Analyse de "Don du poème" de Mallarmé

Analyse de "Don du poème" de Mallarmé

Dans "Don du poème", écrit en 1865 et faisant partie du recueil "Vers et prose", Stéphane Mallarmé, illustre poète du XIXème siècle, explore avec une profondeur et une complexité notables la douleur inhérente au processus créatif, notamment à travers l'utilisation de la métaphore filée de l'enfantement. Cette œuvre, composée d'une unique strophe de quatorze alexandrins aux rimes suivies, révèle le pouvoir évocateur du langage et la musicalité dans la suggestion de l'indicible, tout en dévoilant les vérités cachées derrière les apparences.

I. La métaphore filée de l’enfantement

Le poème est présenté comme un enfant, fruit de la création du poète, illustrant la fragilité et la nouveauté inhérentes à toute création artistique. Dès le premier vers, le poème est comparé à un « enfant », symbolisant ainsi la naissance d'une œuvre nouvelle et délicate, susceptible d'être confrontée à la critique et à l'incompréhension. La métaphore de la « nuit d'Idumée » suggère que le poème est né d'une nuit d'insomnie, durant laquelle le poète l'a façonné, probablement en référence à l'œuvre "Hérodiade".

L'arrivée du jour permet au poète de contempler son œuvre dans toute sa splendeur, mais également dans toute sa vulnérabilité. Le vers sept renforce cette idée de création avec la comparaison du poète à « ce père », suggérant un lien intime et profond entre le créateur et sa création. La notion de sacré se mêle à cette relation, notamment à travers la mention de la « relique », évoquant à la fois le caractère précieux et la dimension presque religieuse de la poésie pour Mallarmé.

La « blancheur sibylline » représentant métaphoriquement le lait nourricier, évoque la pureté et la source de vie de la création, tandis que l'expression « ta fille » différencie la création poétique de l'enfant réel du poète. Les « pieds froids » symbolisent l'accueil parfois glacé réservé à l'œuvre poétique, renforçant l'idée d'une « horrible naissance ». Cette tension entre la pureté idéalisée, incarnée par la « vierge azur », et la réalité parfois décevante de la création est au cœur de la métaphore de l'enfantement.

II. Mise en évidence de la souffrance, du drame de la création

L'opposition entre le jour et la nuit est un élément clé dans ce poème. La nuit y est décrite comme chaleureuse et riche, évoquée par des images d'« aromates et d'or », et illuminée par une « lampe angélique », renforçant la dimension religieuse de la création artistique. En revanche, l'aurore apporte avec elle des images de froid et de désolation, comme le montrent les « carreaux glacés » et la description de l'aurore elle-même en termes de noirceur et de blessure, suggérant le conflit douloureux du poète avec la réalité.

L'aube marque un moment de déception, où le poète découvre son œuvre sous une lumière nouvelle, moins clémente. Les mots « hélas » et « relique » expriment le regret et la déception du poète face à ce qui semble n'être qu'un reste imparfait de sa vision initiale. L'oxymore « sourire ennemi » illustre parfaitement cette ambivalence, tandis que la « solitude bleue et stérile » personnifie l'isolement dans lequel l'œuvre a été créée.

III. L’espoir d’une consolation et de l'acceptation

Face à cette déception, le poète se tourne vers sa femme, symbolisée dans le vers « Ô la berceuse ». Il cherche du réconfort et une forme d'acceptation dans l'intimité et la douceur, bien que des détails réalistes viennent nuancer cette quête d'apaisement. Le lait nourricier, désigné par la « blancheur sibylline », est demandé par le poète pour son enfant poème, métaphore de l'espoir d'une pureté de la langue et d'une harmonie avec la musique.

La conclusion du poème révèle la nature complexe et exigeante de la création artistique pour Mallarmé. À travers la métaphore filée, il exprime non seulement sa déception face à la création, mais aussi son espoir d'un jugement extérieur bienveillant, symbolisé par la figure de la femme. L'idée de paternité, tant réelle que fictive, imprègne profondément l'œuvre de Mallarmé, révélant les tourments et les aspirations d'un poète en quête d'absolu dans son art.

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