Analyse de Roman de Rimbaud dans Les cahiers de Douai

Analyse de Roman de Rimbaud dans Les cahiers de Douai

Etude linéaire

Le titre "Roman" pour un poème de Rimbaud est effectivement surprenant et mérite une analyse approfondie.

 

Tout d'abord, le terme "Roman" évoque immédiatement un genre littéraire distinct du poème. Le roman, en tant que forme littéraire, est généralement associé à une narration longue et détaillée, souvent centrée sur le développement de personnages et d'intrigues complexes. En revanche, un poème est habituellement plus court, plus concentré sur la forme, le rythme, les images et les émotions. L'utilisation de ce titre pour un poème crée donc une dissonance générique, attirant l'attention sur le contraste entre la brièveté et la densité poétique du texte de Rimbaud et les attentes plus expansives et narratives associées au roman.

 

Cependant, ce choix de titre peut être interprété de plusieurs manières. D'une part, il pourrait suggérer que, même dans la brièveté d'un poème, Rimbaud cherche à capturer l'essence d'une expérience ou d'une histoire complète, comme le ferait un roman. Le poème "Roman" lui-même est une sorte de récit condensé de la jeunesse, de l'amour et de la désillusion. D'autre part, ce titre peut être vu comme une ironie ou une critique de Rimbaud envers les conventions littéraires et les attentes des lecteurs. En nommant son poème "Roman", Rimbaud joue avec les normes et défie les catégorisations traditionnelles de la littérature. Cela reflète son esprit avant-gardiste et sa volonté de repousser les limites de la poésie.

 

En somme, le titre "Roman" pour ce poème de Rimbaud est à la fois surprenant et révélateur. Il souligne la tension entre les genres littéraires et invite à une réflexion sur la nature de la narration et de l'expression poétique. Ce choix de titre est un exemple de la manière dont Rimbaud, en tant que poète, remet en question et redéfinit les conventions littéraires.

 

L'aventure amoureuse du narrateur dans le poème "Roman" de Rimbaud semble se terminer sur une note de désillusion et de maturité naissante. Le poème, à travers ses quatre strophes, trace un parcours émotionnel qui va de l'insouciance juvénile à une prise de conscience plus mûre de la réalité.

 

Dans les premières strophes, le narrateur, avec ses dix-sept ans, est emporté par la fougue de la jeunesse. Il y a une célébration de la vie, une ivresse des sens, et une certaine insouciance. L'imaginaire romantique est fort, avec des images de soirées douces, de parfums enivrants, et de rencontres charmantes. Le narrateur est épris, rêveur, presque perdu dans un monde idéalisé de l'amour adolescent.

 

Cependant, vers la fin du poème, le ton change. L'expérience amoureuse, initialement exaltante, semble perdre de son éclat. Le narrateur mentionne que ses sonnets font rire l'objet de son amour et que ses amis le délaissent, suggérant une désillusion et un isolement croissants. La dernière strophe clôt le poème en revenant à la ligne initiale, "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans", mais cette répétition est teintée d'une ironie mélancolique. Le retour aux cafés, demandant des bocks ou de la limonade, symbolise un retour à la réalité, peut-être même une forme de résignation.

 

Cette évolution suggère que l'aventure amoureuse du narrateur se termine non pas dans un drame flamboyant, mais plutôt dans une sorte de désenchantement tranquille. Il y a une prise de conscience de la superficialité ou de l'éphémérité de cette passion juvénile. Le narrateur semble avoir gagné une certaine maturité à travers cette expérience, reconnaissant la légèreté de ses sentiments de jeunesse et acceptant la complexité et les déceptions inhérentes aux relations amoureuses. Ce passage de l'insouciance à une compréhension plus nuancée de l'amour et de la vie est un thème central du poème, reflétant les tumultes et les apprentissages de l'adolescence.

 

Les marqueurs de temps dans "Roman" de Rimbaud jouent un rôle crucial dans la structuration du récit poétique. Chaque strophe peut être perçue comme une étape distincte dans l'évolution de l'expérience du narrateur.

 

1. Première strophe: "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans." Ce vers établit immédiatement l'âge et l'insouciance du narrateur. Un titre approprié pourrait être "L'Insouciance de la Jeunesse".

 

2. Deuxième strophe: "Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser." Ces lignes continuent sur le thème de la jeunesse, mais avec une focalisation sur la nuit spécifique et l'ivresse des sensations. Un titre possible serait "La Nuit Enivrante".

 

3. Troisième strophe: Ici, le temps n'est pas explicitement mentionné, mais le contexte suggère une progression dans la soirée ou dans l'expérience du narrateur. Le titre pourrait être "La Rencontre".

