Analyse de La machine infernale de Jean Cocteau

Analyse de La machine infernale de Jean Cocteau

Analyse de l'Acte I, Aveuglement et clairvoyance, le rêve de Jocaste, De “Ils apparaissent” à “quelle horreur”

Cet extrait se compose de deux parties, la première, la scène de l’écharpe et la seconde, la scène du rêve de Jocaste. Il fournit des informations utiles à la compréhension du contexte et de la suite de l’histoire, ce qui en fait une scène d’exposition. On s’interroge sur la nature de cette pièce, est-ce une comédie ou une tragédie ?

 

I) L’écharpe, symbole tragique

Jocaste ne se comporte pas comme une reine, c’est pourquoi elle se sent obligée de rappeler son rang pour demander le respect : “Je suis votre reine”. Pourtant elle domine Tirésias en lui donnant des ordres irrévérencieux alors qu’en tant que devin il représente la religion. Tirésias obéit à ses demandes sans résistance malgré son handicap et son âge, il se présente comme un personnage faible. Ils se tutoient et se vouvoient en alternance. Ils essayent de respecter les règles en se vouvoyant mais leur lien est trop fort. Ce qui les amène à se donner des surnoms. Jocaste surnomme Tirésias: “ Zizi” ce qui est à la fois drôle et inapproprié pour un religieux. En revanche Tirésias surnomme Jocaste “ Ma petite brebis” ce qui n’est pas un compliment. La brebis est un animal stupide qui ne fait que suivre le mouvement ce qui montre bien que Jocaste court aveuglément après son destin. Leur relation est ambiguë. Ils se comportent à la fois comme un vieux couple, des amis ou encore comme un père et sa fille : “Ma petite brebis, il faut comprendre un pauvre aveugle qui t’adore, qui veille sur toi et qui voudrait que tu dormes dans ta chambre”. Tirésias n’est définitivement pas à sa place dans son rôle de devin car il devrait adorer ses dieux uniquement. On peut voir une référence à Hamlet de Shakespeare, lorsque le personnage de Hamlet discute avec le fantôme de son père sur les remparts du château par une nuit d’orage et que le spectre lui révèle l’identité de son assassin, ce que le fantôme de Laïus ne parvient pas à faire dans la réécriture parodique de Cocteau puisque personne ne l’écoute. L’écharpe est un élément tragique dans cette scène. C’est une prolepse du destin de Jocaste qui va se pendre (“Tout le jour cette écharpe m’étrangle”) après la réalisation de la prophétie lorsqu’elle apprendra qu’elle couche avec son fils depuis plusieurs années. Cette écharpe lui colle à la peau de manière surnaturelle et manifeste des signes du destin. L’écharpe est personnifiée car elle semble avoir sa propre volonté et mener ses propres actions à l’image du destin qui s’acharne contre Jocaste : “Une fois, elle s'accroche aux branches, une autre fois, c’est le moyeu d’un char où elle s’enroule, une autre fois tu marches dessus.” 

 

II) Le rêve de Jocaste, révélateur du mythe d’Oedipe

Le rêve de Jocaste est une représentation du mythe d’Oedipe. L’expression : “une espèce de nourrisson” est surprenante mais représente l’ambiguïté de la relation entre Jocaste et son fils Oedipe qui sera aussi son mari et le père de ses autres enfants. L’expression “ pâte gluante” reprise par “j’essaye de lancer cette pâte” représente le destin de Jocaste, il n’est donc pas possible de s’en débarrasser. Elle “coule entre les doigts” car cet enfant est hors de contrôle, il accomplira la prophétie malgré toutes les tentatives des autres personnages pour l’en empêcher. Jocaste est aveugle comme l’indique l’usage du verbe “croire” : “et quand je me crois libre”, elle ne peut pas être libre puisque c’est son destin tragique d’épouser son fils Oedipe. “La pâte” qui “revient” est le symbole du retour de Oedipe à Thèbes et la gifle celui de leur coup de foudre amoureux  : “la pâte revient à toute vitesse et gifle ma figure.” L’expression “c’est immonde” annonce l’inceste. Cette pâte “reste reliée à [Jocaste]”, d’abord par le cordon ombilical, puis par la relation sexuelle incestueuse : “une espèce de bouche qui se colle sur ma bouche. Et elle se glisse partout : elle cherche mon ventre, mes cuisses”. C’est une prolepse de la révélation de l’inceste (“quelle horreur ! “), à la suite de quoi Oedipe se crèvera les yeux pour ne plus voir ses crimes et Jocaste se suicidera par pendaison (omniprésence de l’écharpe).

