Le Menteur de Corneille, analyse linéaire de l'acte I scène 5

Le Menteur de Corneille, analyse linéaire de l'acte I scène 5

Dorante remarque l'entrée d'Alcippe et de Philiste et les interrompt dans leur conversation. Il saisit immédiatement l'occasion pour s'immiscer dans leur discussion et en apprendre davantage sur le sujet qu'ils abordaient. Cette entrée de nouveaux personnages permet à Dorante de s'informer et d'élaborer son propre mensonge pour impressionner et séduire.

 

Dorante affirme à Clarice qu'il est revenu à Paris depuis un mois. En réalité, il est revenu de Poitiers la veille, comme le révèle Cliton dans ses répliques. Cette divergence entre ses dires et la vérité souligne la propension de Dorante à mentir pour embellir son image et ses exploits.

 

La curiosité de Dorante se manifeste par ses questions insistantes et son désir de connaître tous les détails de la conversation d'Alcippe et Philiste. Il interrompt leur dialogue et les presse de lui révéler le sujet de leur discussion, montrant ainsi son impatience et son besoin de s'immiscer dans les affaires des autres pour mieux tisser ses propres mensonges.

 

Alcippe se trouve dans un état d'esprit de méfiance et de retenue. Il est conscient que Dorante cherche à s'immiscer dans sa conversation et répond de manière évasive, essayant de ne pas divulguer trop d'informations. Alcippe reste prudent et sur ses gardes face aux questions de Dorante.

 

Dorante interroge ses amis sur une soirée galante, cherchant à savoir ce qui s'est passé et qui était présent. Il pose des questions sur la dame en question, la musique jouée, et les circonstances générales de l'événement, afin de collecter des informations qu'il pourra utiliser pour fabriquer son propre mensonge et se mettre en valeur.

 

Alcippe et Philiste répondent de manière vague et hésitante aux questions de Dorante, ce qui indique qu'ils n'ont pas une connaissance approfondie des événements. Leur manque de détails précis et leur tendance à éviter les réponses directes montrent qu'ils ne sont pas bien informés, ce qui contraste avec la curiosité insatiable et la précision des questions de Dorante.

 

Le champ lexical du feu dans ce passage est utilisé à la fois de manière littérale et métaphorique. Littéralement, il peut se référer aux feux d'artifice et aux lumières de la fête nocturne. Métaphoriquement, le feu symbolise la passion amoureuse “Dans l’ombre de la nuit le feu se fait mieux voir” Dorante joue sur cette double signification pour rendre son récit plus dramatique et captivant.

 

Dorante élabore progressivement son mensonge en posant des questions ciblées pour recueillir des informations qu'il peut ensuite intégrer et embellir. Il construit son récit en ajoutant des détails fictifs, en exagérant les faits, et en utilisant un langage poétique et imagé pour rendre son histoire plus convaincante et impressionnante.

 

Les différents auditeurs de Dorante réagissent de manière variée à ses mensonges. Alcippe et Philiste montrent un mélange de surprise et de scepticisme, tandis que Cliton, plus lucide, exprime son exaspération face aux mensonges éhontés de son maître. Cette diversité de réactions met en évidence le talent de Dorante pour manipuler son auditoire et créer des illusions convaincantes.

 

Corneille organise le dialogue entre les trois personnages en alternant des répliques courtes et incisives avec des tirades plus longues et élaborées de Dorante. Cette structure permet de créer un rythme dynamique et engageant, où les interruptions et les questions maintiennent la tension et l'intérêt du spectateur. Les répliques de Cliton ajoutent une dimension comique et critique, équilibrant le discours trompeur de Dorante.

 

Dorante est attiré par les mots et les concepts qui évoquent la nouveauté, l'exotisme et l'excitation. Il utilise des termes comme "galanterie", "musique", et "feu" pour captiver son auditoire et embellir son récit. Ces mots renforcent l'image qu'il cherche à projeter de lui-même comme un homme d'action et de passion, constamment à la recherche d'aventures extraordinaires.

 

La curiosité de Dorante à l'égard de la fête nocturne s'explique par son désir de s'intégrer dans les cercles mondains et de se distinguer par des récits impressionnants. Il voit dans cette fête une opportunité de se renseigner sur les détails qu'il pourra ensuite réutiliser pour impressionner Clarice et les autres personnages. Sa curiosité est motivée par son ambition sociale et son besoin de reconnaissance.

