Ourika exprime une souffrance intense, presque insoutenable, liée à la découverte de la cause de ses tourments. Elle se sent anéantie, comme le montre l’exclamation : « Je demeurai anéantie. » Son désespoir profond est renforcé par des images fortes et sombres, comme « l’abîme de mes douleurs » ou encore « la lumière qui pénétra une fois au fond des enfers ». Ces expressions traduisent la violence émotionnelle de cette prise de conscience, rendant le lecteur témoin de la douleur morale et psychologique de l’héroïne.

 

Ourika insiste sur son isolement pour mettre en valeur la singularité de sa souffrance, qui la coupe des autres. Elle exprime le fait qu’elle est exclue de la société, non seulement en raison de sa couleur de peau, mais aussi à cause de ses sentiments, qu’elle n’a pas le droit d’exprimer. Elle dit que « ce désir de tenir ma place dans la chaîne des êtres » est une douleur en soi, montrant qu’elle se sent rejetée de l’ordre social et affectif. Cet isolement renforce sa douleur intérieure, qu’elle qualifie de « passion criminelle », car elle sait que cet amour est interdit.

 

La passion d’Ourika est qualifiée de « sans espoir » car elle est doublement impossible : d’abord à cause des conventions sociales de l’époque, qui ne permettent pas une union entre elle, jeune femme noire, et Charles, un aristocrate blanc ; ensuite parce qu’elle-même rejette cet amour, qu’elle vit comme une faute. Elle dit qu’elle aurait dû « prendre [s]on parti d’être négresse », montrant qu’elle sait que cet amour est condamné dès le départ. L’expression « passion criminelle » révèle à quel point cet amour est vécu comme une transgression, ce qui rend toute espérance vaine.

 

Ourika se qualifie de « criminelle » parce qu’elle a l’impression d’avoir commis une faute morale en aimant Charles. Cette idée vient en partie du regard que la société porte sur elle, mais aussi de l’attitude de la marquise, qui lui fait ressentir de la culpabilité. Elle intériorise ce jugement au point de se condamner elle-même : « je ne sais quelle voix crie au fond de moi-même, qu’on a raison, et que je suis criminelle ». Elle vit son amour comme une transgression contre les normes sociales, et cela la plonge dans une grande détresse morale.

 

 

Le passage contient de nombreux éléments tragiques : une passion impossible, un isolement total, une culpabilité profonde, et une condamnation sans issue. Ourika parle d’une « passion criminelle » et dit qu’elle ne pourra même plus pleurer : « mes larmes désormais seront coupables ». Ce qui est tragique, c’est qu’elle est condamnée à souffrir sans même avoir le droit de se plaindre. La tragédie vient du fait qu’elle est à la fois victime des autres et de ses propres sentiments, dans un monde qui ne lui laisse aucune échappatoire. Elle n’osera plus souffrir car elle se sent désormais coupable de sa propre douleur.

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