Analyse de Manon Lescaut, Les retrouvailles entre Des Grieux et son père. Des Grieux, un anti-héros ?
Des Grieux correspond-il à l’image traditionnelle du héros ?
I) Des Grieux ne correspond pas à l’image traditionnelle du héros
Des Grieux ne correspond pas à l’image traditionnelle du héros. En effet c’est un homme dépourvu d’honneur qui commet des actes criminels sans s’en rendre compte. Tout d’abord nous comprenons que Des Grieux est devenu un brigand, proxénète à travers le discours du père : “Grâces au scandale de votre libertinage et de vos friponneries,” Il dit aussi : “d’un fils vicieux qui a perdu tout sentiment d'honneur” pour renforcer le fait que derrière les actes criminels qu’il commet il n’y a pas de raison valable. En effet c’est un noble qui se comporte comme un brigand qui a besoin d’argent pour se nourrir et survivre. De plus il semble cacher sa culpabilité derrière sa naïveté : “voyez cette modestie contrefaite et cet air de douceur hypocrite”.
En plus de se déshonorer lui-même par ses actions il déshonore sa famille, il ternit leur image : “qu’un fripon qui le déshonore” sans avoir de remords tandis que c’est sa famille qui va en souffrir. De plus il commet tous ces actes déshonorants sans s’en rendre compte : “il me parut néanmoins que c’était les porter à l’excès” ce qui est pire car il ne se rend même pas compte du mal qu’il commet.
Finalement Des Grieux ne correspond pas à l’image traditionnelle du héros car il cherche à ce que l’on ait pitié de lui en se présentant comme victime : “un peu de pitié”, “mille fois plus à plaindre”. De plus il n’assume pas ses propres fautes, il les rejette sur “l’amour” et les “fatales passions” pour renforcer le fait que c’est une victime. Nous savons aussi qu’il n’est pas courageux d’où le fait qu’il ait préféré devenir prêtre plutôt que militaire et aussi qu’il ne sache pas tenir tête à sa maîtresse : “L’amour m’a rendu trop tendre, trop passionné, trop fidèle, et peut-être trop complaisant pour les désirs d’une maîtresse toute charmante”. À la fin de son discours il laisse “tomber quelques larmes” ce qui accentue son manque d'héroïsme dans le passage.
II) Mais c’est un personnage typique du roman d’apprentissage
Des Grieux est un personnage typique des romans d’apprentissage comme Candide de Voltaire, c’est à cause de sa naïveté qu’il commet des erreurs, cependant à la fin il apprend de celles-ci et cela constitue une morale pour le lecteur qui va apprendre des erreurs du héros. Cependant, à la différence de Candide, Des Grieux ne va pas apprendre de ses erreurs, il va s’enfoncer de plus en plus dans le vice et il ne s’en sortira pas. Peut être que c’est une manière pour l’auteur de transmettre une image pessimiste de l’homme qui n’est pas capable de corriger ses torts et de se rendre compte de ceux-ci. Ou est-ce une manière encore plus sûre et efficace pour que le lecteur ne commette pas à son tour les erreurs du héros. Dans le passage c’est le personnage du père qui incarne la raison pour le personnage Des Grieux et pour le lecteur qui pourra se rallier à lui: “Qu’un père est malheureux lorsque après avoir aimé tendrement un fils, et n’avoir rien épargné pour en faire un honnête homme, il n’y trouve à la fin qu’un fripon qui le déshonore !” cette citation touche particulièrement le lecteur car elle accentue tous les sacrifices que le père a fait pour son fils ainsi que tout ce qu’il lui a donné, entre autre son amour pour que celui-ci finisse par le déshonorer et l’insulter sans s’en rendre compte ce qui est un manque de compassion pour le père.
Problématique : Comment le récit de cette scène de retrouvailles est-il dramatisé ?
Mouvement 1 : lignes 1 à 8 – Un échange passionné
Dès le début de la scène, l’accent est mis sur la tension émotionnelle et le caractère figé des personnages. Les phrases courtes s’ouvrent sur les pronoms personnels « Elle » et « Je », soulignant l’isolement de chacun. Manon « s’assit », Des Grieux « demeurai debout » : l’un bouge, l’autre reste immobile. Le passé simple, temps de l’action ponctuelle, renforce la solennité et la dimension presque picturale de la scène : Manon est « le corps à demi tourné », comme une figure de tableau.
L’évitement du regard – Des Grieux « n’osant l’envisager directement » – renforce la sidération du personnage. Manon apparaît alors comme une figure presque mythologique, comparable à une Gorgone dont le regard pétrifie. Cette tension intérieure se manifeste dans la difficulté à parler : « je commençai plusieurs fois une réponse », mais « je n’eus pas la force d’achever ». L’adverbe « plusieurs fois » montre l’intensité de l’effort et l’état de trouble extrême de Des Grieux.
