Analyse de De l'esclavage des nègres de Montesquieu, extrait de De l'Esprit des Lois

Analyse de De l'esclavage des nègres de Montesquieu, extrait de De l'Esprit des Lois

Dans l'introduction de son œuvre majeure "De l'Esprit des Lois", Montesquieu, figure emblématique du siècle des Lumières et écrivain français prolifique, aborde avec une ironie mordante la question de l'esclavage dans l'extrait "De l'esclavage des nègres". Ce texte, extrait du livre 15, est une satire subtile où l'auteur feint de soutenir l'esclavage en utilisant une structure argumentative soigneusement élaborée. Montesquieu, connu pour ses voyages étendus et ses réflexions profondes sur la politique, la société, et la justice, adopte ici une approche ironique pour critiquer cette pratique inhumaine.

 

Dans la première partie, "Une apparence de plaidoyer pour l'esclavage", Montesquieu construit son texte en une série de neuf arguments, chacun exposé dans un paragraphe distinct. Ce choix structurel confère au texte une apparence de logique et de cohérence implacable. Dès le premier paragraphe, l'emploi de la structure "Si j'avais à soutenir" avec l'utilisation du conditionnel introduit une ambiguïté délibérée, suggérant que ce qui suit est une hypothèse plutôt qu'une conviction. Cette tournure, associée au mot "droit", indique que Montesquieu aborde l'esclavage non comme une réalité incontestable, mais plutôt comme une institution juridiquement et moralement contestable. L'auteur y fait allusion au commerce triangulaire et à l'histoire de l'esclavage, soulignant ainsi l'importance historique et économique de cette pratique tout en la mettant subtilement en question.

 

Chaque argument développé dans les paragraphes suivants semble logique et rationnel à première vue. Montesquieu emploie un langage soigneusement choisi pour présenter les arguments économiques, historiques, raciaux, analogiques, sociologiques, religieux et politiques des défenseurs de l'esclavage. Cependant, une analyse plus approfondie révèle les failles et les contradictions inhérentes à chacun de ces arguments. L'auteur utilise une variété de procédés rhétoriques, notamment l'antiphrase, l'ironie et le raisonnement par l'absurde, pour déconstruire et critiquer la logique esclavagiste.

 

Dans la seconde partie, intitulée "La dénonciation de l'esclavage", Montesquieu déploie tout son talent de pamphlétaire pour attaquer les justifications de l'esclavage. Chaque argument, en apparence inattaquable, se retourne contre lui-même, révélant son absurdité fondamentale. Par exemple, l'argument économique selon lequel l'esclavage est nécessaire pour l'exploitation des terres du Nouveau Monde est contredit par la réalité historique des massacres perpétrés par les Européens. De même, l'argument esthétique et religieux, qui prétend que les Noirs sont inférieurs en raison de leur apparence physique et de leur prétendue absence d'âme, est démonté par Montesquieu qui met en lumière l'intolérance et la manipulation des croyances religieuses par les esclavagistes.

 

Ainsi, "De l'esclavage des nègres" est un exemple éloquent de l'utilisation de l'ironie et du raisonnement par l'absurde pour critiquer les fondements moraux et logiques de l'esclavage. Montesquieu, avec une clairvoyance et une générosité remarquables, dénonce non seulement les justifications économiques, esthétiques et religieuses de l'esclavage, mais aussi l'intolérance, le manque de pitié et l'égoïsme des esclavagistes. Ce texte, tout en étant un brillant exercice de style, témoigne également de la vision humaniste de Montesquieu et de son engagement en faveur de la liberté et de l'égalité, valeurs qui ne seront pleinement reconnues en France qu'avec l'abolition définitive de l'esclavage en 1848.


INTRODUCTION

Ce passage est un extrait de De l'Esprit des Lois, traité de sociologie politique que Montesquieu publie en 1748, et dans lequel il tente d'analyser comment le climat, les mœurs, l'économie, les lois ... ont influé sur les différents régimes politiques qui se sont succédés dans l'Histoire.

L'auteur, grand savant et philosophe du siècle des Lumières, fut aussi magistrat à Bordeaux, mais il est surtout connu pour des ouvrages tels que De l'Esprit des Lois ou Les Lettres Persanes, qui ont éveillé l'esprit critique des hommes du XVIIIe siècle.

Dans cet extrait du livre 15, l'auteur se feint d'être l'avocat de l'esclavage des Noirs.

Il propose ainsi en neuf paragraphes bien séparés, neuf arguments. Cependant une lecture plus attentive permet de distinguer quelques vices de forme dans le raisonnement proposé.