 

Le mensonge de Dorante est une forme d'appropriation de la réalité car il s'approprie les événements réels, les transforme et les embellit pour en faire un récit qui sert ses propres intérêts. En manipulant les faits et en y ajoutant des éléments fictifs, Dorante crée une nouvelle réalité qui lui permet de se mettre en avant et de capter l'attention et l'admiration de son auditoire.

 

Le mensonge de Dorante est clairement une forme de vantardise car il exagère ses exploits et ses qualités pour se présenter sous un jour héroïque et séduisant. Il cherche à impressionner les autres par des récits grandioses et des exploits fictifs, révélant ainsi son désir de paraître supérieur et admirable. Cette vantardise est un moyen pour lui de compenser son manque de véritables accomplissements.

 

La réplique où Cliton exprime son exaspération en disant "Vous ne savez, Monsieur, ce que vous dites" montre que le mensonge de Dorante a un effet majeur sur l'intrigue. Elle révèle l'ampleur des mensonges de Dorante et la manière dont ils influencent les perceptions et les actions des autres personnages. Ce quiproquo est essentiel pour le développement de l'intrigue comique.

 

Le mensonge de Dorante ressemble à la mise en scène d'un spectacle par sa structure narrative élaborée, ses descriptions détaillées et son utilisation d'éléments dramatiques. Comme un metteur en scène, Dorante crée une histoire captivante en combinant des faits réels et fictifs, en utilisant un langage imagé et en orchestrant les réactions de ses auditeurs pour maximiser l'impact de son récit.

 

Corneille organise le dialogue entre Alcippe, Dorante, et Philiste de manière dynamique, avec des répliques courtes qui s’enchaînent rapidement, favorisant ainsi une vivacité dans l’échange. Cette brièveté des répliques accentue le rythme de la scène, ce qui traduit l'urgence et la tension sous-jacente entre les personnages. Par exemple, lorsque Dorante demande à Alcippe « Sur l'eau ? », la réponse d'Alcippe « Sur l'eau » est presque immédiate, créant un effet de réplique miroir qui insiste sur l’attention que Dorante porte aux détails. De plus, Dorante domine souvent les échanges, posant des questions précises et cherchant à orienter la conversation, ce qui traduit son désir de contrôler la situation et d’affirmer sa supériorité intellectuelle. Cette structure de dialogue met en avant le caractère manipulateur de Dorante et la curiosité qu’il entretient face aux autres personnages.

 

Dorante est particulièrement attiré par les détails qui suggèrent la nouveauté et la rareté de l’événement. Par exemple, dès le début, il s'intéresse à la mention de « musique » donnée à une dame, et insiste sur les circonstances particulières de cet événement. L'emploi de mots comme « hier au soir » et « le temps était bien pris » montre sa fascination pour cette soirée qui semble à la fois mystérieuse et spéciale. Dorante cherche ainsi à capter l’attention de ses interlocuteurs en montrant qu’il est informé et impliqué, ce qui lui permet de renforcer sa position sociale tout en flattant sa curiosité.

 

La curiosité de Dorante pour la fête nocturne s’explique par son attrait pour la « nouveauté » mentionnée au vers 240. En effet, le terme de « nouveauté » évoque pour lui l’idée d’un événement exceptionnel qui sort de l’ordinaire, et cela stimule son imagination et son envie de s’impliquer dans des récits extraordinaires. La question de Dorante « Souvent l’onde irrite-t-elle la flamme ? » (v. 242) révèle également son penchant pour le registre galant, mêlant des métaphores de l’amour à des images poétiques. Ce mélange entre curiosité et désir de se distinguer dans la conversation le pousse à s’intéresser particulièrement aux détails de la fête et à questionner Alcippe avec insistance.

 

Le mensonge de Dorante prend la forme d’une appropriation de la réalité car il détourne les faits pour se les attribuer et les embellir à sa guise. À travers ses répliques, Dorante utilise fréquemment le pronom personnel « je » pour s’approprier des événements qu’il n’a pas réellement vécus. Par exemple, lorsqu’il déclare « Je ris de vous voir étonné / D’un divertissement que je me suis donné » (v. 250), il se place au centre de l’action et transforme la réalité à son avantage. Dorante manipule ainsi la vérité pour renforcer son image et se mettre en valeur face aux autres personnages.

