Analyse du poème "Voyelles" de Rimbaud

Analyse du poème "Voyelles" de Rimbaud

Introduction

 

Dans "Voyelles", poème emblématique extrait de "Poésies" et écrit par Arthur Rimbaud en 1872, bien que publié en 1883, le lecteur est plongé dans un univers où les lettres de l'alphabet ne sont plus de simples signes. Ce sonnet en alexandrins, reconnu pour son caractère énigmatique, a suscité une multitude d'interprétations. Rimbaud y associe les voyelles à des couleurs, des sensations et des images, tissant ainsi un réseau complexe de correspondances sensorielles.

 

I. Des associations avec les voyelles

 

Rimbaud, dans "Voyelles", crée un lien unique entre chaque voyelle et un ensemble de couleurs, de sensations et d'images. Dès le premier vers, il attribue une couleur spécifique à chaque voyelle, créant ainsi un paysage visuel riche et varié. Par exemple, le "A noir" est associé à des images sombres comme le "noir corset" et les "mouches", tandis que le "E blanc" évoque la pureté et l'innocence avec des termes tels que "candeur" et "vapeurs". Le "I rouge" est quant à lui lié à la passion et à la colère, illustré par des mots comme "pourpres" et "sang". Le "U vert" fait écho à la nature et à la fraîcheur avec "virides", et le "O bleu" nous transporte dans une dimension spirituelle et mystique avec des références au "suprême Clairon" et aux "Anges".

 

En plus de ces associations chromatiques, Rimbaud enrichit son poème de sensations diverses. Il joue sur les sens du toucher avec "velu", de l'odorat avec "puanteurs", du frisson corporel, de la vue avec des termes lumineux comme "éclatantes" et "rayon", et de l'ouïe avec des néologismes tels que "bombinent" et "strideurs". Ce mélange de sensations est renforcé par l'usage habile d'allitérations et d'assonances, comme on peut le voir avec l'assonance en [i] au vers 9, qui crée une musicalité particulière et renforce l'imagerie du poème.

 

II. Le poète, créateur voyant

 

Dans "Voyelles", Rimbaud se présente comme un créateur, un poète voyant capable de révéler les "naissances latentes" des voyelles. Il s'adresse directement aux voyelles, les personnifiant et leur promettant de dévoiler un jour leurs secrets. Cette promesse de révélation future souligne le rôle du poète en tant que démiurge, capable de percevoir et de créer des mondes cachés.

 

L'ordre des voyelles dans le poème est également significatif. Rimbaud commence par le "A" et termine par le "O", inversant l'ordre habituel pour placer le "O" en dernier, évoquant ainsi l'alpha et l'oméga, le début et la fin. Cette structure confère au poème une dimension cyclique et totale, renforçant l'idée que le poème est un univers en soi, complet et autosuffisant.

 

La fin du poème, avec la couleur violette, symbolise la synthèse et la vision du poète qui transcende les apparences. Le violet, mélange du rouge et du bleu, représente une nouvelle création, une couleur qui n'était pas mentionnée au début du poème. Les "Yeux", majuscules, non spécifiés, pourraient appartenir à Dieu, à une muse, ou au poète lui-même, symbolisant la capacité du poète à voir au-delà du visible, à percevoir les nuances cachées du monde.

 

III. Hypothèses sur la signification du poème "Voyelles"

 

Les interprétations de "Voyelles" sont aussi variées que le poème lui-même. Une lecture possible est que chaque voyelle représente une étape de la vie, allant de la mort et de la décomposition symbolisées par le "A noir", à l'atteinte d'un idéal spirituel et divin avec le "O bleu". Cette progression se reflète dans le vocabulaire utilisé, passant de termes péjoratifs pour le "A" à des termes élogieux pour le "O".

 

Une autre interprétation envisage le poème comme le portrait d'une femme, où chaque voyelle dessine une partie de son corps ou de son être, allant du "corset velu" du "A" à la mystique et la beauté des "yeux bleus-violets" du "O". Cette lecture souligne la sensualité et la complexité de la féminité telle que perçue par le poète.

 

Conclusion

 

"Voyelles" de Rimbaud est un poème qui défie les conventions, transformant les lettres et les mots en objets de création poétique. Chaque voyelle devient un monde en soi, riche en images, en sensations et en significations. Ce poème illustre la capacité du poète à transcender le quotidien, à trouver dans les éléments les plus simples de la langue des sources infinies d'inspiration et de création.

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