Analyse d'extraits des scènes 1 et 2 de Cendrillon de Joël Pommerat

Analyse d'extraits des scènes 1 et 2 de Cendrillon de Joël Pommerat (2011)

Introduction

Qui n'a pas entendu parler de l'histoire de Cendrillon, cette jeune fille persécutée par une cruelle belle-mère et ses monstrueuses filles ? Nous l'avons tous connue durant notre enfance, à travers la plume classique de Charles Perrault ou celle des frères Grimm au XIXe siècle, ou encore par l'intermédiaire de l'indémodable adaptation de Walt Disney datant de 1950. C'est ainsi une histoire maintes fois revisitée que Joël Pommerat, dramaturge contemporain emblématique du théâtre de création, a décidé de transformer en un spectacle théâtral complet pour questionner véritablement ce que l'on a trop peu interrogé : qu'est-ce qu'une famille, qu'est-ce qu'une jeune fille, qu'est-ce que l'amour, qu'est-ce que la mort et pourquoi les contes enchantés sont-ils si éloignés de la réalité ?

 

Pommerat fait le choix surprenant de débuter sa pièce avec l'exposition d'une narratrice, qui annonce certains éléments de l'histoire à venir. Ce pseudo-prologue est suivi d'une scène où une jeune fille tente, en vain, de dialoguer avec sa mère mourante. Le spectateur est alors déstabilisé par ce mélange de tonalités, oscillant entre le comique et le tragique. Il est donc légitime de s'interroger sur les raisons de ce choix d'exposition et l'effet qu'il produit sur le spectateur.

 

Pour répondre à cette question, nous démontrerons d'abord que l'exposition est indirecte, transmise par une narratrice énigmatique (1, l. 1 à 13), suivie d'un dialogue empreint d'incompréhension entre une jeune fille et sa mère mourante. Enfin, nous montrerons que dès le début de la pièce, une première conclusion semble être apportée sur les pouvoirs du langage et du récit.

 

Une exposition indirecte, déléguée à la voix étrange de la narratrice (scène 1 - l.1 à l. 13)

L'exposition de l'œuvre est marquée par une tension palpable, conjuguant des éléments qui évoquent la pure tradition du conte tout en relevant d'une modernité théâtrale profonde. 

 

En effet, l'expression "je vais vous raconter une histoire" rappelle indéniablement le célèbre incipit "Il était une fois", faisant directement écho à l'univers du conte. Cependant, cette entrée en matière s'accompagne d'une innovation majeure dans le monde du théâtre : l'usage d'une narratrice. Cette transgression délibérée, inhabituelle dans le milieu théâtral généralement dénué de narrateur, apparaît comme un vestige du conte, une trace persistante de cette tradition dans la modernité de l'œuvre. 

 

Par ailleurs, les personnages sont présentés en tant qu'archétypes, avec des termes tels que "la très jeune fille" (l.5) et "la mère" (l.6). Ces désignations, qui mettent en avant une opposition basée sur l'âge, confèrent au récit une dimension universelle. 

 

La voix de la narratrice délivre également des vérités générales sur la question du langage. Elle adopte une posture métalinguistique qui interroge la portée et la signification des mots, soulignant la polysémie non pas comme une richesse, mais comme une source potentielle d'erreur. 

 

De plus, la narratrice expose les éléments traditionnels de l'intrigue : "Une très jeune fille qui avait beaucoup d'imagination avait connu un très grand malheur : sa mère est atteinte d'une maladie mortelle". D'emblée, le spectacle se positionne sous le signe de la tragédie, avec la mention de ce malheur imminent. Cependant, cette tragédie est nuancée par l'usage de répétitions qui atténuent la gravité de l'énoncé. On peut y voir une référence à la mort de la mère qui initie le conte de Cendrillon chez les frères Grimm.

 

En somme, ce premier temps d'exposition, qui sert en quelque sorte de prologue, a pour vocation de sensibiliser les spectateurs à la question de l'interprétation.

Un dialogue entre une mère mourante et sa fille fait d’incompréhension et de déni (scène 2 – lignes 16 à 32)

La scène 2 représente la première interaction avec les personnages du conte et de la pièce, mettant en scène un dialogue contrastant avec le monologue de la scène précédente.

 

Le contraste est notable dans la distribution des prises de parole : alors que la jeune fille s'exprime avec force, la voix de la mère est à peine audible, créant une dissonance marquée. Ce dialogue constitue le dernier échange entre une jeune fille et sa mère sur le point de succomber à la maladie.

 

La jeune fille adopte un ton surprenant, marqué par le déni dès les premières répliques. L'usage fréquent de la ponctuation exclamative, suivi d'une question rhétorique (« Tu dois en avoir marre, non », l. 11), suggère que la jeune fille monopolise le dialogue, ne cherchant pas réellement à entendre les réponses de sa mère. Ce déni est d'autant plus poignant qu'il concerne l'état de santé de sa mère, comme le suggère le champ lexical du sommeil (la didascalie « La chambre à coucher », la négation du verbe « se lever », « des semaines que tu es couchée »). Par ailleurs, le registre de langue familier (absence du discordantiel « ne » dans la négation, l. 10 « tu veux pas te lever ») confère à la scène une atmosphère intime et réaliste.

 

Pour résumer, la scène présente des tonalités variées et contrastées. Elle est à la fois comique, du fait des répétitions et de la situation inhabituelle, pathétique, en raison de la peine immense que la jeune fille semble ressentir, et tragique, étant donné l'inéluctabilité de la fin de la mère.

La morale de l’histoire (l. 41 à la fin)

La dernière partie de l'exposition est consacrée à la morale de l'histoire, du vers 41 jusqu'à la fin, offrant une perspective unique de la part de la narratrice. 

 

Se référant directement aux spectateurs, la narratrice soulève un point particulièrement intriguant : les contresens, ou les interprétations inattendues et erronées, peuvent être tout aussi intéressants que les interprétations attendues et conventionnelles. 

 

Cela remet en question la notion traditionnelle de la "morale" dans les contes, qui est généralement simple et unidimensionnelle. Au lieu de cela, la narratrice semble inviter les spectateurs à explorer des interprétations alternatives et non conventionnelles de l'histoire. 

 

Elle établit ainsi une atmosphère d'ouverture et de liberté d'interprétation, encourageant le public à penser de manière critique et indépendante, plutôt que de simplement accepter les idées préétablies. 

 

En somme, l'exposition se conclut sur une note de questionnement et de réflexion, préparant le terrain pour une exploration plus approfondie des thèmes et des questions posées tout au long de la pièce.

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