 

Le mensonge de Dorante se révèle être une forme de vantardise car il vise à impressionner ses interlocuteurs en inventant des récits grandioses. Ses affirmations sont souvent exagérées et destinées à épater, comme lorsqu’il affirme avoir lui-même organisé un divertissement somptueux. Cette vantardise se manifeste aussi par son ton assuré et son besoin de se montrer supérieur, comme lorsqu’il précise que c’est lui qui a donné cette fameuse fête : « Moi-même » (v. 249). Dorante use de son imagination pour construire une image de lui-même qui suscite l’admiration, voire l’envie, chez ses compagnons.

 

La réplique de Dorante « Je ris de vous voir étonné / D’un divertissement que je me suis donné » (v. 250) est révélatrice de l’effet du mensonge sur l’intrigue de la pièce. En se positionnant comme le protagoniste d'un événement qu’il invente de toutes pièces, il suscite la surprise de ses interlocuteurs et nourrit ainsi le quiproquo. Cette réplique montre comment le mensonge de Dorante devient moteur de l’intrigue, car il mène à une série de malentendus et de réactions de la part des autres personnages, en particulier Alcippe, qui se trouve déstabilisé par l’assurance de Dorante.

 

Le mensonge de Dorante se distingue par sa dimension théâtrale, car il ne se contente pas de déformer la réalité ; il la transforme en un véritable spectacle où l’imaginaire prend le pas sur la vérité. À travers ses descriptions détaillées et luxuriantes, Dorante érige un cadre enchanteur et grandiose qui fait penser à une mise en scène orchestrée avec soin. Par exemple, lorsqu'il parle des « chœurs de Musique » (v. 266), il divise la scène en différents ensembles instrumentaux : violons, luths, voix et flûtes, comme s’il organisait un concert où chaque élément doit apporter sa contribution harmonieuse à l’ensemble. Ces éléments se succèdent dans le récit de manière méthodique, imitant ainsi les mouvements d’un ballet ou d’une scène théâtrale orchestrée.

 

L’organisation des détails dans le discours de Dorante évoque le souci de précision d’un metteur en scène qui souhaite que chaque composante de son tableau soit parfaitement à sa place. La mention de « chaque extrémité portait un doux mélange / De bouquets de Jasmin, de Grenade et d’Orange » (v. 275) montre comment Dorante s'attache à rendre chaque détail sensoriel, jouant avec les images et les parfums pour créer une scène presque palpable. Cette attention à la dimension sensorielle contribue à immerger ses auditeurs dans une ambiance particulière, les enveloppant de son récit de la même manière qu’un metteur en scène crée un décor pour plonger le public dans l’univers de sa pièce.

 

Dorante se présente ainsi non seulement comme un personnage narratif, mais aussi comme un véritable créateur d'illusions. En affirmant avoir « pris cinq bateaux pour mieux tout ajuster » (v. 260), il prétend avoir organisé une fête qui n’existe que dans sa propre imagination, en ajustant chaque détail comme on réglerait les moindres aspects d’une représentation théâtrale. Il ne s’agit pas pour lui de simplement mentir, mais de transformer le mensonge en un art, en une scène où la beauté des images est aussi importante que le contenu lui-même.

 

La mise en scène verbale de Dorante atteint son apogée lorsqu’il décrit le feu d’artifice qui clôture son récit : « mille et mille fusées » (v. 283) et « un déluge de flamme » (v. 285). Ces hyperboles accentuent le caractère spectaculaire de la scène inventée, suggérant une profusion de lumière et de couleurs. La description de ces fusées qui « attaquèrent les eaux » transforme un simple mensonge en un moment de pure démesure poétique, où les éléments de la nature semblent obéir à la volonté créatrice de Dorante. Par cette surenchère visuelle et poétique, il capte l’attention de ses interlocuteurs et les plonge dans un univers fictif qui se substitue à la réalité.

 

Ainsi, le mensonge de Dorante, loin de se réduire à une simple déformation de la vérité, s’apparente à une œuvre d’art où chaque détail est pensé pour émerveiller et captiver son auditoire. Il revêt les attributs d’un conteur qui, par la magie de son verbe, transforme le banal en sublime, le quotidien en une épopée nocturne. Par cette approche, Dorante se place à la frontière entre la fiction et la réalité, usant du langage comme d’un outil théâtral pour créer un univers imaginaire où il tient le rôle de metteur en scène.

