Analyse de Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras. La mort des enfants

Analyse de Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras. La mort des enfants.

De « Jusqu'à un an environ, les enfants vivaient accrochés à leur mère » à « D'autres s'emplissaient des mêmes vers que les chiens errants et mouraient étouffés. »

I) Une vision de la mort à la fois réaliste et poétique

a) Le réalisme

L’extrait débute comme une sorte de documentaire. En commençant par un cadre temporel  qui permet de suivre le parcours des enfants. Ils s’épouillent comme des singes : “Jusqu’à un an environ, les enfants vivaient accrochés à leur mère, dans un sac de coton ceint au ventre et aux épaules.” Il y a une forme d’animalisation. La narratrice utilise des verbes qui nous laissent penser qu’ici il s’agit d’oiseaux et pas d’être humains : “A un an, la mère les lâchait loin d'elle et les confiait à des enfants plus grands, ne les reprenant que pour les nourrir, leur donner, de bouche à bouche, le riz préalablement mâché par elle”. Toujours dans l’idée d’un documentaire, la narratrice montre la misère en faisant un constat apparemment neutre et froid : “Il y avait mille ans que c'était comme ça qu'on faisait pour nourrir les enfants. Pour essayer plutôt d'en sauver quelque uns de la mort. Car il en mourrait tellement que la boue de la plaine contenait bien plus d'enfants morts qu'il n'y en avait qui avaient eu le temps de chanter sur les buffles.” La narratrice fait un constat réaliste sur les causes de la mort des enfants : “Ils mouraient surtout du choléra que donne la mangue verte, mais personne dans la plaine ne semblait le savoir. Chaque année, à la saison des mangues, on en voyait, perchés sur les branches, ou sous l'arbre, qui attendaient, affamés, et les jours qui suivaient, il en mourait en plus grand nombre”.

b) Une vision poétique et cyclique de la mort

 On nous décrit un cycle naturel de la vie. Les enfants meurent comme si c’était dans l’ordre normal des choses : “Les enfants retournaient simplement à la terre comme les mangues sauvages des hauteurs, comme les petits singes de l'embouchure du rac.” La mort des enfants est présentée comme faisant partie du cycle de la vie : “Et d'autres, l'année d'après, prenaient la place de ceux-ci, sur ces mêmes manguiers, et ils mouraient à leur tour car l'impatience des enfants affamés devant les mangues vertes est éternelle.” De ce fait elle est totalement dépassionnée. De plus avec l’adjectif “éternelle” la narratrice ajoute une dimension métaphysique à la mort de ces enfants qui est en quelque sorte nécessaire à l’équilibre naturel. On dirait que la boue de la plaine se nourrit de ces enfants comme un monstre mythologique : “la boue de la plaine contenait bien plus d'enfants morts qu'il n'y en avait qui avaient eu le temps de chanter sur les buffles”.

II) Une vision de la mort pathétique et tragique

a) La faim et la misère

Les enfants sont trop nombreux pour que leurs mères puissent tous les épouiller, la solution est donc de leur raser la tête : “On leur rasait la tête jusqu'à l'âge de douze ans, jusqu'à ce qu'ils soient assez grands pour s'épouiller tout seuls et ils étaient nus à peu près jusqu'à cet âge aussi.” Les enfants sont nus jusqu’à ce qu’ils soient grands car les vêtir coûterait trop cher. Cela renforce l’impression qu’ils n’accèdent au rang d’êtres humains que vers l’âge de douze ans, à l’entrée dans l’adolescence, s’ils ont survécu jusque-là. Les pauvres ont perdu toute dignité humaine : “Qu’est-ce que ces dégoûts-là pouvaient bien représenter dans la plaine ?” On observe à quel point la nourriture se fait rare, ce qui explique le manque de patience et de prudence des enfants : “Chaque année, à la saison des mangues, on en voyait, perchés sur les branches, ou sous l'arbre, qui attendaient, affamés, et les jours qui suivaient, il en mourait en plus grand nombre.” L’adjectif “affamés” renforce le pathétique de la situation de ces enfants.

b) La dimension tragique d’un combat perdu d’avance

La mort des enfants est tellement habituelle qu’elle est banalisée. On dirait que la père accomplit une tâche supplémentaire après son travail. Aucune émotion n’est associée à cette séparation ce qui choque le lecteur occidental : “Il en mourait tellement qu'on ne les pleurait plus et que depuis longtemps déjà on ne leur faisait pas de sépulture. Simplement, en rentrant du travail, le père creusait un petit trou devant la case et il y couchait son enfant mort.” La mort est présentée comme une force tragique contre laquelle ces pauvres gens ne peuvent pas lutter : “D'autres se noyaient dans le rac. D'autres encore mouraient d'insolation ou devenaient aveugles. D'autres s'emplissaient des mêmes vers que les chiens errants et mouraient étouffés.” 

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