Analyse du poème "Enivrez-vous" de Baudelaire dans Le Spleen de Paris

Analyse du poème "Enivrez-vous" de Baudelaire dans Le Spleen de Paris

Introduction

 

"Enivrez-vous", un poème en prose de Charles Baudelaire, est extrait du recueil "Le Spleen de Paris", publié posthumément en 1869. Ce recueil, inspiré par "Gaspard de la nuit" d'Aloysius Bertrand, marque un tournant dans l'écriture de Baudelaire, qui y explore le quotidien du monde moderne et urbain. Bien que concomitant à "Les Fleurs du Mal", "Le Spleen de Paris" en diffère par sa forme, tout en partageant des thématiques similaires. Dans "Enivrez-vous", Baudelaire aborde un thème récurrent dans son œuvre : la lutte contre la fuite du temps et son fardeau. L'expérience personnelle de Baudelaire avec le vin et les drogues, notamment l'opium, imprègne ce poème d'une dimension autobiographique.

 

I. L'enivrement, un remède à la fuite du temps

 

1. Le temps : l'ennemi

 

Dans "Enivrez-vous", le temps est présenté comme un ennemi, un thème traditionnel en poésie. Le champ lexical du temps ("temps", "horloge", "heure") se mêle à celui de la souffrance ("brise", "fardeau", "esclaves martyrisés"), soulignant son aspect destructeur. Le temps est personnifié en un être tyrannique, brisant l'homme et le courbant vers la terre. Cette vision négative du temps est renforcée par des structures parallèles et des métaphores dépréciatives, évoquant un fardeau horrible et des esclaves martyrisés. La lourdeur de la phrase "Pour ne pas sentir…" fait écho à la pesanteur du temps, un thème également présent dans d'autres poèmes de Baudelaire comme "L'ennemi" et "L'horloge".

 

2. L'ivresse, un remède à la fuite du temps

 

Baudelaire propose l'ivresse comme remède à la fuite du temps, mais pas seulement celle du vin. Il élargit la notion d'ivresse à la poésie et à la vertu, offrant ainsi trois moyens d'échapper au poids du temps : l'oubli par l'alcool, la transformation de la vision du monde par la poésie, et l'élévation de l'âme par la vertu. Cette vision non moralisatrice de l'ivresse, présentée comme un choix personnel ("à votre guise"), confère à l'ivresse une noblesse, la détachant de sa connotation traditionnellement négative.

 

3. Une ivresse à entretenir sans cesse

 

Baudelaire insiste sur la nécessité d'une ivresse constante ("toujours", "sans trêve", "sans cesse"). Il utilise un rythme ternaire pour illustrer que l'ivresse doit être maintenue quel que soit le contexte, et s'adresse à tous les lecteurs, indépendamment de leur statut social. L'ivresse est présentée comme un rêve dont il faut sans cesse se réenivrer, une idée renforcée par l'utilisation du verbe "se réveiller". Ce poème est provocateur, car il présente l'ivresse, habituellement considérée comme un vice, comme un échappatoire.

 

II. Une demande lyrique

 

1. Une exhortation au lecteur

 

Baudelaire utilise l'exhortation pour encourager le lecteur à échapper à l'angoisse du temps. Il interpelle directement le lecteur avec des impératifs ("enivrez-vous", "demandez"…) et prend à témoin les éléments naturels et l'horloge. L'horloge, loin d'être un symbole de la tyrannie du temps, devient une conseillère. Le poème est rythmé par la répétition du verbe "s'enivrer" et se termine par un discours direct, rendant l'exhortation plus vivante. L'urgence de cette demande est soulignée par l'utilisation des points d'exclamation et une allitération en [v], évoquant la douceur de l'ivresse.

 

2. Un lyrisme très présent

 

Le poème est empreint de lyrisme, marqué par de nombreuses exclamations et un rythme rapide. Les sentiments et l'angoisse du poète face au temps transparaissent clairement, conférant au texte une dimension lyrique. Ce lyrisme s'inscrit dans la tradition romantique, où la nature parle à l'homme et participe à son émotion.

 

3. Une demande universelle

 

Dès le titre, "Enivrez-vous", le poème s'adresse à tous. La

 

 thèse de Baudelaire est posée comme une vérité générale dès la première phrase, affirmant ainsi son universalité. La question de l'ivresse est posée à l'ensemble de la nature, symbolisant l'universalité du thème. L'anaphore de "à tout ce qui" renforce cette idée, suggérant que la réponse à la question de l'ivresse est toujours la même, quelle que soit la chose à laquelle elle est posée. La construction particulière de la phrase finale, avec son rythme rapide et sa structure, confirme la nature poétique du texte.

 

Conclusion

 

"Enivrez-vous" de Charles Baudelaire aborde la question de l'échappatoire au fardeau du temps. Le poète propose l'ivresse, non seulement celle du vin, mais aussi une ivresse spirituelle apportée par la poésie ou la vertu. Ce poème en prose, riche en images et en rythme, illustre la quête baudelairienne d'un remède à la fuite inexorable du temps.

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