Puisqu'une lecture attentive du texte nous montre que Montesquieu veut, en fait, prendre à contre-pied la thèse esclavagiste, notre projet de lecture méthodique sera de montrer quelle stratégie il adopte pour atteindre son objectif.

Nous le verrons en 2 axes : 

1- Le passage = un réquisitoire qui prend la forme d'un plaidoyer

2- Comment l'auteur rend son discours encore plus efficace en utilisant différents procédés rhétoriques qui montrent sa maîtrise du pamphlet.

I) UN REQUISITOIRE EN FORME DE PLAIDOYER

1) Etude de la structure du texte

1er paragraphe : présentation de la situation de communication.

N.B. : fait que Montesquieu présente celle-ci sous forme d'hypothèse :

Si + imparfait + conditionnel = entretient une ambiguïté puisque cette tournure peut exprimer à la fois le potentiel (pour l'adversaire) et l'irréel (pour le lecteur).

OBJECTIF : donner le signal que ce texte est à lire comme une pure hypothèse et que le plaidoyer annoncé est en fait un réquisitoire.

§ suivants : Dans la logique de ce qui est annoncé, il développe en neuf parties, les arguments du pseudo - plaidoyer : 

2 arguments historiques et économiques situant le problème au niveau du travail à 2 premiers §

2 arguments d'ordre racial (l.7-10) à 2 § suivant

2 arguments fondés sur un raisonnement par analogie liés à la sagesse des nations (l.11-17) à 2 § suivants

1 argument sociologique (l.18-20) à § suivant

2 arguments religieux et politiques faisant culminer la thèse des esclavagistes et l'indignation de Montesquieu à 2 derniers §

2) Chaque argument des esclavagistes se détruit lui-même

On voit donc que la stratégie utilisée consiste à démonter de l'intérieur chaque argument des esclavagistes en montrant son ineptie. Reste qu'en parallèle, Montesquieu maîtrise aussi parfaitement tous les outils rhétoriques, et ceci rend son texte plus efficace. 

II) LA MAITRISE DU PAMPHLET 

(Pamphlet = cour extrait satirique qui attaque avec violence les institutions)

1) L'usage de l'antiphrase

Ex : l.3 : "Ils ont dû " : en fait, aucune nécessité n'apparaît dans la réalité : en aucun cas l'anéantissement d'une autre ethnie ne peut justifier l'asservissement d'une race.

2) La juxtaposition de petits § incisifs

Avantage : On peut passer sans transition d'un domaine à l'autre et donc accumuler en un minimum de temps différents arguments décisifs.

Ex : entre l'argument 6 et 7 : d'un raisonnement par analogie basé sur une perception gratuite des Egyptiens, on passe à une réflexion qui paraît venir d'une conversation entre mondains (l.18-21), ce qui permet à Montesquieu d'égratigner au passage la passion des nations civilisées pour l'or et de rappeler que, dans la traite des nègres, le troc se fait contre de la verroterie, et donc constitue un vol.

3) Des traits de bouffonnerie ou de burlesque

Ils apparaissent dans la présentation comme d'irréfutables arguments qui ne résistent pas à l'analyse.

Ex : Le rapport entre la couleur de la peau et l'essence de l'âme (l.11)

Ex : Les affirmations péremptoires par rapport au symbolisme des couleurs (ironie dans l'emploi de la tournure emphatique "d'une si grande conséquence ") (l.16-17)

4) L'utilisation habile de deux raisonnements par l'absurde

(2 derniers arguments)

l.21-23, Montesquieu prête aux esclavagistes le raisonnement suivant : 

-> Les chrétiens doivent traiter tous les hommes en frère

 -> Or nous ne traitons pas les noirs comme nos frères

  -> Donc les noirs ne sont pas des hommes

Ce qui conduit le lecteur à une conclusion diamétralement opposée :

   -> Donc nous ne sommes pas de vrais chrétiens

l.24-25, même principe

-> Les princes d'Europe font beaucoup de conventions inutiles

 -> Or ils n'en font pas en faveur des esclaves

  -> Donc c'est qu'il n'y a pas lieu d'en faire

Le lecteur en déduit que les princes d'Europe sont sans cœur

CONCLUSION

Chaque argument de cette "plaidoirie " repose sur un argument vicié qui le rend inopérant, et ceci permet à Montesquieu de dénoncer différentes manières l'esclavage : 

La mauvaise foi

Le détournement de la religion

L'égoïsme, le cynisme

La présentation comme sure d'arguments douteux

Le texte est brillant dans sa forme, il est aussi généreux et clairvoyant dans son ironie. Mais il faudra cependant attendre 1848 pour que l'esclavage soit définitivement aboli en France ! 

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