Etude linéaire du poème Le Dormeur du Val de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai

Etude linéaire du poème Le Dormeur du Val de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai

Problématique : Comment Rimbaud critique-t-il la guerre dans ce poème ?


Premier quatrain : un cadre idyllique

Le poème s’ouvre sur un paysage bucolique, lumineux et paisible, présenté comme un refuge. Rimbaud choisit le sonnet, forme poétique fixe souvent associée à l’amour ou à la contemplation : ici, elle sert à mieux piéger le lecteur.

La nature y est vivante et accueillante : elle est animée par des personnificationsla rivière chante », « accroche follement »), ce qui donne au cadre un caractère presque magique. Le relief aussi est personnifié : la « montagne fière » semble protéger la vallée. Trois des quatre éléments classiques sont mentionnés : eau (la rivière), terre (la vallée, l’herbe), feu/lumière (les rayons du soleil), et ils sont en harmonie, formant un écrin protecteur.

La lumière est omniprésente, avec deux rejets qui accentuent son effet : « d’argent » et « luit ». La nature brille, elle semble douce, hospitalière. Ce premier quatrain, avec ses vers réguliers et ses sonorités douces, installe un climat trompeusement serein, qui contraste avec la révélation finale.


Deuxième quatrain : l’apparition du soldat endormi

Dans cette deuxième strophe, Rimbaud introduit une figure humaine : le soldat. Il est immédiatement caractérisé par sa jeunesse : « soldat jeune », l’adjectif postposé attire l’attention sur son âge, renforçant l’idée d’une vie encore en devenir. Son corps est exposé, vulnérable : sa tête nue, sa bouche ouverte — autant de détails qui le rapprochent d’un enfant endormi, non d’un soldat aguerri.

La nature continue de jouer un rôle protecteur : le « lit vert » évoque un cocon végétal ; la lumière pleut, douce et bienveillante. Le participe présent « baignant » crée une impression de tendresse maternelle. Tout ici semble apaisé, mais déjà, certains détails sèment le doute : cette passivité totale est-elle vraiment un simple sommeil ?


Premier tercet : le sommeil ou la mort ?

Le poème insiste alors sur le sommeil du soldat. Le verbe « dort » est mis en valeur par sa position centrale dans le vers 9, puis repris dans l’expression « il fait un somme ». La répétition entretient l’ambiguïté : s’agit-il vraiment de repos ? Le verbe « berce », attribué à la nature, continue de construire une image faussement apaisante.

Mais des signes inquiétants apparaissent : le soldat dort « les pieds dans les glaïeuls ». Ces fleurs, traditionnellement associées au deuil, contrastent avec la gaieté du décor initial. L’injonction du poète à la nature (« qu’il a froid ») introduit une forme de malaise : pourquoi aurait-il froid dans un décor aussi doux ? C’est une fausse tendresse, une ironie tragique.


Deuxième tercet : la révélation finale

La dernière strophe rompt l’ambiguïté. Rimbaud continue d’utiliser des formules atténuées : il ne dit jamais explicitement « il est mort ». Pourtant, tout le laisse entendre. La négation « les parfums ne font pas frissonner sa narine » traduit l’absence de réaction, donc de vie. La position du corps, « la main sur la poitrine », évoque un geste figé, une pose mortuaire. Le rejet de l’adjectif « tranquille » renforce l’idée d’une fixité glacée.

Enfin, le dernier vers, brutal dans sa simplicité : « Il a deux trous rouges au côté droit ». Cette phrase, très courte, sans pathos ni effet lyrique, vient briser toute l’harmonie construite jusqu’ici. Le mot « trou », repris du vers 1 (« un trou de verdure »), oblige à relire tout le poème différemment. Ce retour circulaire transforme la nature accueillante du début en piège silencieux de la mort.

Le style de cette phrase renforce son effet : asyndète, rythme saccadé, monosyllabes. Il n’y a plus d’alexandrin, plus de chant : juste la violence nue de la guerre, révélée trop tard.


Conclusion :

Rimbaud construit dans Le Dormeur du val un piège poétique : en installant d’abord un décor apaisant et en faisant croire au sommeil d’un jeune soldat, il retarde volontairement la révélation de la mort. Par l’utilisation d’une nature personnifiée et faussement bienveillante, d’une structure régulière, d’un lexique lyrique et sensoriel, il critique la guerre sans jamais la nommer.