 

Conclusion : Malgré le comique de la scène, ce passage est bien une réécriture du mythe tragique d’Oedipe.

Analyse de l'Acte I, L’escalier

I- Une réécriture de la tragédie antique

 

Répétition d’escalier : “Encore un escalier ! Je déteste les escaliers ! Pourquoi tous ces escaliers ?” - Les escaliers sont pour Jocaste la cause de sa future mort, ils sont représentés comme son assassin.

 

Personnification de l’écharpe :  «Mais ce n'est pas contre toi que j'en ai... C'est contre cette écharpe ! Je suis entourée d'objets qui me détestent ! [...] Elle me tuera.» Cette écharpe fait référence à la malédiction prédite par les oracles. Jocaste essaye de s’en débarrasser en abandonnant son fils mais elle revient, et elle sera toujours là ; Oedipe devra tuer son père et épouser sa mère.  L’écharpe symbolise la corde autour cou pour signifier que Jocaste est prisonnière de son destin.

 

«Il fallait prendre un autre guide. Je suis presque aveugle» : est une image du destin et montre que les personnages ne pourront pas y échapper.

 

«Et à quoi sert ton troisième œil, je demande ? As-tu trouvé le Sphinx ? As-tu trouvé les assassins de Laïus ? As-tu calmé le peuple ?»  : De nombreuses questions rhétoriques soulignent l’impuissance des personnages et en particulier de Tiresias.

 

«Je sens les choses. Je sens les choses mieux que vous tous ! (Elle montre son ventre.) Je les sens là !» : Le ventre est symbolique car tout ses problèmes à venir vont être causés par la naissance de son fils.

 

«Madame sait bien que le Sphinx rendait les recherches impossibles.» : La fatalité est également présente à travers la menace que représente le Sphinx.

 

« JOCASTE : Je ne dors pas.

TIRÉSIAS : Vous ne dormez pas ?

JOCASTE : Non, Zizi, je ne dors pas. [...] Je ne dors plus et c'est mieux, car, si je m'endors une minute, je fais un rêve, un seul et je reste malade toute la journée.» : La nuit représente aussi la fatalité car même pendant son sommeil, elle rêve de l’oracle.

 

«L'endroit du rêve ressemble un peu à cette plate-forme ; alors je te le raconte. Je suis debout, la nuit ; je berce une espèce de nourrisson. [...] Et elle se glisse partout : elle cherche mon ventre, mes cuisses. Quelle horreur» : Son fils est représenté comme un monstre qui ne la lâchera jamais, et son rêve est également une prolepse de l’inceste.  

 

«Je ne veux plus dormir, Zizi...» : Jocaste cherche une échappatoire, mais les Dieu la rattrapent.  

 

II- Le registre comique qui renforce le tragique

 

«Elle a un accent très fort : cet accent international des royalties» : Les personnages sont désacralisés et même ridiculisés.

 

«Mais, madame, vous savez ce que je pense de cette escapade, et que ce n'est pas moi…» : Tirésias se plaint toujours, mais personne ne l’écoute.

 

«Taisez-vous, Zizi. Vous n'ouvrez la bouche que pour dire des sottises. Voilà bien le moment de faire la morale.» : Le temps de parole n’est pas respecté, Jocaste coupe sans arrêt la parole à Tiresias alors qu’elle devrait boire respectueusement les paroles de l’oracle.

 

«Il fallait prendre un autre guide. Je suis presque aveugle.» fait sourire car Tiresias est l’oracle qui doit aider Jocaste, la guider  mais il ne voit rien ce qui est paradoxal. Tiresias voudrait guider Jocaste sur le plan spirituel mais elle l’en empêche en lui coupant sans cesse la parole et en lui demandant de la guider dans le monde matériel ce qui n’est pas son rôle.

