Analyse linéaire du poème « Le lac » de Lamartine

Analyse linéaire du poème « Le lac » de Lamartine

Introduction : Méditations poétiques est le premier recueil de poèmes d'Alphonse de Lamartine, publié en 1820. 

Reprise sujet Le Lac est le dixième poème du recueil de 24 poésies. Dans cette œuvre pour la première fois, le poète confie ses sentiments intimes aux lecteurs mais aussi et surtout à la nature. Le Lac est considéré, aujourd’hui encore, comme le fleuron de la poésie romantique. Ce poème fut inspiré à Lamartine par la liaison amoureuse qu’il eut en 1816-1817 avec Julie Charles, une femme mariée atteinte d’un mal incurable, la phtisie, qui l’emporta en 1817. Elle n’est pas au rendez-vous au bord du lac du Bourget où tous deux y avaient vécu une idylle un an auparavant, au fil des eaux paisibles et romantiques de ce lac de Savoie. Pour le poète romantique, c’est l’occasion d’écrire une méditation sur la fuite du temps et du bonheur en prenant le lac à témoin. Le Lac de Lamartine est devenu le poème immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur et de l'amour éphémère qui aspire à L'Éternité.

Problématique : Comment le poète va-t-il concilier ses états dame, l’évocation lyrique de la nature et la réflexion philosophique sur le temps qui passe ?

Plan le plan de mon explication suivra le mouvement du poème : vers 1-7 seuls au bord du lac, souvenirs au bord du lac, Elvire et le temps.

 

I) Seuls au bord du lac vers 1 à 7

La poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil des méditations est classique, des quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une harmonie, un équilibre lent propice à la description des sentiments de du poète.

Lamartine s’adresse au lac directement, avec une apostrophe : « Ô lac ! » et il s’adresse même à lui à l’impératif : « regarde ». Le poète connait, parle et personnifie le lac dans cette strophe. Le lac est le témoin d’un bonheur passé, une idylle et est maintenant le témoin d’un malheur prison car elle est absente. Le lac est l’ami et le confident du poète. Le poème permet au poète de s’adresser au lac sur les 3ères strophes. 1er vers donne une indication temporelle : été 1817. Cela fait un an que le poète n’a pas vu Julie.

v.2« flots chéris » : relation lac/poète/Elvire étroite. Le lac s’est coloré des moments passés avec les amants.

Lamartine est le 1er romantique avec la nature : le lac étant une métonymie de la nature. Il confie ses sentiments à la nature.

Mais cela va plus loin car c’est ici un verbe de perception, redoublé avec le verbe voir. Il s’agit de montrer un paysage démonstratif qui vient juste ensuite « cette pierre ». Le lecteur découvre un décor qui incarne une émotion : c’est ce qu’on appelle le paysage état d’âme, la nature représente les sentiments du poète et notamment, ses sentiments amoureux. v.3 « pierre » = dur, absence de vie, symbole de l’absence de Julie : « O Julie ». Fatalité : elle devait le revoir. La pierre se rapporte au tableau la chaise de van Gogh : tableau vide, juste une chaise, il manque quelque chose.

v.4 Opposition passé heureux/présent malheureux marqué par le verbe « vis » et présent « je viens seul ».

C’est au même moment qu’intervient le thème de la solitude « seul ». Le passé des jours heureux « a fini » « devait » « vis » s’oppose à l’isolement présent « viens ». Les sonorités en l douces « lac » « l’année » « flots » « elle » « seul » « la », s’opposent aux allitérations en [r] plus dures « carrière » près » « chéris » « revoir » « regarde » "s'asseoir » sur » « pierre « s’asseoir ».

Ainsi, toutes les marques du lyrisme sont présentes : la douleur, la première personne du singulier et la musicalité. Comme Lamartine a beaucoup développé ce type de lyrisme ou la nostalgie est essentiellement lié au paysage naturel, on appelle ce type de lyrisme, le lyrisme lamartinien. 

Maintenant, le décor s’anime, frappe les sens : avec le verbe pronominal "se briser", les verbes d’action "mugir", "jeter". Description qui s’apparente à une hypotypose (donné à voir un décor animé pour frapper l’imagination du lecteur). La répétition de l’adverbe ainsi montre aux lecteurs ce paysage tourmenté qui représente l’état d’âme du poète. Mouvements liés à la douleur : la violence avec le verbe « se briser », la plainte avec le verbe « mugir » vb hyperboliques montrent la violence du lac suite au désespoir du poète. La nature se fond avec les impressions du poète. Élégie de la 1ère strophe : réponse du lac. Compassion du lac : le poète se plaint, le lac est agité.

C’est une comparaison lac/océan, une hyperbolisation du lac. Le lac a la puissance des sentiments de Lamartine pour Elvire, il reflète la douleur qui les accable lui et Lamartine.

v.7 La nature rend hommage à la divinité « pied adorés ». La nature baise les pieds d’Elvire. C’est la cristallisation (idéalisation de celui qu’on aime) d’Elvire. Ce participe passé à un sens passif et n’a pas vraiment de sujet, elle est adorée autant par le poète que par la nature qui est empathique avec les émotions du poète. Adorés=hyperbole d’aimer normalement pour une déesse – Elvire est la représentation d’une déesse sur Terre. Tout cela participe à la construction du paysage état d’âme.

Allitération en [s] marque la douceur du passé alors que celle en t la réalité brutale du présent.

Répétions de s’asseoir : parallèle passé/présent

Bilan : Dans cette première partie, Lamartine est seul au bord du lac. Il se remémore avec son confident, le lac, des souvenirs passés heureux passés l’an passé avec Elvire qui sont nostalgiques ce qui provoque de la souffrance au poète car le présent est vide à côté du passé.

