Analyse de Pierre et Jean - Extrait du chapitre V - la demande en mariage

Analyse de Pierre et Jean - Extrait du chapitre V - la demande en mariage

Texte

La demande en mariage

 

 Ils grimpèrent sur un roc un peu haut, et lorsqu'ils y furent installés côte à côte, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit :

    "Mon cher ami, vous n'êtes plus un enfant et je ne suis pas une jeune fille. Nous savons fort bien l'un et l'autre de quoi il s'agit, et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m'épouser." Il ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit niaisement :

    "Mais oui.

    - En avez-vous parlé à votre père et à votre mère ?

    - Non, je voulais savoir si vous m'accepteriez." Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan :

    "Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n'oubliez point que je ne voudrais pas déplaire à vos parents.

    - Oh ! pensez-vous que ma mère n'a rien prévu et qu'elle vous aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage entre nous ?

    - C' est vrai, je suis un peu troublée." Ils se turent. Et il s'étonnait, lui, au contraire qu'elle fût si peu troublée, si raisonnable. Il s'attendait à des gentillesses galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau !

    Et c'était fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles. 

 

Guy de Maupassant - Pierre et Jean - Extrait du chapitre V

Commentaire composé

Dans ce passage, il est question d’une demande en mariage peu classique : les rôles sont inversés. Les thèmes qui y seront abordés tout le long seront le mariage et les préoccupations bourgeoises. Pour traiter ce thème, l’auteur utilise des procédés tels que le discours direct, qui amène une forme de réalisme dans cette demande en mariage, ainsi que le champ lexical du mariage. L’auteur utilise ces procédés en vue de la futur relation que Mme Rosémilly et Jean entretiendront. L'intention de l’auteur dans ce passage est de  critiquer le mariage bourgeois, qui est souvent fait pour des intérêts financiers. Comment l’auteur parvient-il à tourner une demande en mariage au ridicule ? Il s’agira d’étudier dans un premier temps la demande en mariage étrange, puis la critique du mariage par le narrateur.

Dans ce passage de demande en mariage, on pourrait s’attendre à des “gentillesses galantes”, des “refus qui disent oui” ou encore une” coquette comédie d'amour mêlée à la pêche”, à ce que Jean prenne l’initiative de demander à Mme Rosémilly de le prendre en mariage. C’est finalement l’inverse, Mme Rosémilly lui parle de leur futur mariage et Jean ne fait rien : “ll ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation”. Jean est troublé et c’est lui qui se fait mener au lieu que ça soit lui qui prenne les devants. Jean ne fait pas preuve de courage alors qu’au contraire Mme Rosémilly prend les initiatives du couple : ils ont finalement des caractères très opposés.

En outre, Mme Rosémilly ne perd pas son temps avec les formalités auxquelles on s'attendait dans une rencontre amoureuse romanesque : “Si vous vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m'épouser”. Dès le début du passage, on voit le fort caractère dont est dotée Mme Rosémilly. Au contraire Jean est dépassé par les événements, il ne sait plus quoi dire : “il répondit niaisement”, et de plus, il ne répond qu’un simple “Mais oui” à la demande en mariage de Mme Rosémilly. Cela dès les premières répliques des personnages nous dresse un dessin de leur future relation qui sera menée par Mme Rosémilly et “subie” par Jean. Mme Rosémilly est une personne peu romantique contrairement à Jean qui lui est même étonné qu’il n’y ait aucune formalité romantique : “Il s'attendait à des gentillesses galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau”. Ce sont donc deux personnages opposés en tout point, qui laissent présager au lecteur que leur relation ne sera pas classique.

Cette demande en mariage est assez spéciale : d’une part c’est la femme qui dmande en mariage l’homme et d’autre part, il n’y a pas de mot d’amour qui sont dit entre les deux personnages. Le seul passage de rapprochement des deux protagonistes est quand : “Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan”. Il n’y a que peu de paroles dites dans ce passage par les deux fiancés : “c'était fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles”. C’est un passage assez surprenant pour le lecteur qui peut quand même se poser des questions sur la vérité de leur amour. Les seules raisons qui poussent Mme Rosémilly à épouser Jean, dans ce passage, est qu’elle le croit “bon et loyal”, mais ce n’est pas assez pour que la relation soit saine entre les deux. A la fin du passage, après la demande en mariage et le consentement des deux, Mme Rosémilly est “un peu troublée”, cette rencontre et cette demande tournent au ridicule : aucune mention de l’amour, aucun sentiment éprouvé par les deux personnages, le lecteur en vient même à douter de l’amour que Jean a envers Mme Rosémilly. Maupassant arrive à impliquer le lecteur dans cette rencontre d’abord avec le discours direct, mais aussi par l’implication du lecteur dans le dialogue qui voudrait que les deux fassent preuve d’amour l’un envers l’autre.

L’amour de Mme Rosémilly n’est pas évoqué dans ce passage et c’est après que Jean ait reçu le leg de M. Maréchal que Mme Rosémilly se décide à le demander en mariage : c’est une coïncidence assez particulière d’autant plus que la première chose qu'elle dit après que Jean lui ait répondu est qu’elle : “ne voudrais pas déplaire à vos parents”. Se marier avec Jean est un bon parti maintenant qu’il a de l’argent à ne plus savoir qu’en faire. Jean est complètement berné par Mme Rosémilly : lui croit en un amour véritable de Mme Rosémilly alors qu’elle ne veut que l’argent. De plus, elle est veuve donc se marier avec un jeune homme qui en plus a de l’argent, c’est une bonne affaire pour Mme Rosémilly.

Le lecteur comprend alors la “fatalité” du mariage bourgeois par cette dernière phrase du narrateur : “Et c'était fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles”. Les deux se sont mariés en un temps record : il n’aura fallu que quelques répliques de chaque protagoniste pour arriver à la situation finale, le mariage. C’est une fin qui laisse le lecteur assez dubitatif par rapport à la suite de leur union, on ne sait pas s’ils seront heureux ou pas ou si leur relation tiendra. C’est un passage qui  casse les codes des demandes en mariage classiques. Maupassant arrive à faire une remarque humoristique dans ce passage avec la métaphore du pêcheur : “comédie d'amour mêlée à la pêche”. Le lecteur comprend dans cette métaphore que normalement, la femme vient voire le pêcheur qui la pêche alors qu’ici, le pêcheur est Mme Rosémilly et le pêché est Jean : rien ne va dans cette demande en mariage.

Dans ce passage, l’auteur laisse entrevoir au lecteur la relation assez inhabituelle qu’entretiendront les deux mariés et les causes de cette demande en mariage qui sont purement financières. Enfin, Maupassant arrive à faire tourner cette demande au ridicule de par l'absence du champ lexical de l’amour mais aussi par l'inversion des rôles dans le passage ainsi que la niaiserie de Jean.


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