 

«À quoi sert d'être devin, je demande ! Vous ne savez même pas où se trouvent les escaliers. Je vais me casser une jambe ! Ce sera votre faute, Zizi, votre faute, comme toujours.» : Tiresias est incapable de trouver une solution au problème de Jocaste. De plus, les personnages se donnent des surnoms comiques ce qui est en contradiction avec leur statut. On assiste ici à une scène de dispute, ils se font énormément de reproches sans  s’écouter. Il y a aussi une exagération de la part de Jocaste qui devrait pourtant rester digne en toutes circonstances.

 

«Mes yeux de chair s'éteignent au bénéfice d'un œil intérieur, d'un œil qui rend d'autres services que de compter les marches des escaliers !» : Tirésias contraste avec Jocaste car lui reste sage et sensé même s’il est impuissant, alors Jocaste perd la raison.

 

«Le voilà vexé avec son œil ! Là ! là ! On vous aime, Zizi ; mais les escaliers me rendent folle. Il fallait venir, Zizi, il le fallait !» : Jocaste ne respecte pas Tiresias, elle lui donne des ordres, elle lui donne un surnom humiliant. 

 

«Ma petite brebis, il faut comprendre un pauvre aveugle qui t'adore, qui veille sur toi et qui voudrait que tu dormes dans ta chambre au lieu de courir après une ombre, une nuit d'orage, sur les remparts.» : La brebis est un animal stupide, qui doit suivre les autres comme Jocaste qui est condamnée à subir son destin.

 

« Ecoute la musique. Où est-ce ?» : Jocaste passe d’un sujet horrible, à une discussion sur la musique qui est trop forte, il n’y a aucun rapport elle veut juste penser à autre chose.

 

«JOCASTE : Et tous sont en deuil, Zizi. Tous ! Tous ! Tous ! et ils dansent, et je ne danse pas. C'est trop injuste...» : Jocaste a un comportement déraisonnable, voire puéril, qui ne correspond aucunement à ce que l’on attend de la part d’une reine.

Analyse de l'Acte I, Le fantôme

I) La scène crée une tension dramatique dans la pièce

a) Une enquête qui n'aboutit à rien 

Les soldats tentent de résoudre le problème avec un fantôme qui n’arrive pas à se faire entendre, un devin qui ne devine rien et ne voit rien et une reine stupide.

 

b) L’échec du fantôme

“Jocaste ! Tirésias ! Ne me voyez-vous pas ? Ne m'entendez-vous pas ?” : Le fantôme, étant celui qui détient le savoir qui pourrait bloquer la prophétie, n’arrive pas à la révéler. 

“Pendant ces répliques, le soldat s'est rendu à l'endroit où le fantôme se manifeste. II le touche de la main.” : Cette didascalie souligne l’impuissance du fantôme, qui malgré tous ses efforts, échoue à se faire entendre. 

 

II) Une scène qui révèle la destinée tragique 

a) Introduction des thèmes tragiques de la vue et de la connaissance 

“On comprenait qu'il voulait vous prévenir d'un danger, vous mettre en garde, la reine et vous, mais c'est tout.” : Le fantôme voudrait briser la prophétie en révélant à Jocaste qu’elle est sur le point d’épouser son fils mais il demeure impuissant.

“La dernière fois, il a expliqué qu'il avait su des secrets qu'il ne devait pas savoir, et que si on le découvrait, il ne pourrait plus apparaître.” : Le fantôme est coincé entre le monde des vivants et le monde des morts tant que l’injustice qui a causé sa mort n’est pas réparée.

 

b) L’idée de fatalité de la machine infernale (le destin, la prophétie)

“une tache rouge, sur la tempe, une tache rouge vif.” : La moitié de la prophétie s’est déjà réalisée avec le meurtre de Laïus par Oedipe.

“Toujours trop tard. Zizi, je suis toujours informée la dernière dans le royaume.” : En effet, Jocaste sera la dernière à se rendre compte qu’Oedipe est son fils.

