Balzac, La Peau de chagrin, La femme sans coeur. Comment l’accomplissement des désirs de Raphaël produit-il un effet paradoxal ?
Texte
Une horrible pâleur dessina tous les muscles de la figure flétrie de cet héritier , ses traits se contractèrent, les saillies de son visage blanchirent, les creux devinrent sombres, le masque fut livide, et les yeux se fixèrent.
Il voyait la MORT. Ce banquet splendide entouré de courtisanes fanées, de visages rassasiés, cette agonie de la joie, était une vivante image de sa vie. Raphaël regarda trois fois le talisman qui jouait à l'aise dans les impitoyables lignes imprimées sur la serviette, il essayait de douter ; mais un clair pressentiment anéantissait son incrédulité.
Le monde lui appartenait, il pouvait tout et ne voulait plus rien.
Comme un voyageur au milieu du désert, il avait un peu d'eau pour la soif et devait mesurer sa vie au nombre des gorgées. Il voyait ce que chaque désir devait lui coûter de jours.
Puis il croyait à la Peau de chagrin, il s' écoutait respirer, il se sentait déjà malade, il se demandait : " Ne suis-je pas pulmonique ? Ma mère n' est-elle pas morte de la poitrine ? "
" Ah ! ah ! Raphaël, vous allez bien vous amuser ! Que me donnerez-vous ? disait Aquilina.
- Buvons à la mort de son oncle, le major Martin O'Flaharty ! Voilà un homme.
- Il sera pair de France.
- Bah ! qu'est-ce qu' un pair de France après Juillet ? dit le jugeur.
- Auras-tu loge aux Bouffons ?
- J'espère que vous nous régalerez tous, dit Bixiou.
- Un homme comme lui sait faire grandement les choses ", dit Émile.
Analyse linéaire
1er mouvement : Une vision morbide
Le visage de Raphaël devient pâle comme celui d’un mort : “le masque fut livide”, et ses muscles se tendent parce qu’il est terrifié. Balzac emploie le champ lexical de la mort : "livide","flétrie","pâleur".
La présence de la mort est mise en valeur par le champ lexical de la mort qui se poursuit, Raphaël utilise des mots péjoratifs pour décrire ce qui l’entoure. Il parle de "courtisanes fanées”, “visages rassasiés" et “agonie de joie”.
Le paradoxe de la dernière phrase repose sur l'écart entre le sens de cette phrase pour Raphaël et pour une autre personne. On peut dire que “le monde lui appartenait, il pouvait tout” car il a les moyens de faire tout ce qu’il souhaite, mais il “ne voulait plus rien” parce qu’il sait que chaque désir le rapproche de la mort.
2ème mouvement : Des jours comptés
La foi de Raphaël dans le pouvoir de la peau s’exprime par l’attention qu’il porte à la peau de chagrin, dès qu’on lui annonce la mort de son oncle il regarde “trois fois le talisman”. De plus, même quand il “essaye de douter” du pouvoir de la peau, il finit par être convaincu de la magie de la peau.
La comparaison avec le voyageur au milieu du désert montre au lecteur que à chaque souhait de Raphaël il se rapproche de la mort, cela a pour effet de rapprocher encore plus Raphaël de la mort et de montrer que la peau de chagrin va bientôt disparaître.
Lorsqu’il remarque de la peau de chagrin a rétrécit Raphaël est paniqué à l'idée de mourir . Il est presque paranoïaque : “il s'écoute respirer” et il s’imagine déjà comme “malade.
3ème mouvement : Des désirs superficiels
Le dialogue introduit la rupture entre la description des pensées de Raphaël et la critique de la société. Les “amis” de Raphaël parlent de s’amuser et veulent profiter de l’héritage qu’il a reçu
un personnage veut par exemple aller “aux Bouffons". Alors qu’on attend plutôt d’eux qu’ils se réjouissent pour Raphaël, le narrateur critique la dimension immorale de la société qui veut
profiter de l’argent d’autrui pour s’amuser.
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Gagnard (mercredi, 22 mars 2023 22:47)
Merciii !