Analyse du chapitre 27 de Gargantua de Rabelais

Analyse du chapitre 27 de Gargantua de Rabelais

Analyse linéaire

Introduction

Dans ce passage du chapitre 27 de Gargantua, François Rabelais dépeint une scène de violence où Frère Jean des Entommeures, moine guerrier, défend son abbaye contre l’attaque des soldats ennemis. À travers un mélange de comique, de parodie et de satire sociale et religieuse, Rabelais critique la guerre, la violence et les dérives de l’Église catholique. Nous allons analyser le texte suivant les mouvements qui se déroulent au fil de l’action : la préparation au combat, l’affrontement, et la satire de la religion.

I. La préparation au combat : détournement des symboles chevaleresques et religieux

A. Le bâton de la croix comme arme

Rabelais commence par décrire l’équipement de Frère Jean qui se prépare à affronter les ennemis. L’image du moine qui prend le bâton de la croix, symbole religieux sacré, et l’utilise comme une arme guerrière est centrale dans ce passage. Il est question ici d’un détournement des symboles religieux à des fins violentes :

"Ce disant, il mit bas son grand habit, et se saisit du bâton de la croix, qui était de cœur de cormier, long comme une lance, rond à plein poing, et quelque peu parsemé de fleurs de lys toutes presque effacées."

Le bâton de la croix est généralement un symbole de paix et de bénédiction, mais ici, il devient une arme de guerre. La comparaison avec une lance ("long comme une lance") fait écho aux armes des chevaliers, détournant ainsi l’objet sacré pour en faire un instrument de violence. De plus, les fleurs de lys, symboles de la Vierge Marie et associés à la royauté et à la pureté, sont "presque effacées", ce qui suggère une perte de l’idéalisme et de la noblesse, et annonce la violence qui va suivre.

B. Le départ au combat : transformation du moine en chevalier

Ensuite, Frère Jean sort en "beau savon", ce qui signifie qu'il sort dans une tenue différente de sa robe monastique habituelle :

"Il sortit ainsi en beau savon, mit son froc en écharpe."

Cette scène transforme le moine en guerrier : il délaisse son habit monastique et adopte une posture plus proche de celle d’un chevalier. L’image du moine qui "met son froc en écharpe" suggère une parodie de la chevalerie médiévale, où la noblesse et l’honneur sont souvent mis en avant. Ici, le froc devient une sorte d’armure improvisée pour la bataille, renforçant le côté grotesque de la scène.

II. L’affrontement : une parodie de combat épique

A. La confusion des rôles et la violence extrême

Rabelais décrit ensuite l’attaque de Frère Jean sur les ennemis. Le chaos qui s'ensuit dans ce combat n’a rien d'héroïque et est au contraire une parodie de l’affrontement chevaleresque, où la violence est excessive et débridée. Le vocabulaire employé ("frappant à tors et à travers", "renversait comme porcs") traduit le manque de distinction et d'honneur dans ce combat :

"Il choqua donc si raidement sur eux, sans dire gare, qu'il les renversait comme porcs, frappant à tors et à travers, à la vieille escrime."

L'image des "porcs" renverse l’idée de noblesse guerrière, les ennemis étant réduits à des animaux dans ce combat indiscipliné. L’expression "frappant à tors et à travers" souligne l’absence totale de stratégie et d’honorabilité dans cette bataille. Frère Jean utilise la violence avec une brutalité sans égale.

B. L’hyperbolisation de la violence

Rabelais va encore plus loin dans la violence qu'il décrit, en multipliant les blessures de manière grotesque et presque clinique :

"Aux uns il escarbouillait la cervelle, aux autres rompait bras et jambes, aux autres disloquait les spondyles du col..."

Les termes médicaux ("spondyles du col", "rompait bras et jambes") viennent renforcer le côté déshumanisant de la scène. La violence est décrite comme un acte presque chirurgical, mais qui vise à mutiler sans aucune forme de pitié, illustrant le manque total de compassion. C’est une caricature d’une guerre sanglante et insensée.

III. L’inutilité des prières et la critique de la religion

A. La dégradation des prières et des saints

Lorsque les soldats, accablés par la violence, commencent à invoquer des saints pour obtenir leur salut, Rabelais introduit un effet comique et ironique en listant une série de saints, réels et fictifs, qui ne parviennent cependant pas à sauver les hommes :

"Les uns criaient sainte Barbe ; les autres saint Georges ; les autres sainte Nytouche ; les autres Notre-Dame de Cunault, de Lorette..."