 

4. Quatrième strophe: "Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août." Ce vers indique un passage du temps, suggérant une durée de l'expérience amoureuse. Un titre approprié serait "La Désillusion".

 

La numérotation des strophes, en lien avec le titre "Roman", renforce l'idée d'une progression narrative, comme dans les chapitres d'un roman. Chaque strophe représente une phase distincte de l'histoire, contribuant à l'impression d'un récit complet et structuré, malgré la brièveté du poème.

 

Dans la troisième strophe, le personnage principal devient la "demoiselle aux petits airs charmants". Cette figure féminine prend une importance centrale, captivant l'attention du narrateur. Elle symbolise l'objet de son affection et devient le catalyseur de son éveil émotionnel et de sa désillusion ultérieure.

 

En relisant la première et la dernière strophe, on remarque une structure circulaire. Le poème commence et se termine avec le même vers: "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans." Cette répétition crée un effet de boucle, suggérant que malgré les expériences vécues, le narrateur revient à son point de départ, peut-être un peu plus sage, mais toujours marqué par l'insouciance de la jeunesse. Cette structure souligne le thème de l'éphémérité de l'amour adolescent et de la continuité de la jeunesse, malgré les leçons apprises en cours de route.

 

Dans les deux premières strophes de "Roman", Rimbaud évoque l'éveil des sens à travers une série d'images et de sensations vivantes. 

 

- Dans la première strophe, l'éveil sensoriel est suggéré par des éléments tels que "les tilleuls verts de la promenade" et "Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin". Ces images évoquent à la fois la vue et l'odorat, créant une atmosphère à la fois visuelle et olfactive.

- L'air "parfois si doux qu'on ferme la paupière" suggère une sensation tactile agréable, une douceur presque palpable.

- Le "vent chargé de bruits" éveille l'ouïe, avec une allusion aux sons de la ville et de la nature.

- Les "parfums de vigne et des parfums de bière" stimulent à nouveau l'odorat, évoquant une ambiance à la fois rurale et urbaine.

 

Dans la deuxième strophe, cet éveil sensoriel se poursuit et s'intensifie :

 

- "Un tout petit chiffon / D'azur sombre" stimule la vue, avec une image visuelle précise et colorée.

- La mention de la "mauvaise étoile" et de la "petite et toute blanche" évoque des images nocturnes, ajoutant à la palette visuelle du poème.

- "La sève est du champagne et vous monte à la tête" combine le goût (le champagne) avec une sensation physique (la montée à la tête), illustrant l'ivresse des sens.

 

La synesthésie, qui est la description d'une expérience sensorielle en termes d'une autre, est présente dans ce poème. Par exemple, les "parfums de vigne et des parfums de bière" peuvent évoquer non seulement l'odorat mais aussi le goût. De même, le "vent chargé de bruits" mêle l'ouïe et le toucher, suggérant une expérience où les sons sont presque tangibles. Ces exemples montrent comment Rimbaud fusionne les sens pour créer une expérience immersive et multidimensionnelle.

 

La nature, dans ce poème, est intimement liée à l'expérience émotionnelle et sensorielle du narrateur. Elle représente un cadre vivant et dynamique qui reflète et amplifie les sentiments du poète. 

 

- Les "tilleuls verts" et les "bons soirs de juin" évoquent la fraîcheur, la jeunesse et la vitalité, des thèmes centraux dans le poème.

- La nature n'est pas seulement un décor, mais un participant actif à l'expérience du narrateur. Elle est chargée d'émotions et de sensations, comme en témoignent les "parfums de vigne" et le "vent chargé de bruits".

- Cette description de la nature va au-delà de la simple observation ; elle devient un miroir des états intérieurs du narrateur, reflétant son éveil, son ivresse et sa passion.

 

En somme, dans "Roman", la nature n'est pas seulement un cadre, mais un élément essentiel qui interagit avec et renforce les thèmes de la jeunesse, de l'amour et de l'éveil sensoriel.

 

L'emploi du pronom indéfini "on" et du présent à valeur de vérité générale dans le poème "Roman" de Rimbaud est significatif. Le "on" crée un effet d'universalité, suggérant que les expériences décrites ne sont pas uniquement celles du narrateur, mais peuvent être partagées par tous. Cela donne au poème une résonance plus large, permettant aux lecteurs de s'identifier aux sentiments et aux situations évoqués. Le présent à valeur de vérité générale renforce cette universalité et intemporalité, suggérant que les observations et les sentiments exprimés sont des vérités constantes sur la jeunesse et l'amour, pas seulement des expériences personnelles ou momentanées.

 

Plusieurs éléments du poème "Roman" tendent à constituer un cliché des amours adolescentes :

- L'idéalisation de l'amour et de la jeunesse, comme dans "Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin" ou "Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser."

