Analyse du Prologue de Gargantua de Rabelais

Analyse du Prologue de Gargantua de Rabelais

Introduction

 

François Rabelais, figure emblématique de la Renaissance et humaniste aux multiples facettes (moine, médecin, juriste), a marqué la littérature française par son œuvre audacieuse et novatrice. Son père spirituel, Erasme, a fortement influencé sa pensée. "Gargantua", publié en 1534, deux ans après "Pantagruel", explore les origines du personnage éponyme. Dans le prologue de "Gargantua", Rabelais s'adresse directement au lecteur, inaugurant son récit par une entrée en matière à la fois comique et sérieuse. Nous allons analyser ce prologue, qui, sous un vernis de burlesque, dissimule une réflexion profonde sur la littérature et l'humanisme.

 

I. Un prologue comique

 

Dans l'ouverture de "Gargantua", Rabelais interpelle directement ses lecteurs en les qualifiant de "buveurs", les défigurant comiquement. Cette apostrophe initiale instaure un ton moqueur, où le public est tourné en ridicule, piqué dans son orgueil par des affirmations telles que "vous pensez trop facilement". Le champ lexical du comique, avec des termes récurrents tels que "drôles", "frivoles", "rire", "joyeux", installe une atmosphère légère et divertissante. La structure du texte, marquée par un enchaînement de comparaisons sans lien logique apparent, notamment dans le passage de l'apostrophe à Socrate et aux Silènes, crée un effet d'absurdité humoristique. L'exagération et le mélange des registres sont également présents, notamment dans la comparaison de Socrate à une pelure d'oignon, illustrant un mélange de registres, associant une figure philosophique à un objet trivial. Les énumérations comiques, telles que les chimères sur les Silènes, les défauts de Socrate, et les conditions sociales, sont énumérées de manière excessive, semblant perdre le fil de la pensée. L'énumération des œuvres de Rabelais, mêlant titres réels et inventés, ainsi que l'association de Socrate à un dicton populaire en fin de deuxième paragraphe, renforcent l'effet comique. Ainsi, Rabelais, sous couvert de divertissement, prépare le lecteur à percevoir une dimension plus sérieuse.

 

II. La démonstration de la valeur de son œuvre

 

Malgré son apparence comique, le texte de Rabelais est structuré de manière rigoureuse, utilisant des connecteurs logiques et des questions rhétoriques pour guider le lecteur. La dualité est un thème central du prologue, explorée à travers les métaphores des Silènes et de Socrate. Le premier paragraphe explore cette dualité, montrant les Silènes laides extérieurement mais sérieuses intérieurement, une métaphore pour Socrate et, par extension, pour le livre lui-même. Le deuxième paragraphe révèle la dualité de l'œuvre de Rabelais : derrière l'humour se cachent des intentions sérieuses. L'unité du passage est renforcée par la métaphore filée de la boîte, soulignant la différence entre le contenant et le contenu, et les références à Platon et Socrate élèvent le texte, le comparant à un modèle de pensée et d'humanité. L'utilisation d'un vocabulaire médical et valorisant pour décrire le "contenu" de Socrate et des Silènes met en lumière la conviction de Rabelais que la lecture peut être un remède pour l'âme.

 

III. Un prologue humaniste

 

Le prologue de "Gargantua" est imprégné de références à l'Antiquité, soulignant l'importance de l'humanisme dans l'œuvre de Rabelais. L'auteur incite le lecteur à distinguer entre les apparences et la vraie valeur, à travers les exemples des Silènes et de Socrate. Par comparaison avec son œuvre, Rabelais fait l'éloge de la lecture, demandant un lecteur capable de percevoir la beauté et les enseignements cachés derrière les apparences.

 

Conclusion

 

Le prologue de "Gargantua" de Rabelais est une œuvre complexe qui théorise et met en pratique le projet de l'auteur : enseigner tout en divertissant. Ce double aspect, à la fois burlesque et sérieux, témoigne de la liberté et de l'audace de Rabelais. Il invite le lecteur à un dialogue actif, lui apprenant à voir au-delà des apparences.


 

L'apostrophe est surprenante car elle s'adresse directement aux "buveurs très illustres" et aux "véronés très précieux", ce qui confère un ton familier et ironique, contrastant avec l'attente d'un prologue plus sérieux et solennel.

 

Rabelais choisit ces destinataires pour établir une complicité avec son lecteur. Il utilise un ton provocateur pour attirer l'attention et annoncer le caractère satirique et parodique de son œuvre.

 

La mention du Banquet de Platon, un texte philosophique sérieux, contraste fortement avec l’adresse initiale aux buveurs et véronés. Cela crée un effet comique et ironique, soulignant la parodie et le mélange des registres.

 

Le narrateur prend soin de décrire en détail les Silènes, comparant leur apparence extérieure grotesque à leur contenu intérieur précieux, pour illustrer la métaphore de la profondeur cachée sous une apparence trompeuse.

 

Il décrit les boîtes des Silènes comme étant peintes de figures comiques et grotesques, alors qu'à l'intérieur, elles contiennent des drogues précieuses. Cette opposition souligne le contraste entre l'extérieur trivial et l'intérieur précieux.

 

Le contraste est utilisé pour souligner la thèse selon laquelle l’apparence peut être trompeuse et que la véritable valeur se trouve souvent cachée à l’intérieur, nécessitant une investigation plus profonde.

 

Comme les Silènes, Socrate avait une apparence extérieure banale mais possédait une sagesse intérieure immense. Cela rappelle aux lecteurs qu’ils doivent chercher au-delà des apparences pour trouver la véritable sagesse et la valeur, comme ils doivent le faire en lisant ce livre.

 

Le narrateur décrit Socrate de manière détaillée et physique, soulignant ses traits ridicules et peu attrayants, comme son nez pointu et son visage de fou, pour montrer son apparence extérieure risible.

 

Malgré son apparence ridicule, Socrate est décrit comme possédant des qualités intérieures exceptionnelles : une grande sagesse, une force d’âme, et un mépris pour les vanités humaines. Cette dualité souligne l’aspect ambigu de son personnage.

 

Socrate est décrit comme ayant une force d’âme merveilleuse, un courage invincible, une sobriété sans pareille, un contentement assuré, une assurance parfaite, et un mépris incroyable pour les vanités humaines. L’auteur met en valeur ces qualités en les énumérant et en soulignant leur rareté et leur valeur inestimable.

 

Les Silènes et Socrate sont présentés de manière similaire : un extérieur peu attrayant mais un intérieur précieux et sage. Cette comparaison renforce le message que l’apparence peut être trompeuse et que la véritable valeur se trouve à l’intérieur.

 

Ce passage résonne avec le prologue entier, soulignant le thème central de l’apparence trompeuse et de la valeur intérieure cachée. Il établit une continuité avec la description des Silènes et prépare le lecteur à chercher au-delà des apparences tout au long du texte.

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