“Et il y aura des cataclysmes, des cataclysmes épouvantables. Et ce sera votre faute, Zizi, votre faute, comme toujours.” : L’accomplissement de la prophétie est inévitable et Tirésias en est la cause, car s’il n’avait pas prédit qu’Oedipe tuerait son père et épouserait sa mère, Laïus n’aurait pas ordonné son exécution, le soldat en charge de cette besogne ne l’aurait pas abandonné dans le désert et ils auraient pu le garder sous les yeux et empêcher cette tragédie.

“à ce garçon de dix-neuf ans qui est beau et qui ressemble…” : On voit que Jocaste est toute disposée à se laisser séduire par un jeune homme, et donc elle va tomber amoureuse d’Oedipe.

“Et il y a de l'orage. Mon épaule me fait mal.

J'étouffe, Zizi, j'étouffe.” : Outre que la reine se comporte d’une façon indigne de son rang, ce passage symbolique montre qu’elle est tout près d’accomplir la prophétie.

 

III) Des effets de décalages (la modernité)

a) Des personnages comiques

“Il parlait vite et beaucoup, Majesté, beaucoup, et il s'embrouillait, et il n'arrivait pas à dire ce qu'il voulait dire.” : Le jeune soldat utilise un vocabulaire familier, qui n’est pas autorisé dans la tragédie classique, avec des fautes de syntaxes telles que : “C'est comme qui dirait une espèce de statue transparente”

“Tirésias, jamais vous n'apprendrez cela dans vos volailles.” : Le personnage de Tiresias est présenté de manière ridicule alors que dans la tragédie de Sophocle il a un rôle décisif puisque c’est lui qui prononce la prophétie à l’encontre d’Oedipe. Cette ridiculisation persiste avec le sobriquet que lui donne Jocaste qui a des connotations enfantines et sexuelles :“C'est juste, Zizi, très juste.” Jocaste accuse Tirésias de tous les maux et le tutoie : “Tu vois, Zizi, avec tes doutes.” Les oracles sont ridiculisés et Tirésias est présenté comme un bon à rien : “Que de temps perdu avec vos poulets et vos oracles ! Il fallait courir. Il fallait deviner. Nous ne saurons rien ! rien ! rien !”. Le devin devrait être capable de voir ou d’entendre le fantôme, mais ce n’est pas le cas : “Il ne vous a pas parlé, à vous, Zizi”.

“JOCASTE

C'est du sang !

LE JEUNE SOLDAT

Tiens ! On n'y avait pas pensé.” : C’est ironique, le soldat se moque de la reine. La bêtise de Jocaste est mise en avant. Ainsi Cocteau brise une autre règle de la tragédie classique qui veut que les personnages soient nobles et admirables.

 

b) Le traitement du fantôme (le théâtre dans le théâtre)

“Le fantôme disait que c'est à cause des marécages et des vapeurs qu'il pouvait apparaître.” : On a une mauvaise image de Laïus qui est associé à la putréfaction ce qui sous-entend que c’était un roi pourri. Cocteau présente le roi de façon irrévérencieuse et ridicule.

“C'est difficile, Majesté. Mon camarade a remarqué qu'il se donnait beaucoup de mal pour apparaître, et que chaque fois qu'il se donnait du mal pour s'exprimer clairement, il disparaissait ; alors il ne savait plus comment s'y prendre.” : Au théâtre, la parole est primordiale car elle est performative, c’est-à-dire qu’elle fait exister les personnages. Ici, le fantôme n’arrive pas s’exprimer ni à être vu ce qui le rend pitoyable aux yeux des autres personnages et du spectateur. Il s’agit ici de théâtre dans le théâtre puisque le spectateur est témoin de l’impuissance de ce fantôme qui n’est plus que l’ombre de roi effrayant qu’il a été : “Le pauvre !”, “Ils ne le voient ni ne l'entendent pendant toute la scène.”

Acte II, La Matrone et le Sphinx. Comment Cocteau grâce au double discours insère-t-il une allusion à la crise de 1929 dans l’intrigue de sa tragédie mythologique ?