 

Le mensonge de Dorante, tel qu'il apparaît dans Le Menteur, est en effet proliférant et se caractérise par sa capacité à croître et à s'enrichir de détails à mesure que Dorante parle. Ce trait se manifeste par l'accumulation de descriptions riches et par l'usage d'images grandioses qui déforment la réalité au profit d'une vision exagérée et spectaculaire. Dorante ne se contente pas de mentir sur de simples faits ; il transforme son récit en une aventure imaginaire où chaque élément devient plus impressionnant que le précédent.

 

Cette prolifération se construit principalement à travers des hyperboles, comme le montrent les expressions « mille et mille fusées » (v. 283) et « d’un déluge de flamme » (v. 285). Par ces termes, Dorante amplifie le caractère impressionnant de la soirée qu’il décrit, créant un effet de démesure qui cherche à éblouir ses interlocuteurs. L’image des « mille et mille fusées » évoque une explosion de lumière et de couleurs dans le ciel, tandis que le « déluge de flamme » donne à voir une scène où le feu semble submerger la nature. Ces hyperboles traduisent la volonté de Dorante de faire apparaître cet événement fictif comme exceptionnel, au point de le rendre presque mythologique.

 

La surenchère dans les descriptions de Dorante ne se limite pas à l’évocation des feux d’artifice. Son récit est ponctué de détails minutieux sur l’organisation de la soirée, comme lorsqu’il décrit les « chœurs de Musique » (v. 266) ou les « bouquets de Jasmin, de Grenade et d’Orange » (v. 275). Ces éléments, qui semblent superflus au regard de la réalité d’une simple fête, participent à la création d’un monde parallèle où tout est plus somptueux, plus poétique que dans la vie réelle. Dorante invente ainsi des tableaux luxueux, où chaque son, chaque parfum contribue à une expérience sensorielle totale.

 

Cette prolifération des détails dans le discours de Dorante reflète son désir de séduire par le langage et de captiver l’attention de son auditoire. En multipliant les images et en enrichissant son récit de détails décoratifs, Dorante cherche à maintenir ses interlocuteurs sous son charme, à les entraîner dans une vision du monde qu’il contrôle entièrement. Loin d’un simple mensonge destiné à tromper, son discours devient une performance où il joue avec les attentes de ses compagnons, les surprenant à chaque instant par la richesse de son imagination.

 

Ce besoin de séduire par le verbe est lié à la personnalité de Dorante, qui apparaît comme un personnage profondément vaniteux, désireux de se faire admirer et de se distinguer. Son recours systématique à l’exagération vise à susciter l’émerveillement, à montrer qu’il est capable de créer un univers qui dépasse les limites du quotidien. Il s’approprie le monde autour de lui et le refaçonne à sa guise, selon les exigences de son imaginaire. Par exemple, lorsqu'il affirme avoir organisé un divertissement « pour mieux tout ajuster » (v. 260), il se présente comme le maître d’œuvre d’un spectacle grandiose, capable de transformer une simple fête en une scène digne des plus belles fictions.

 

La prolifération du mensonge de Dorante révèle ainsi une forme d’ivresse verbale, une jouissance de la parole qui le pousse à enrichir sans cesse son récit pour lui donner toujours plus de relief. Cette tendance traduit aussi une certaine insécurité : Dorante semble craindre que la réalité, trop ordinaire, ne suffise pas à susciter l’admiration. Il la dépasse donc en créant un monde imaginaire où chaque élément devient un objet d’émerveillement, où l’ordinaire est sublimé par l’extraordinaire. Ce besoin de transcender le réel par le langage confère à son discours une dimension poétique, mais il témoigne aussi de la difficulté de Dorante à accepter les limites de la réalité. Il préfère la réinventer à travers ses mensonges, créant un univers parallèle où il peut briller sans contrainte.

 

Le discours de Dorante s’inscrit dans le registre galant et pastoral, deux genres littéraires qui connaissent une grande popularité au XVIIe siècle et qui s’expriment à travers des métaphores naturalistes et un langage particulièrement soigné. Le registre galant, imprégné de raffinement et de préciosité, met souvent en scène des relations amoureuses idéalisées, où les sentiments sont évoqués de manière poétique et élégante. Quant au registre pastoral, il transpose les élans amoureux dans un cadre bucolique, célébrant la nature comme un espace harmonieux où les émotions peuvent s’exprimer librement, en dehors des contraintes de la société urbaine.