- La description de l'émoi amoureux et de l'ivresse des sens, typique de la passion juvénile.

- La figure de la "demoiselle aux petits airs charmants" et la réaction naïve du narrateur à son égard.

- La désillusion finale, où l'amour s'avère éphémère et superficiel, est également un thème récurrent dans les représentations des premiers amours.

 

Le regard de Rimbaud sur cette scène semble teinté d'ironie, mais aussi de nostalgie. Il y a une certaine moquerie douce dans la façon dont il décrit l'insouciance et l'extravagance des sentiments adolescents, comme dans la répétition du vers "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans." Cependant, cette ironie n'est pas cruelle ; elle semble plutôt empreinte d'une certaine tendresse pour la naïveté de la jeunesse. Rimbaud ne condamne pas ces expériences, mais les présente avec une lucidité qui suggère à la fois une compréhension et une certaine nostalgie pour cette période de la vie.

 

Le vers 17, "Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.", éclaire le sens du titre du poème en soulignant l'aspect à la fois dramatique et quelque peu comique de l'amour adolescent. Le terme "Roman" suggère une grande histoire, souvent idéalisée, mais ici, Rimbaud montre que cette "grande histoire" peut aussi être pleine d'ironie et de désillusion. L'amour, vu à travers les yeux d'un adolescent, peut ressembler à un roman dans son intensité et son dramatisme, mais il est aussi sujet à l'inconstance et à l'immaturité, comme le révèle le rire de la jeune fille face aux sonnets du narrateur. Ce contraste entre l'idéalisation de l'amour et la réalité plus prosaïque et parfois décevante est au cœur du poème, reflétant la complexité et la dualité des expériences de la jeunesse.

 

Commentaire composé

Le poème "Roman" de Rimbaud offre une exploration riche et nuancée de l'expérience adolescente, oscillant entre lyrisme, ironie et modernité.

 

I) Un poème lyrique

 

"Roman" s'inscrit dans la tradition du poème lyrique, tout en y apportant une touche personnelle et moderne. Rimbaud, alors âgé de 17 ans, y exprime des sentiments intenses et personnels, caractéristiques du lyrisme. Le vers "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans" souligne cette dimension autobiographique. Le poète utilise des images bucoliques telles que "les tilleuls verts de la promenade" et "Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin", qui établissent un lien entre l'amour et le printemps, renforcé par l'utilisation de figures de style comme le chiasme. La sensualité est également présente, notamment à travers la synesthésie dans des vers comme "L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ; Le vent chargé de bruits [...] A des parfums de vigne et des parfums de bière..." ou la métonymie dans "un tout petit chiffon D'azur sombre", qui évoque la robe d'une jeune fille, renforçant la sensualité et l'atmosphère bucolique du poème.

 

II) Un poème ironique

 

Rimbaud injecte une dose significative d'ironie dans son traitement de l'amour adolescent. Le vers "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans" peut être interprété comme une référence au regard condescendant des adultes sur les adolescents. Le poète se moque de l'attitude des adolescents, notamment dans leur manière de confondre désir et amour, comme le suggère le vers "La sève est du champagne et vous monte à la tête…". L'ironie se poursuit avec la description des interactions entre les jeunes hommes et femmes, où Rimbaud se moque de leur naïveté et de leur comportement complice. L'anaphore dans "Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août. Vous êtes amoureux." souligne l'idiotie et l'éphémérité de l'amour adolescent, tandis que le rythme binaire crée une impression de balancement. Le poète aborde également le dilemme entre l'amitié et l'amour à l'adolescence et la gestion maladroite des émotions par les jeunes.

 

III) Un poème moderne

 

Rimbaud introduit des éléments modernes dans "Roman", notamment par l'évocation de la ville et des cafés, comme dans "Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !". Le thème urbain est subtilement tissé dans le poème, évoquant une atmosphère contemporaine à l'époque de Rimbaud. Le champ lexical de l'ivresse et les références à la célébration des victoires amoureuses dans les cafés soulignent cette modernité. Le néologisme "Le cœur fou Robinsonne à travers les romans," fait allusion à Robinson Crusoé, suggérant que l'amour devrait être vécu comme une aventure, une idée renforcée par l'enjambement final. Ce dernier vers, "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade", souligne l'empressement des adolescents à découvrir l'amour, tout en bouclant le poème sur une note à la fois légère et profonde.

 

Ainsi, à travers "Roman", Rimbaud parvient à entrelacer le lyrisme traditionnel avec une ironie mordante et une modernité saisissante, offrant une vision complexe et nuancée de l'amour et de la jeunesse.

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