Analyse du portrait de Démophile dans Les Caractères de La Bruyère, X, 11

Analyse du portrait de Démophile dans Les Caractères de La Bruyère, X, 11

 

L'énonciateur de ce texte se tient en observateur critique par rapport aux deux autres intervenants, Démophile et Basilide. Il adopte une position extérieure qui lui permet de juger et de commenter leurs actions et leurs discours avec ironie et détachement.

 

 

Démophile est affecté par un pessimisme excessif et une tendance à l'exagération dramatique. Il est constamment en train de se lamenter sur la situation et de prédire des désastres, montrant une incapacité à garder son sang-froid et une tendance à amplifier les problèmes.

 

 

Le début du portrait de Basilide le présente comme étant tout le contraire de Démophile. Tandis que Démophile se lamente et exagère les difficultés, Basilide, à gauche de l’énonciateur, semble plus énergique et résolu, préparant activement une armée et une défense, ce qui contraste avec le désespoir et l’inaction de Démophile.

 

 

Le nom de Démophile n'est pas réaliste ; il évoque plutôt des connotations littéraires et historiques. Ce choix de nom révèle l'intention du moraliste de souligner les traits exagérés et presque caricaturaux de ce personnage, le rapprochant des figures de l’Antiquité connues pour leur pessimisme.

 

 

Les verbes de la réplique de Démophile, tels que « se lamente », « s’écrie », « est perdu », « est fait », « résister », « subir », sont majoritairement au présent de vérité générale, renforçant le ton dramatique et l'impression d'immédiateté. Ce ton plaintif et exagéré, rempli de lamentations et de prédictions de catastrophes, justifie l’utilisation du terme « jérémiades ».

 

 

Le début de la réplique de Démophile, avec « Tout est perdu, c’est fait de l’État », saisit le lecteur par son caractère définitif et dramatique, suggérant une hyperbole. Cependant, le second membre de la phrase, « il est du moins sur le penchant de sa ruine », atténue légèrement cette exagération en introduisant un élément de doute, rendant les propos de Démophile plus nuancés.

 

 

Les phrases interrogatives telles que « Comment résister à une si forte et si générale conjuration ? Quel moyen… de suffire seul… ? » utilisent le procédé rhétorique de l’interrogation rhétorique pour exprimer l’impossibilité de la situation. Si l'on ne peut suffire à tant d’ennemis, l’issue du combat est nécessairement la défaite.

 

 

La remarque sur Achille, qualifiant Démophile d'un « héros, un Achille », utilise une comparaison héroïque pour souligner l'irréalisme de la situation et l'exagération de Démophile. Elle montre son manque de perspective réaliste en comparant la situation actuelle à des exploits mythologiques.

 

 

L'accumulation aux lignes 108-109 utilise un rythme rapide et insistant, renforçant l'urgence et l'autorité supposée de Démophile. Il utilise l'argument d'autorité en affirmant son expérience (« je suis du métier », « j’ai vu la guerre »). « Être du métier » et « avoir vu » ne sont pas entièrement équivalents ; le premier indique une expertise pratique, tandis que le second peut être plus superficiel. De même, « voir » et « lire » ne sont pas équivalents ; lire implique une connaissance théorique, tandis que voir suggère une expérience directe.

 

 

Les références historiques de Démophile à Olivier le Daim et Jacques Cœur visent à légitimer son discours par des exemples de figures historiques connues pour leur sagesse et leur capacité à gérer des crises. Cependant, l’exagération et le ton dramatique de Démophile peuvent amener le lecteur à questionner la pertinence de ces références dans le contexte actuel.

 

 

Le déterminant possessif « ses » renforce l’idée de proximité et de relation directe avec les gens mentionnés, ajoutant une dimension personnelle et émotionnelle à la narration. Cela annonce le verbe « feindre » qui indique que ces relations sont fausses ou exagérées. Les adjectifs qualificatifs sont au superlatif, soulignant l’exagération et le caractère artificiel des propos de Démophile.

 

 

Le pronom possessif « des nôtres » renvoie à un groupe incluant Démophile et, implicitement, l’énonciateur et le lecteur, créant un sentiment de communauté et de solidarité. La Bruyère utilise ce pronom pour établir une connivence avec le lecteur, en impliquant celui-ci dans le jugement porté sur les actions et les propos de Démophile, renforçant ainsi la critique par l’unité de perception.

 

 

La construction en deux temps, avec le balancement entre l’affirmation et la négation, vise à souligner la contradiction et l’incohérence des propos de Démophile. Cette structure met en lumière son incapacité à mesurer ses propos et à rester cohérent, renforçant l’idée de sa tendance à l’exagération dramatique.

 

 

Le point-virgule avant « et si » marque une pause significative, soulignant la transition entre deux idées contradictoires et accentuant l’effet de surprise et de réflexion. Le pronom « vous » est utilisé pour s’adresser directement au lecteur, créant un effet de dialogue et d’implication personnelle. La contradiction n’est pas seulement personnelle, mais aussi une critique plus large des attitudes et comportements exagérés. La réaction du nouvelliste, marquée par l’hyperbole et le dramatique, montre un manque de sociabilité par son incapacité à rester calme et rationnel face à la situation.

 

 

Démophile adopte une attitude de déni et de justification lorsqu’il est confronté à ses mensonges, utilisant la rationalisation pour expliquer ses erreurs. La figure de style notable est l'ironie, car il continue à se plaindre et à se lamenter malgré les évidences contraires. Cela devient ridicule car il persiste dans ses jérémiades même lorsqu’il est clairement en tort, révélant son incapacité à accepter la réalité.

 

 

La véritable cause des jérémiades de Démophile est son propre sentiment d’incompétence et de perte de contrôle. L’usage de l’italique met en évidence ses propres plaintes et insécurités, soulignant l’aspect personnel et subjectif de ses lamentations. La plus grande perte pour Démophile est la perte de sa réputation et de son influence, ce qui est plus douloureux pour lui que la situation objective elle-même.

 

 

Les lignes 124-131 reprennent et condensent les thèmes de l'exagération, de l’alarme excessive et de la prédiction catastrophique. Elles montrent comment Démophile, une fois de plus, exagère la situation en prédisant des désastres imminents, renforçant son image de prophète de malheur et d’exagérateur compulsif.

 

 

Le moraliste se désolidarise des peurs de Démophile en utilisant un ton ironique et en mettant en avant l’absurdité de ses prédictions. Le lexique de la propriété privée apparaît avec des termes comme « son bien », « ses terres », « son argent », « ses meubles », « sa famille », soulignant l’égoïsme et l'obsession matérielle de Démophile, contrastant avec les véritables préoccupations de l’État.

 

 

Les interrogatives des lignes 130-131 appartiennent au discours indirect libre, permettant de présenter les pensées de Démophile de manière plus fluide et intégrée dans le récit. Les temps grammaticaux sont au présent, créant un sentiment d’immédiateté et d’urgence, renforçant le caractère dramatique et l’exagération des propos de Démophile.

 

 

Le comique de la présentation de Basilide réside dans le contraste entre son activité frénétique et les lamentations de Démophile. Tandis que Démophile se perd en lamentations et prédictions apocalyptiques, Basilide, à l’opposé, est occupé à dresser une armée de trois cent mille hommes, ce qui paraît excessif et absurde. Cette hyperbole dans l’action de Basilide souligne l’ironie et le ridicule de la situation.

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