 

Dans le discours de Dorante, on retrouve ces deux registres à travers sa façon de décrire la soirée imaginaire qu'il prétend avoir organisée. Lorsqu'il évoque « les eaux, les rochers, et les airs » (v. 279), il puise dans une imagerie classique qui évoque la tranquillité et la beauté d’un cadre naturel, souvent associé au registre pastoral. Ces éléments de la nature sont évoqués comme des acteurs à part entière de la scène, participant à la magie de la fête qu’il décrit. Ils symbolisent une sorte de communion entre la nature et les émotions humaines, où l’environnement devient le miroir des sentiments exaltés. Par cette référence aux éléments naturels, Dorante inscrit son discours dans une tradition littéraire qui valorise la beauté des paysages et leur capacité à refléter les passions humaines.

 

Le registre galant transparaît également dans l’emploi de métaphores qui allient des images de la nature et des symboles amoureux, comme dans l’expression « l’onde irrite la flamme » (v. 242). Cette métaphore repose sur l’antithèse entre l’eau et le feu, deux éléments contraires qui évoquent la tension et le désir amoureux. Ici, Dorante ne se contente pas de décrire une simple fête ; il la transforme en un tableau où chaque détail devient le prétexte à une réflexion poétique sur les jeux de l’amour. L’onde (l’eau) et la flamme (le feu) symbolisent respectivement le calme et la passion, deux aspects souvent mêlés dans les récits galants, où l’amour est à la fois délicat et intense. En utilisant ces images, Dorante se place dans la lignée des poètes galants de son époque, qui cherchaient à exprimer la subtilité des sentiments à travers un langage métaphorique et raffiné.

 

Par ailleurs, les descriptions de Dorante évoquent également le registre épique par leur ampleur et leur goût pour la grandeur. Son récit de la soirée imaginaire prend des proportions démesurées, évoquant non seulement la beauté des lieux, mais aussi la magnificence de la musique et des décorations. Il décrit les « chœurs de Musique » (v. 266) et les « mille et mille fusées » (v. 283), des images qui dépassent la simple réalité pour atteindre une dimension grandiose. Cette exagération rappelle les récits épiques où les événements prennent une tournure presque mythologique. L’évocation d’un « déluge de flamme » (v. 285) transforme ainsi la fête en un spectacle digne des grandes épopées, où la nature elle-même semble participer à la grandeur de l’événement. L’imaginaire de Dorante s’étend au-delà de la simple vanité : il crée un univers où chaque détail participe à la construction d’un monde idéalisé, où le réel est magnifié.

 

Cette dimension épique est renforcée par la volonté de Dorante de construire un récit où chaque élément est soigneusement orchestré, à la manière d’un poème héroïque. Par exemple, lorsqu’il décrit les « cinq bateaux » (v. 260) et les multiples chœurs de musiciens, il imagine une scénographie qui rappelle les grands récits mythologiques où chaque acteur joue un rôle précis dans le déroulement de l’action. Cette orchestration soigneuse témoigne de son désir de se mettre en scène comme un héros, maître de l’événement et capable de transformer la banalité en une histoire extraordinaire.

 

Ainsi, en mélangeant le registre galant, pastoral et épique, Dorante puise dans des traditions littéraires qui valorisent à la fois la finesse de l’expression amoureuse et la grandeur des événements. Cette combinaison permet à son mensonge de prendre une dimension poétique, où la fête qu’il décrit devient une véritable œuvre d’art verbale. Loin de se contenter d’un simple mensonge, Dorante utilise les codes de ces registres pour élever son discours et le rendre plus séduisant aux yeux de ses interlocuteurs. Il emprunte aux poètes et aux conteurs de son temps l’art de magnifier la réalité, et son récit devient ainsi un espace de création où il peut réinventer le monde selon ses propres désirs.

En conclusion, le discours de Dorante, à travers ses références au registre galant, pastoral et épique, reflète à la fois les goûts littéraires de l’époque et son besoin de sublimer la réalité par la parole. Il inscrit son mensonge dans une tradition poétique qui valorise la beauté des images et l’élégance de l’expression. Ce faisant, il ne se contente pas de mentir ; il transforme sa tromperie en une forme d’art, où la parole devient le moyen de séduire, d’émerveiller, et de s’évader d’un monde trop terre-à-terre. Cette dimension littéraire confère à son discours une richesse qui dépasse le simple désir de se vanter, faisant de son mensonge une véritable performance poétique et théâtrale.

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