 

II) Souvenirs heureux au bord du lac strophes 3 à 4

Dans le 3ème quatrain, l’évocation du passé est liée à une sensation de plénitude « t’en souvient-il ? » discours direct pour le lac qui est un vrai ami. Le poète se souvient de moments passés heureux. 

Visuellement, le ciel « sous les cieux » est complété par l’onde « sur l’onde ». L’air et l’eau sont en miroir « sur » et « sous » deux faces d’un même miroir. « Silence » rime avec « cadence » ce qui renforce l’idée d’harmonie « harmonieux » 

La dernière phrase se prolonge jusqu’au dernier vers, C’est ce qu’on appelle un enjambement : la phrase dépasse le vers sur le vers suivant. Dans ce début de poème, les hexasyllabes semblent prolonger les alexandrins (avant dernier vers de chaque strophe) pour exprimer repos et tranquillité. C’est harmonieux. Le rythme parfaitement régulier imite la cadence des rameurs : "Que le bruit/des rameurs/qui frappaient en cadence". Ainsi, passé=bonheur, le poète se réfugie avec nostalgie dans le souvenir.

 Strophe 4, moment dramatisé : passage imparfait « frappèrent » au passé simple (actions soudaines et uniques dans le passé). Rupture marquée aussi par « tout à coup » qui montre le changement brusque dans l’action, si les souvenirs du poète représentaient un fleuve, le poète est passé d’un long fleuve tranquille à une brusque rapide. 

Le paysage est encore associé avec le poète à travers les verbes d’action : le rivage est charmé, frappé, les flots sont attentifs. Comme le lecteur lui-même qui devient spectateur, tout se tait pour écouter. Personne aimée désignée seulement par sa voix : « la voix qui m’est chère » =métonymie (désigner une chose par un élément qui lui est proche). Jeune fille pas décrit, c’est un mystère. Les accents de sa voix sont « inconnus à la Terre », les mots « tombent » comme s’ils venaient du ciel. Chez Lamartine, le souvenir de l’être aimé prend une dimension métaphysique, Elvire est une déesse et les preuves de son absence est une véritable expérience spirituelle.

 

III) Elvire et le temps

Strophe 5 C’est au discours direct, les paroles sont apportées tel qu’elle, entre guillemets, sans modification ce qui permet de rendre toute la proximité et la force des mots, notamment avec les phrases exclamatives et les impératifs « suspends » « suspendez » « laissez ». Et la jeune femme s’adresse au temps et aux heures directement avec des apostrophes. 

Ce passage concentre toutes l’émotion lyrique du poème car la jeune femme n’est déjà plus qu’un souvenir, et la supplique appartient déjà au passé. Il faut arrêter le temps, c’est une supplication. Allusion du passage à la seconde mort d’Orphée et à la nymphe Écho (rejetée par Narcisse, elle part dans une grotte et il ne reste que sa voix) —allusion mythologique et Elvire déesse. La volonté d’arrêter le temps, avec la répétition du verbe « suspendre » suppose à un rythme fuyant, raccourci : les alexandrins sont divisés par deux et deviennent des hexasyllabes « suspendez votre cours ! ». Enjambement dernier vers précipite fin du quatrain « rapide » nie la supplication. Le souvenir fait surgir.

Les quatrain 6, 7 et 8 développent des jeux de contrastes : « heureux/malheureux » « nuit/aurore », attache du port qui s’oppose au passage ininterrompu des flots. Ce sont trois étapes de la réflexion sur le temps : Le couple d’amoureux était heureux dans la nuit, Il va désormais faire partie des malheureux, car la nuit est dissipée par l’Aurore, et ils sont séparés. 

Le passage du temps qui est rendu sensible met en scène la réflexion philosophique. La voix de la personne aimée est prolongée et dédoublée, avec des effets d’écho « coulez, coulez », « aimons donc, aimons donc ».

La parole est mise en scène de façon spectaculaire d’abord au discours indirect « je demande quelques instants » puis au discours direct qui est mise en abîme « soit plus lente ». 

C’est un propos philosophique mis en scène et dramatisé par le poète. C’est le Carpe diem d’Horace : cueille le jour et met le à profit du mieux que tu peux ». 

La jeune femme s’adresse directement aux forces implacables qui la domine : ce sont la « nuit » et « l’Aurore » qui sont des allégories, presque les divinités qui agissent aveuglément. Divinités supérieures à Elvire elle-même une déesse. 

Rapprochement du sentiment tragique. Mots négatifs qui montrent la fatalité : « en vain », « m’échappe », « fuit », « dissiper ». C’est impossible. Ces dernières réflexions philosophiques se terminent sur des verbes au présent de vérité générale : « l’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive/il coule et nous passons ! ». Chiasme homme temps/coule passons. Ce sont des conseils adressés à tous les hommes. Regret du poète de ne pas avoir mis en pratique cela ? Le fleuve du temps a tout englouti.

 

Bilan général : Le poème de Lamartine illustre une réflexion philosophique sur le temps, son passage inéluctable, et la conscience tragique de la mort. En cela, le discours de Lamartine rejoint une tradition philosophique qui remonte à l’Antiquité. Mais chez Lamartine, toute l’émotion est mise en scène à travers la nature qui est à la fois sa confidente et sa source d’inspiration. Le paysage représente les états d’âme du poète. Le lyrisme lamartinien et cette représentation métaphorique et spirituelle d’une douleur personnelle. Avec ce poème, Lamartine inscrit à tout jamais ses souvenirs et sa sensibilité dans la nature. Même si l’être aimé est absent, le souvenir des mots persiste, la nostalgie devient une posture métaphysique qui répond aux interrogations angoissées sur le temps qui passe.

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