Enfin, un sursaut passionné rompt le silence : « Enfin, m’écriai-je douloureusement… ». L’interjection « Ah ! », la répétition accusatrice « perfide ! perfide ! », la construction exclamative : tout souligne l’éclat de la douleur et de la passion. La parole, lorsqu’elle surgit, est brutale, pathétique, presque théâtrale.
Le dialogue avec Manon s’engage ensuite. Des Grieux rapporte la réplique de Manon au discours direct : « répondit-elle ». L’alternance des discours permet une plus grande intensité dramatique, avec un rythme accéléré. Manon parle d’amour, malgré les reproches : « si vous ne me rendez votre cœur ». Cette hypothèse ouvre la voie à la réconciliation. Des Grieux, en apparence encore dans la colère (« infidèle »), cède déjà : il reprend l’expression de Manon (« demande ma vie »), et affirme « mon cœur n’a jamais cessé d’être à toi ».
Le champ lexical de la douleur est présent, mais il est submergé par celui de l’amour, qui l’emporte : larmes, sacrifices, serments. La dramatisation passe par les hyperboles, les répétitions et les effets de suspens (« mourir, répondit-elle »), autant d’éléments mélodramatiques qui renforcent l’intensité pathétique de cette scène.
Mouvement 2 : lignes 8 à 14 – Les caresses de Manon
La dynamique change : Manon, dès que Des Grieux avoue son amour, devient l’initiatrice du rapprochement. L’expression « à peine… que » traduit la rapidité de sa réaction, et le complément circonstanciel « avec transport » marque sa fougue. Manon est active (« elle se leva, elle m’accabla, elle m’appela »), tandis que Des Grieux devient passif, objet de ses gestes.
Les hyperboles – « mille caresses passionnées », « tous les noms que l’amour invente » – insistent sur la violence sensuelle de l’étreinte. Le ton est plus charnel, plus expressif. Manon devient incarnation du désir, ce qui contraste fortement avec la vocation religieuse de Des Grieux, soulignant ainsi le scandale de la scène.
Pour se disculper, Des Grieux glisse une phrase à valeur de défense : « Je n’y répondais que par ma langueur ». Le choix de l’imparfait et la brièveté de la phrase contrastent avec l’ampleur des gestes de Manon : il cherche à minimiser sa responsabilité, à faire croire à une résistance intérieure.
Puis le Des Grieux narrateur, plus âgé, reprend la main. Il utilise le plus-que-parfait (« j’avais été ») et l’imparfait (« je sentais ») pour prendre du recul et analyser sa faiblesse avec lucidité. Il généralise son expérience : « comme il arrive souvent », et recourt à une comparaison romanesque. La scène devient une sorte de cauchemar, renforcé par l’absence de repères (« nuit, campagne, tous les environs ») et par le lexique de l’angoisse : « épouvanté, frémissais, horreur secrète ». Rimbaud écrivait qu’« on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », Des Grieux semble ici dire : on ne résiste pas quand on aime Manon.
Mouvement 3 : lignes 15 à la fin – La réconciliation des amants
Ce dernier mouvement est celui de la confession et du pardon, qui transpose le rituel religieux dans le champ amoureux. Le champ lexical de la confession est clair : « Dites-moi », « quel fond dois-je faire sur ce retour de bonté ? » : Des Grieux, à genoux comme un pénitent, prend les mains de Manon. Le geste de réconciliation est fort : « je pris ses mains dans les miennes », marque d’un contact symbolique.
Malgré le ton de reproche (« si vous en avez trouvé d’autres »), Des Grieux reste sous l’emprise de son amour. L’anaphore « dites-moi » rythme ses interrogations, et les oppositions temporelles (« si vous serez plus fidèle ») montrent son désir de croire encore. Le champ lexical de l’amour l’emporte : « cœur, tendre, amour ».
La victoire de Manon est totale. Le tutoiement remplace le vouvoiement, preuve d’intimité retrouvée. La gradation « Ah Manon ! belle Manon ! chère Manon ! » exprime l’abandon total à la passion. Le langage religieux se mêle au langage amoureux, jusqu’à la fusion.
Conclusion :
Cette scène est un modèle de dramatisation des retrouvailles amoureuses. Les silences initiaux, les larmes, les cris, les gestes et les discours passionnés construisent une tension maximale, où l’amour affronte la douleur, la foi, et les conventions sociales. Des Grieux narrateur, tout en prétendant analyser avec recul, met en scène une passion irrésistible, presque tragique. Il fait de cette scène un moment charnière, où l’amour renaît, mais en portant déjà en lui le germe de la chute.
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