 

Ce qui choque, c’est justement ce contraste : la beauté du monde n’empêche pas la mort, elle la camoufle. Le poème dénonce ainsi l’absurdité de la guerre, qui fait mourir les jeunes hommes dans l’indifférence silencieuse d’un paysage trop beau pour être vrai. Par cette chute finale saisissante, Rimbaud transforme un poème bucolique en poème engagé, et laisse au lecteur toute la violence d’une prise de conscience.


Dans ce sonnet d'Arthur Rimbaud, écrit dans le contexte de la guerre franco-prussienne de 1870, le poète dépeint un paysage bucolique qui dissimule une réalité tragique : la mort d'un jeune soldat. Cette œuvre, qui semble au premier abord célébrer la sérénité de la nature, se révèle être une dénonciation poignante de la guerre. L'analyse de ce poème nous invite à explorer comment Rimbaud utilise le cadre naturel, le portrait du soldat et la chute surprenante pour révéler progressivement la vérité tragique.

 

Le premier mouvement du poème, correspondant au premier quatrain, établit un cadre naturel idyllique. Rimbaud utilise des descriptions riches et sensorielles pour peindre un tableau vivant de la vallée. L'emploi du présent de l'indicatif et les allitérations créent une impression de réalisme et de mouvement, tandis que la personnification de la rivière et de la montagne insuffle de la vie dans le paysage. La lumière joue un rôle crucial dans cette description, avec des termes tels que "haillons d'argent" et "luit", qui confèrent au lieu une qualité presque magique. Ce premier mouvement nous plonge dans un univers où la nature semble accueillante et paisible, un lieu de refuge loin des horreurs de la guerre.

 

Le deuxième mouvement se concentre sur le portrait du soldat, qui est à la fois détaillé et ambivalent. Rimbaud décrit le soldat avec des termes qui pourraient suggérer qu'il est simplement endormi dans un cadre naturel harmonieux. Cependant, des indices subtils, tels que la pâleur du soldat et l'immobilité suggérée par le verbe "dort", commencent à semer le doute dans l'esprit du lecteur. L'utilisation de la lumière et des couleurs continue de jouer un rôle important, créant une atmosphère à la fois sereine et inquiétante. Le portrait du soldat, pris dans cette nature protectrice, oscille entre la vie et la mort, entre le sommeil et un état plus sinistre.

 

La chute du sonnet, dans le dernier tercet, révèle brusquement la vérité : le soldat est mort, comme l'indiquent les "deux trous rouges au côté droit". Cette révélation frappante contraste fortement avec l'ambiance paisible établie précédemment. La mort du soldat, suggérée de manière subtile tout au long du poème, est finalement confirmée, changeant radicalement la perception du lecteur. La nature, qui semblait être un havre de paix, devient le théâtre silencieux d'une tragédie humaine.

 

En conclusion, ce sonnet de Rimbaud est un exemple puissant de la manière dont la poésie peut à la fois célébrer la beauté et dénoncer la brutalité. Le cadre bucolique initialement présenté se transforme en un lieu de mort, révélant ainsi la réalité cruelle de la guerre. La construction du poème, avec son développement progressif et sa chute surprenante, invite le lecteur à une relecture, révélant ainsi les couches de signification cachées sous la surface d'une nature apparemment sereine. Ce poème est donc à la fois une œuvre esthétique, par sa richesse picturale, et un commentaire politique sur l'innocence perdue et les ravages de la guerre.


L’écriture poétique est une manière pour les auteurs de dénoncer la violence et les injustices de la guerre. C’est dans le contexte de la guerre contre la Prusse de 1870, qu’Arthur Rimbaud écrit “Le Dormeur du Val”, extrait de son recueil Les Cahiers de Douai publié en 1893. Il y met en scène le lieu de mort d’un soldat ayant pour toile de fond une nature idyllique. Ainsi, nous pouvons nous demander comment la nature luxuriante décrite par Arthur Rimbaud met en valeur la destinée funeste du soldat dans “Le Dormeur du Val”. Nous nous intéresserons dans un premier mouvement à la description du cadre lumineux et idéal du poème avant d’étudier la description funeste du personnage dans un deuxième mouvement. Enfin, nous nous attarderons sur la manière dont la chute est mise en scène.