La Matrone représente la patrie Allemande tandis que le Sphinx représente la crise économique de 1929. 

Le registre dominant est le registre pathétique pour évoquer la crise de 1929 : “Vos fils se disputent ?”, “On égorge, on pille, on éprouvante le peuple”, “les bandes de pillards infestent les campagnes”(on est au coeur de la guerre civile), “on crève de famine, [...] les prix montent” (l’inflation), “ rien ne marche, [...] personne ne gouverne, [...] les faillites se succèdent [...] les épouses perdent leur gagne-pain [...] les étrangers qui dépensent se sauvent de la ville” (allusion au jeudi noir, krach boursier lors duquel les américains qui avaient investi en allemagne après la première guerre mondiale ont massivement retiré leurs capitaux, provoquant la faillite de nombreuses entreprises allemandes). 

On remarque une insistance sur la douleur des mères qui est théâtralisée par la façon dont le corps de son fils est rendu à la Matrone : “Votre deuil date”, “sa pauvre petite figure et, à la nuque, tenez ici, une grosse blessure d’où le sang ne coulait même plus. On me le rapportait sur une civière[...] je suis tombée, comme ça… des malheurs pareils, comprenez-vous, ça vous marque”.

Cocteau évoque aussi le mouvement anarchiste : “il méprise la ville, il méprise les dieux, il méprise tout. On se demande où il va chercher ce qu’il vous sort. Il déclare que le Sphinx l’intéresserait s’il tuait pour tuer, mais que notre Sphinx est de la clique des oracles, et qu’il ne l’intéresse pas”.

De plus, Cocteau dénonce la guerre par le sacrifice des jeunes soldats que l’on envoyait mourir au front : “mon pauvre fils était de la série des offrandes”, “ on a sacrifiait la jeunesse des écoles ; alors les prêtres ont déclaré que le Sphinx exigeait des offrandes. C’est là-dessus qu’on a choisi les plus jeunes, les plus faibles, les plus beaux.” 

Enfin nous voyons une allusion très claire à Hitler : “ il faut le voir, mademoiselle, monter sur la table, criant, gesticulant, piétinant ; et il dénonce les coupables, il prêche la révolte, il stimule les anarchistes, il crie à tue-tête des noms de quoi nous faire pendre tous”, “Il faudrait un homme de poigne, un dictateur!” Dans la dernière tirade de la Matrone, Cocteau montre comment le peuple allemand a vu en Hitler un sauveur : “Il faudrait un chef qui tombe du ciel”. En effet, il a sorti l’Allemagne de la crise économique (“qui tue la bête”) en relançant l’industrie par le réarmement du pays (“qui relève les finances”). A travers ses discours il a galvanisé la foule ( “qui remonte le moral du peuple”), et il a redonné sa fierté au peuple allemand : “qui l’aime, qui nous sauve”. 

Mais dans ce passage, nous relevons un double discours car il est aussi ancré dans le mythe par sa portée prophétique puisqu’il annonce le retour d’Oedipe à Thèbes et l’accomplissement imminent de la malédiction : “La reine Jocaste est encore jeune [...] Il faudrait un chef qui tombe du ciel, qui l’épouse, qui tue la bête, qui punisse les trafics, qui boucle Créon et Tirésias”.

Acte II, Oedipe et le Sphinx

I) Le mélange entre tragédie et comédie

a) Le langage

Les règles de la tragédie imposent un langage soutenu car les personnages sont d’un rang élevé, mais dans cette tragédie de Cocteau, le langage y est familier : “Et je te ferais mettre à genoux. Allons… Allons… là, là… Sois sage. Et tu courberais la tête… et l’Anubis s’élancerait. Il ouvrirait ses mâchoires de loup !” L’idée de familiarité est renforcée par l'emploi du tutoiement, au lieu du vouvoiement imposé dans une tragédie classique.

