Analyse linéaire du poème Spleen LXXVI de Baudelaire "J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans"

Analyse linéaire du poème Spleen LXXVI de Baudelaire "J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans"

Le poème “J’ai plus de souvenirs…” fait partie de la section “Spleen et Idéal”des Fleurs du mal. Dans cette partie, Baudelaire exprime plusieurs sentiments, comme l’ennui et l’amour. Ce poème fait partie d’un ensemble de quatre poèmes qui s’intitulent “Spleen”. Le poète évoque ici son état dépressif et mélancolique. D’ailleurs, le spleen en anglais signifie la rate, qui est selon la théorie des humeurs d’Hippocrate l’organe directeur des sentiments. Ce poème est caractéristique du parcours “Mémoire d’une âme”. 

Ce poème peut être délimité en trois mouvements. 

Le premier mouvement constituerait seulement le premier vers. Baudelaire fait l’introduction de son développement.

Le deuxième mouvement est délimité du vers 2 au vers 14. Dans ce mouvement, le poète se compare à des objets. Ses idées sont en désordre.

Le troisième mouvement est délimité du vers 15 au vers 24. Dans ce mouvement, le poète ne parle plus de lui mais s’adresse à un cadre plus universel.

En quoi ce poème est il représentatif du parcours “Mémoire d’une âme”?

 

1er mouvement

Baudelaire commence son poème par une phrase indépendante. La phrase « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. » montre le lyrisme du poète, qui s’adresse au lecteur à la première personne du singulier. En effet, le présent d'énonciation indique que le poète parle de son état actuel. Il montre que de nombreux souvenirs l’habitent, plus que n’importe quel être humain en une vie entière. Cette phrase est hyperbolique. Il est impossible d’avoir 1000 ans. Cette phrase permet à Baudelaire de commencer son développement, où il parle comme s’il était mort, ou en train de mourir. 

 

2ème mouvement jusqu’au v14

v2-5  Baudelaire compare son cerveau à un “gros meuble encombré de bilans”. Ce vers montre le lyrisme du poète, qui a eu de graves problèmes économiques dans sa vie, comme l’indique le mot bilan. Ce mot montre aussi que dans ce poème Baudelaire fait le point sur sa vie. Dans le v3, le poète énumère des épisodes de la vie de tout être humain, pour montrer ce qu’il a vécu de normal. Mais tout de suite après, l’adjectif qualificatif “triste” pour décrire son cerveau montre qu’une série de malheurs lui est arrivée dans sa vie. L’anaphore de “de” suivi des “lourds cheveux” accentue la lourdeur de ce poème, reflétant la vie du poète. Le meuble dont parle le poète est une référence autobiographique : il contient tous les “billets doux, de procès, de romances”. Ces objets sont la métaphore de la vie visible de l’auteur. La partie moins visible de sa vie se trouve dans l’hyperbole du vers 5 : “Cache moins de secrets que mon triste cerveau”. L’adjectif triste caractérisant l’organe vital d’un être humain (“le cerveau”) montre que ce poème appartient bien à la partie du recueil “spleen”.

v6-10 Il y a une rime entre cerveau et caveau, montrant le lien très proche entre Baudelaire et la mort. Le champ lexical de la mort montre que le poète se considère comme un mort : “caveau”, “morts”, “fosse commune”, “cimetière”. Même la lune, élément naturel qui éclaire dans le noir, n'émet plus de lumière sur le cimetière. Cela montre à quel point Baudelaire se voit effacé de la vie. Le vers 9 a un double sens. Dans un premier temps, Il montre que Baudelaire a eu de nombreux remords dans sa vie, des situations où il n’a pas pu faire ce qu’il devait faire. Ensuite, il montre aussi que le poète est comme un cadavre se faisant ronger par des vers, dans sa tombe. Le vers 10 montre que les remords de Baudelaire concernent surtout ses proches, comme son beau-père et sa mère. L'allitération en [r] souligne la souffrance qu'éprouve Baudelaire face à ses remords. 

v10-14 La métaphore se poursuit. Dans ce passage, Baudelaire se caractérise de “vieux boudoir plein de roses fanées”. Cela montre que Baudelaire fait le bilan de sa vie amoureuse. Même ces souvenirs là sont dissipés. En effet, on remarque une absence de couleur et de vivacité : “pâles” , “fanées” , “surannées” , “flacon débouché”. Baudelaire montre qu’il perd goût pour tout, même les choses qui sont supposées déclencher le plus le sens de l’odorat “flacon” et vue “roses” : c’est la mort. Tout ce que décrit Baudelaire est vieux, démodé, même le parfum, objet qui a intéressé Baudelaire tout au long de sa vie.