Mouvement 1 : Le cadre (Premier quatrain)

 

“un trou” : Désigne normalement une tombe -> on annonce implicitement la mort dès le début du poème

 

“où chante une rivière” -> personnification de la rivière -> verbe chanter montre qu’elle est en fête

 

“Accrochant follement aux herbes des haillons/ D’argent” -> poursuite de la personnification, la nature est luxuriante et semble préparer un événement joyeux

 

“montagne fière” -> Vient du latin qui signifie féroce -> la montagne est le champ de bataille, l’endroit de la mort -> un lieu funeste

 

CL de la lumière : “argent” “soleil” “luit” “rayons” -> cadre paisible et lumineux-> à priori agréable-> impression accentuée par le rejet du verbe “luit” au vers 4



Mouvement 2 : Le personnage (Deuxième quatrain)

 

“Un soldat jeune” -> l’adjectif est placé après le nom pour le mettre en valeur et insister sur la jeunesse du soldat 

 

“Bouche ouverte, tête nue” -> deux attitudes qui semblent anormales -> Normalement les hommes dorment la bouche fermée et les soldats portent un casque -> amène l’idée qu’il est inanimé

 

“la nuque baignant dans le frais cresson bleu” -> joue sur l’expression fréquemment utilisée pour annoncer la mort dans les romans : “la nuque baignant dans le sang” -> mais Rimbaud remplace le sang par “le frais cresson bleu” -> inattendu, crée un effet d’attente chez le lecteur + cesson bleu -> normalement le cresson est vert mais ici il est décrit comme bleu pour des questions de sonorité

 

“Dort” -> Rejet du verbe le met en valeur + 1ère évocation du sommeil du soldat -> euphémisme qui amène sa mort

 

“il est étendu dans l'herbe, sous la nue” -> il dort au beau milieu d’un champ sans ombre, en proie au soleil mais il est tout de même “Pâle” -> adjectif mis en avant par le rejet 

 

“dans son lit vert où la lumière pleut” -> lit mortuaire -> hypallage : on entend la lumière “pleure” -> la nature se lamente sur son sort.



Mouvement 3 : Une mort cruelle et injuste (Deux tercets)

 

“Les pieds dans les glaïeuls, il dort.” -> deuxième apparition du verbe dormir -> Rimbaud insiste sur le repos, l’aspect inanimé du soldat continuant de préparer le lecteur à la chute

 

Fin du premier tercet : allitération en “r” et allitération en “s” -> Marquent la violence et la souffrance du soldat par les sons

 

“comme/Sourirait un enfant malade” : Sourire triste et pathétique -> n’a pas la résonance d’un sourire joyeux et rend la scène plus tragique

 

“il fait un somme” -> Variante du verbe dormir -> 3ème apparition-> déterminant indéfini “un” -> comme si le soldat se reposait momentanément-> amène la mort comme un repos

 

“Nature, berce-le chaudement : il a froid.” Apostrophe de la nature, antithèse et nouvel hypallage : Contraste “chaudement” VS “froid” + ici, le verbe avoir se confond avec le verbe être -> il est froid -> son corps est mort

 

“Les parfums ne font pas frissonner sa narine “ -> Euphémisme pour signifier qu’il ne respire plus -> il n’est plus sensible à la beauté de la nature qui l’entoure

 

“Il dort dans le soleil” -> 4ème et dernière apparition du verbe dormir -> dans le soleil ->semble improbable : la guerre fait rage de jour -> et lui est là étendu en proie aux rayons du soleil

 

“la main sur sa poitrine” -> signe patriote ou signe de douleur? 

 

“Tranquille.” rejet de l’adjectif -> le met en valeur -> comme si le soldat trouvait enfin la paix dans la mort

 

“Il a deux trous rouges au côté droit.” -> chute : annonce de la mort. Côté droit -> côté de la justice pour les romains -> le soldat est victime d’une mort injuste, emporté par les atrocités de la guerre

 


Comment Rimbaud utilise-t-il la forme fixe du sonnet pour mettre en scène la mort du soldat et ainsi dénoncer les horreurs de la guerre ? 