 

b) Les personnages 

Cocteau modernise la tragédie en mélangeant tout d’abord la mythologie grecque avec le Sphinx et Oedipe, et égyptienne avec le chien Anubis. Il donne également des sentiments surprenants aux personnages, notamment au Sphinx, qui éprouve de l’amour envers Oedipe alors qu’il devrait être cruel. Le Sphinx aide également Oedipe pour résoudre l’énigme, or dans la tragédie classique, le Sphinx est redouté de tous et ne donne aucune information à Oedipe. 

 

II) Les rapports ambigus entre les deux personnages

a) L’identité des personnages

Tout d’abord, le Sphinx est représenté en jeune fille, ce qui adoucit l’image du monstre de la mythologie. Le personnage est également amoureux d’Oedipe, ce qui est impensable dans l’histoire d’origine. Le Sphinx fait preuve de bienveillance envers le personnage d’Oedipe en lui donnant la clé de l’énigme, ce qui lui donne une image presque simplette comme le souligne la remarque du chien : “Vous attendiez-vous à une autre attitude ?” Oedipe, quant à lui est perçu comme un personnage idiot et faible, “Oh ! Madame… Oh ! Madame ! Oh ! non ! non ! non ! non, madame !” Et ne comprenant pas les choses comme le fait remarquer le Sphinx: “L’imbécile ! Il n’a donc rien compris.” Le chien Anubis, représente l’arbitre de la discussion entre Oedipe et le Sphinx et a même un rôle presque paternaliste.

 

b) Chacun essaye d’exercer une domination sur l’autre

Les personnages d’Oedipe et du Sphinx exercent tous deux une domination l’un envers l’autre mais contrairement à l’histoire d’origine, la domination est de bravade, comme une querelle entre deux adolescents. Le Sphinx ne passe pas par la force et essaye de manipuler psychologiquement Oedipe en lui faisant une démonstration de ce qui pourrait potentiellement lui arriver, sans rien lui faire. Mais le Sphinx n’arrivera pas à ses fins, comme il le fait remarquer:  “Sans un regard vers moi, sans un geste ému, sans un signe de reconnaissance.” Oedipe veut déjouer le Sphinx et se pense victorieux, mais au final il n’a rien gagné, car le Sphinx lui a lui-même donné la réponse. Anubis quant à lui essaye de raisonner tant bien que mal et sans succès, le Sphinx, emporté par ses sentiments amoureux envers Oedipe. “Silence ! Interroge cet homme.”

 

III) Oedipe, un anti-héros

a) Une caricature d’adolescent

Oedipe est perçu comme une personne faible et simple d’esprit, criant et se lamentant sur son sort alors même qu’il n’a rien subit. “Oh ! Madame… Oh ! Madame ! Oh ! non ! non ! non ! non, madame !” Il considère même avoir gagné face au Sphinx et s’en vanterait presque alors qu’il n’a fait que répéter bêtement la réponse que lui a donné le Sphinx lui-même. “Parti, envolé. Il court à perdre haleine proclamer sa victoire.” Oedipe se perçoit comme le héros de l’histoire mais il ne fait pas réellement d’acte héroïque puisqu’il éprouve une forte peur devant le Sphinx, qui est une jeune fille prête à tout pour obtenir son amour, et ne réfléchit pas avant de se considérer comme gagnant.

 

b) Un personnage idiot

Le personnage ne comprend pas ce qui lui arrive, ayant peur d’une simple démonstration du Sphinx et hurlant de douleur sans n’avoir rien ressenti : “Œdipe pousse un cri.” Il accomplit son destin sans même sans rendre compte, avec l’aide du Sphinx, qui normalement devrait s’opposer à lui. : “Cet animal est l’homme qui marche à quatre pattes lorsqu’il est enfant, sur deux pattes quand il est valide, et lorsqu’il est vieux, avec la troisième patte d’un bâton”. Il ne comprend pas les intentions du Sphinx et ne remarque pas l’anormalité du fait que le Sphinx lui donne la réponse : “ Je l’interrogerai… je l’interrogerai… C’est bon.” Il se considère vite comme victorieux sans avoir rien fait et pense être tout puissant alors qu’en réalité il n’a fait qu’écouter le Sphinx et n’a pas résolu l’énigme de lui-même : “Œdipe, prenant sa course vers la droite : Vainqueur !”

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