 

3 ème mouvement v 15 - 24

v15 -18 Dans ce mouvement, le “je” disparaît. Cette fin de poème est généralisée. Il exprime ici l’ennui. Dans ce passage, Baudelaire ajoute un sentiment de longueur à son poème. Il parle ici de sa vie, qu’il voit comme interminable. Il cohabite avec la mort, mais il ne meurt pas. L’ambiance est très pesante et longue : “longueur” , “boiteuses journées” , “lourd”, “ennui”, “immortalité”. Le temps est personnifié, il est comparé à un vieillard boitant, seul et las : “prend les proportions de l'immortalité”. L’ennui du poète est infini. 

v 19- 24 Baudelaire fait plusieurs métaphores dans ce passage : il parle de façon symbolique. Baudelaire parle de lui à la troisième personne, pour que les autres êtres humains victimes de l’ennui puissent s’identifier à lui. Le poète se caractérise comme une simple “matière vivante”, il ne se considère même plus comme un être humain. Il se dématérialise : “Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux”. Le poète meurt petit à petit et le monde autour de lui s’efface. L’homme est comparé à un “vieux sphinx ignoré du monde insoucieux”. Le poète est entre la vie, la mort, le réel et l'irréel. On a la sensation de voir flou, de la même manière qu’un mourant qui agonise. Baudelaire est rejeté du monde par les astres (« abhorré de la lune » + « ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche »). Il est éloigné et isolé du monde extérieur et vit dans sa bulle, en se rapprochant de la mort.

 

Ce poème donne l’impression que Baudelaire se compare à tout objet, toute forme. Toutes les comparaisons que fait Baudelaire à des êtres du moyen âge ou des objets montrent qu’il voyage dans l’espace temps, comme si ses pensées étaient réelles, comme il le dit au vers 1 : “J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans”. 

Le poème Spleen LXXVI de Baudelaire présente une forme irrégulière qui participe à l'impression de chaos qui émane du poème. En effet, le poème est fragmenté en ensembles inégaux, comprenant respectivement 1 vers, 13 vers et 10 vers. De plus, des blancs et des tirets découpent ces ensembles de manière encore plus irrégulière. Cette mise en page participe à l'impression de désordre et de confusion que le poème exprime.

Le poème fonctionne également par accumulation d'images apparemment disparates. Baudelaire décrit successivement son cerveau comme un meuble, une pyramide, un cimetière, un vieux boudoir, un granit et un sphinx. Cette accumulation d'images renforce l'impression de chaos et d'incohérence qui se dégage du poème.

Le spleen est présenté comme le contraire de l'harmonie, comme le chaos de l'âme. Le poète exprime son désarroi face à cette sensation de vide et d'ennui qui l'envahit. Il évoque ses souvenirs, mais les métaphores qu'il utilise pour les décrire sont souvent empreintes de dévalorisation et d'humiliation.

Dans la seconde partie du poème, le poète exprime son désespoir face à l'ennui qui le consume. Il compare le temps qui passe à un vieillard boiteux ou à un hiver de l'âme. L'ennui entraîne la mort de l'âme, de l'être, et le poète se sent étranger à lui-même. Il se compare à un sphinx pétrifié qui ne chante plus qu'au soleil couchant. Cette image symbolique renforce l'impression de mort et de désolation qui se dégage du poème.

En conclusion, le poème Spleen LXXVI de Baudelaire est un poème sombre et désespéré qui exprime la sensation de vide et d'ennui qui envahit le poète. La forme irrégulière et l'accumulation d'images disparates renforcent l'impression de chaos et d'incohérence qui se dégage du poème. Le spleen est présenté comme le contraire de l'harmonie, comme le chaos de l'âme.

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