Ce passage se moque de l’efficacité de ces prières. La répétition de ces invocations, tout comme l’énumération d’une multitude de saints, semble absurde, car aucune prière n'empêche la violence ni ne sauve ceux qui invoquent les saints. En multipliant ces figures religieuses, Rabelais critique l’aspect formel et vide des prières, qui ne parviennent pas à répondre aux vrais enjeux de la situation.

B. La satire de la confession

Le passage se termine par une référence à la confession, une pratique religieuse centrale dans le christianisme, mais dont Rabelais dénonce l’inefficacité dans ce contexte de violence. Le rejet de la confession par Frère Jean, qui se montre d’une brutalité absolue, est clairement satirique :

"Si quelqu'un de sa vieille connaissance lui criait : — Ah ! frère Jean, mon ami, je me rends ! — Il le faut bien, disait-il, mais en même temps tu rendras l'âme à tous les diables."

Ici, la confession, qui est censée être un acte de pardon et de miséricorde, est ridiculisée par l'attitude intransigeante et impitoyable de Frère Jean. Rabelais montre l’absence de pitié et l’inhumanité des religieux de son époque, qui utilisent la religion non pas pour sauver les âmes, mais pour justifier la violence et la cruauté. Ce rejet de la miséricorde chrétienne marque une rupture avec les idéaux de l’Église.

Conclusion

 

À travers ce passage de Gargantua, Rabelais critique les dérives de la guerre et de la religion en parodiant le combat chevaleresque et en tournant en dérision les pratiques religieuses. Le détournement des symboles religieux et l’exagération de la violence permettent de dénoncer l’hypocrisie de l’Église, l’inefficacité des prières et des saints, ainsi que l’absence de compassion dans les pratiques religieuses. Frère Jean des Entommeures incarne un moine qui, loin des idéaux chrétiens, utilise la violence comme une réponse à la guerre, tout en rejetant les principes de miséricorde et de pardon. Cette satire, à la fois burlesque et critique, interroge sur les valeurs de son époque et invite à une réflexion sur la véritable nature de la foi et de la guerre.


Commentaire composé

Introduction

 

Dans le chapitre 27 de "Gargantua" de François Rabelais, nous sommes plongés au cœur de la guerre Picrocholine, un conflit opposant Grandgousier, le père de Gargantua, à son voisin Picrochole. Ce passage met en scène l'attaque de l'armée de Picrochole contre la ville de Seuilly et l'abbaye de Grandgousier, ciblant notamment les vignes de l'abbaye. Au centre de cet extrait, le personnage de Frère Jean des Entommeures se détache, incarnant une critique joyeuse et burlesque du monde religieux. Le récit, peuplé de protagonistes variés tels que les bergers, les fouaciers et Frère Jean lui-même, se déploie dans une tonalité à la fois épique et parodique, offrant une vision décalée et humoristique de la guerre et de la religion.

 

I. Une parodie de combat épique

 

Rabelais emprunte le style de l'épopée chevaleresque pour dépeindre les exploits de Frère Jean, créant ainsi une parodie du genre. Le narrateur s'adresse directement aux spectateurs, soulignant l'horreur spectaculaire du spectacle. Le champ lexical de la violence est omniprésent, mais l'accumulation et l'exagération des actes de Frère Jean, qui triomphe seul de nombreux ennemis, confèrent au récit un effet comique. Cette efficacité destructrice, décrite avec une précision quasi chirurgicale, se mue en burlesque par l'hyperbole des actions : écrasement de crânes, bris de membres, dislocation de vertèbres, etc. L'organisation chaotique des ennemis, soulignée par une accumulation de détails (absence d'ordre, de trompette, d'enseigne, de tambourin), renforce l'aspect comique du récit. L'anaphore de "si" met en lumière la toute-puissance de Frère Jean, tandis que l'accumulation de termes anatomiques, mêlant langage courant et jargon médical, accentue la parodie. Le passage de la description collective à l'individuelle, avec l'évocation de "quelqu'un de sa vieille connaissance", ajoute une touche personnelle à la violence, renforçant l'aspect grotesque du combat. Ainsi, Rabelais transforme Frère Jean en un héros épique surnaturel, loin de l'image traditionnelle du moine.

