Analyse de Manon Lescaut de L'Abbé Prévost, la mort de Manon

Analyse de Manon Lescaut de L'Abbé Prévost, la mort de Manon

Introduction

 

Antoine François Prévost, né en 1697, a mené une vie aussi aventureuse que contradictoire avec son titre ecclésiastique d'abbé. Issu d'une famille aisée de la noblesse de robe, il a bénéficié d'une éducation soignée et a démontré une ardeur de vivre qui l'a poussé à s'engager dans l'armée, à rejoindre les jésuites, puis les bénédictins, et à voyager à travers l'Europe. Criblé de dettes et victime d'une lettre de cachet, il meurt d'apoplexie en 1763. Son œuvre majeure, "Manon Lescaut", publiée initialement en 1731 puis en 1753, est un roman qui s'inscrit dans le mouvement du retour de la sensibilité après le rationalisme des Lumières. L'abbé Prévost y dépeint un « exemple terrible de la force des passions », à travers le personnage de des Grieux, irrésistiblement attiré vers la déchéance par son amour pour Manon.

 

Dans cet épisode, nous assistons au dénouement tragique de l'histoire de Manon et des Grieux en Amérique. Après avoir été déportée, Manon vit en paix avec des Grieux au Nouvel-Orléans jusqu'à ce que le Gouverneur annonce son intention de marier Manon à son fils, Synnelet. Leur fuite dans le désert se termine par la mort de Manon d'épuisement. Ce passage, qui constitue le véritable dénouement du récit, est raconté de manière sobre mais laisse transparaître une profonde douleur.

 

Commentaire littéraire

 

I. La sobriété du récit

 

1. Les caractéristiques de la narration

 

Des Grieux, en tant que narrateur, exprime la réalité de son chagrin à travers un discours qui domine le récit. Il s'adresse directement à son interlocuteur, multipliant les formules de politesse et les excuses pour la brièveté de son récit. Les signes corporels de Manon, tels que ses mains froides et tremblantes, sa voix faible et ses soupirs fréquents, sont les seuls indices de son agonie. Dans ce récit, Manon apparaît résignée, acceptant son destin avec une nouvelle image de dignité.

 

2. Le récit impossible

 

Des Grieux peine à raconter les détails de la mort de Manon, s'excusant de sa brièveté. Il utilise des euphémismes pour atténuer la brutalité de la mort, évitant de prononcer le mot lui-même. Ce style noble et soutenu, conforme aux règles de bienséance de l'époque, suggère la mort plutôt que de la décrire explicitement.

 

II. Une mort pathétique

 

1. Un couple uni

 

Les derniers moments de Manon sont marqués par des gestes d'amour et de tendresse. L'attention et le soin mutuels entre Manon et des Grieux sont palpables, mêlant les lexiques du corps et de l'amour. Leurs gestes, à la fois doux et désespérés, illustrent la fusion de l'amour et de la mort, symbolisée par les mains et la bouche, ainsi que par les vêtements que des Grieux utilise pour réchauffer puis ensevelir Manon.

 

2. Le pathétique de la scène

 

Des Grieux se décrit comme un mort-vivant, incapable de surmonter la perte de Manon. La temporalité du récit mêle le passé, le présent et l'avenir, soulignant l'impact dévastateur de cette mort sur sa vie. Le pathétique est renforcé par la puissance des sentiments exprimés, notamment à travers la personnification de sa douleur.

 

III. Le sens donné à la mort de Manon

 

1. Un châtiment divin

 

Des Grieux interprète la mort de Manon comme un châtiment divin, une punition pour leurs fautes. Il se voit comme plus coupable, condamné à vivre une vie de souffrance et de regret. Cette interprétation reflète la vision tragique du destin et de la culpabilité.

 

2. Une mort rédemptrice

 

La mort de Manon est présentée comme une rédemption. Elle se montre dévouée et tendre, loin de la Manon libertine du début du roman. Cette mort marque une rupture avec le reste de l'œuvre, présentant Manon sous un jour plus sympathique et héroïque. Sa mort, vue comme une purification, contraste avec la vie de débauche qu'elle a menée auparavant.

 

Conclusion

 

Le récit de la mort de Manon, par sa sobriété et son élégance, illustre l'art de Prévost dans l'utilisation de la litote et de l'ellipse. "Manon Lescaut" explore la passion sous deux angles : la beauté enivrante de l'amour et la puissance destructrice de la passion. Ce roman invite à une réflexion sur la destinée humaine, illustrant la dimension tragique de la passion, un thème également exploré par les dramaturges classiques tels que Racine. En fin de compte, "Manon Lescaut" est une œuvre qui vise à instruire et à faire réfléchir sur les conséquences de la passion dévorante.

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