 

I) Une nature féerique

 

Nous avons tout d’abord, une personnification de la nature qui nous montre la joie de celle-ci. La métaphore “des haillons d’argent” décrit ici la projection de lumière sur les gouttes d’eau qui se situent sur l’herbe ce qui renforce l’impression festive de la nature qui représente la vie dans ce sonnet. De plus, le champ lexical de la fête renforce l’idée de la joie : “chante” et “follement”. Le champ lexical de la fête est donc utilisé pour nous faire comprendre qu’il y du mouvement. Ainsi, la métaphore “qui mousse de rayons” insiste sur le fait que la nature est en mouvement et festive. On peut également dire que cette abondance de lumière symbolise la vie. 

D’autre part, nous avons la présence de rimes embrassées qui nous font penser aux bras d’une mère serrant son enfant contre son coeur. Il nous donne une clé avec “Nature, berce-le chaudement” qui affirme qu’ici la nature tient le soldat mort dans ses bras, comme une mère qui porte son enfant.

 

II) Les indices de la mort

 

La phrase “C'est un trou de verdure” nous fait penser à une sorte de tombe creusée pour le soldat. Le mot “trou” du premier vers nous fait tout de suite penser au dernier vers. De plus, le poète crée une attente chez le lecteur avec l’emploi de l’adjectif “fière” qui vient du latin fiera signifiant la bête féroce : “la montagne fière”. C'est un hypallage qui évoque la violence des combats sur le champ de bataille. On peut aussi y voir une métaphore de Napoléon III. Rimbaud laisse dans ce poème des indices qui nous donnent déjà une idée sur la fin de celui-ci, comme : “Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue”. L’auteur place ici l’adjectif après le nom pour insister sur la jeunesse du soldat. On nous parle ensuite de la position du soldat qui n’est pas habituelle puisqu’il garde constamment la bouche ouverte. Et à la fin de ce vers, on voit que le soldat est allongé sans son casque, ce qui ne respecte pas l’uniforme et nous interroge : est-ce un déserteur ? a-t-il un problème ? De plus, le vers “Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu” nous laisse imaginer qu’il ne fait plus qu’un avec la nature. Sauf que le mot “baignant” nous fait tout de suite penser à l’expression “baigner dans son sang” qui évoque fortement l’idée de la mort. Rimbaud crée encore une forte insistance avec la répétition du verbe “Dort” à trois reprises, plus “il fait un somme”. Les vers “il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut”, développent toujours davantage le malaise ressenti par le lecteur. En effet, le poète nous montre un soldat allongé dans l’herbe, le fait qu’il soit immobile peut nous faire penser qu’il dort. Mais dans la suite du vers, l’adjectif “pâle” est anormal car le soldat est censé être endormi au soleil donc il devrait être bronzé ou rouge. On remarque aussi que la nature semble pleurer pour le soldat avec la métaphore “où la lumière pleut”. Le poète emploie l’adjectif “malade” ce qui peut nous faire penser à l’état actuel du soldat mais on a également le mot “enfant” car la nature considère le soldat comme étant son fils : “Souriant comme Sourirait un enfant malade”. L’idée de souffrance est soulignée par les allitérations en [r] et en [s]. Le champ lexical de la mort se renforce avec “il a froid” (en réalité il est froid) et “Les parfums ne font pas frissonner sa narine”. Le soldat s’est endormi face au soleil sans se protéger de celui-ci ce qui est paradoxal : “Il dort dans le soleil”. On remarque que le soldat fait un geste patriotique en posant “la main sur sa poitrine Tranquille”, ce n’est donc pas un déserteur. Le rejet de “Tranquille” souligne le contraste avec la nature qui est constamment en mouvement. Enfin, Rimbaud utilise un euphémisme pour surprendre son lecteur dans la chute du poème et pour le faire réfléchir : “Il a deux trous rouges au côté droit.” Le présent utilisé est un présent de narration puisque le poète semble nous raconter une histoire mais dans laquelle il ne se passe rien puisque le seul verbe attaché au personnage décrit est le verbe dormir. On peut donc faire un rapprochement avec le conte de «la Belle au bois dormant» et le présent devient alors un présent d’éternité. Cependant dans le cas du soldat aucun baiser ne viendra le réveiller. L’hypallage “où le soleil de la montagne fière”, souligne la férocité des combats menés sur ce champ de de bataille puisque l’adjectif qualificatif “fier” vient du latin “fiera” qui désigne la bête féroce. Ainsi Rimbaud dénonce l’injustice de la guerre puisque ce sont les hommes qui sont les êtres les plus cruels dans la nature.

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