 

II. Une satire de la religion

 

Le détournement des habits monastiques de Frère Jean, qui porte son froc en écharpe, et l'utilisation du "bâton de la croix" comme arme, illustrent l'ironie et l'humour de Rabelais dans sa critique de la religion. La transformation d'un objet sacré en arme par Frère Jean, qui se montre impitoyable, contraste fortement avec l'image attendue d'un moine. La mise en scène d'une foi naïve à travers l'invocation de divers saints (réels ou fictifs) par les personnages, ainsi que l'attaque contre des éléments sacrés de l'Église comme le Saint Suaire, révèlent le scepticisme de Rabelais envers la religion. L'énumération de saints et de reliques, traitée avec hyperbole, souligne l'absurdité de ces croyances pour l'auteur. Enfin, le chiasme "les uns mouraient en parlant, les autres parlaient en mourant" souligne l'inefficacité de ces appels désespérés aux saints, renforçant la satire.

 

Conclusion

 

Dans cet extrait de "Gargantua", Rabelais se livre à une double parodie : celle du genre épique et celle de la religion. À travers le personnage de Frère Jean des Entommeures, qui défend non pas une cause noble mais son vignoble, Rabelais détourne les conventions de l'épopée pour en faire une satire truculente. De même, la représentation des moines et de la religion est loin d'être conventionnelle, révélant une critique sous-jacente de l'hypocrisie et de la superficialité religieuses. Ainsi, Rabelais, avec son humour caractéristique et son goût pour la démesure, offre une vision à la fois critique et divertissante de son époque.


Commentaire composé

Comment Rabelais fait ici une parodie de récit épique pour critiquer les dérives de l’Eglise catholique ?

 

I) Une parodie de combat épique

“long comme une lance” : comparaison avec lance, introduit le champ lexical de la chevalerie. 

 

 “sans ordre, ni enseigne, ni trompette, ni tambourin”: ici, référence aux armée sur le champ de bataille qui viennent en fanfare, ce qui est complètement le cas opposé des maraudeurs, ce qui traduit leurs intentions non violentes. 

 

“parmi le clos vendangeaient”: la raison de cette altercation est le vol, qui ne justifie pas les moyens de répression employés, on est loin des nobles causes de la chevalerie.

 

“décrochait les hanches, déboîtait les bras…”: on a une énumération hyperbolique des dégâts infligés aux voleurs, qui se rapproche du registre épique. Dans le contexte de l’intrigue, on peut parler de parodie.

 

 “disloquait les spondyles du col”: lexique de la médecine/chirurgie, afin de partager ses convictions. De plus, il dissèque des cadavres afin de développer la médecine et de sauver des vies alors que des moines vont au combat en prendre.

 

“mais en même temps tu rendras l'âme à tous les diables” : avec son ironie, il marque une rupture avec les idéaux chevaleresques et leur sens de l’honneur, là où il achève sans pitié les pauvres voleurs demandant grâce donc il n’a aucune vertu chrétienne. Le devoir du chevalier est d'épargner le vaincu qui crie merci.



II) La satire de la religion

“se saisit du bâton de la croix” : outil du prêtre visant à bénir les fidèles, ici détourné à des fins meurtrières. 

 

“parsemé de fleurs de lys toutes presque effacées” : emblème de La Vierge Marie, notre Mère à tous. Ce bâton,déjà sacré, porte l'emblème de la Vierge Marie représente la vie, l’amour maternel, la pureté. On voit que ces marques d’effacement sont la preuve de l’usage violent et répété de cet instrument. 

 

“mit son froc en écharpe”: il se défroque, c'est-à- dire qu’il quitte son état monastique et se pare de son froc comme un chevalier allant à un tournoi.

 

“parmi le clos vendangeaient”: frère jean défend le raisin qui lui sert à faire son vin de messe, en bon ivrogne.

 

“mais en même temps tu rendras l'âme à tous les diables”: il n’a aucune compassion.

 

il se moque de l’inefficacité des saints en citant des saints réels et inventés “les autres saint Georges ; les autres sainte Nytouche” et en montrant que la prière ne les sauve pas avec le chiasme  : “Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir, les uns se mouraient en parlant, les autres parlaient en mourant”.

 

il refuse la confession : “Confession, confession, confiteor, miserere, in manus.”

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