Analyse de L'albatros de Baudelaire

Analyse de L'albatros de Baudelaire

Poème

L'albatros

 

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage1

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents2 compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

 

A peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l'azur3, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d'eux.

 

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule4 !

Lui, naguère5 si beau, qu'il est comique et laid !

L'un agace son bec avec un brûle-gueule,

L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

 

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

 

Charles Baudelaire Les Fleurs du mal 

 

1 équipage : l'ensemble des personnes travaillant sur un bateau

2 indolents : nonchalants, paresseux

3 azur : ici, désigne la mer

4 veule : lâche

5 naguère : autrefois

Commentaire composé

Comment Baudelaire traite-t-il du thème du poète maudit à travers la description d’un albatros arrivant sur un bateau ?

v4 «Le navire glissant sur les gouffres amers» : Le navire symbolise la vie humaine que Baudelaire déteste. 

 

1. La foule représentée par l’équipage

 

v1 «Souvent pour s’amuser, les hommes d’équipage» : Ce vers décrit l’équipage comme puéril et irresponsable car ces hommes humilient un animal noble noble : l’albatros.

v12 le poète est infirme en société, et au lieu de l’aider comme des personnes matures et responsables, le peuple s’amuse en se moquant de lui : «mime, en boitant, l’infirme qui volait.» Maintenant que le poète n’est plus réellement supérieur, la foule le rabaisse au moyen d’un jeu d’enfant, pour qu’il ne redevienne jamais aussi imposant que lorsqu’il était dans le ciel.

 v9  «Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!»

v10 «Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid!» : allitération en [k], l’albatros cloué au sol est rabaissé au rang d’une poule qui caquette.

C’est la vision que le peuple a du poète : un être «gauche et veule» c’est-à-dire faible et maladroit car les hommes du peuple ne jugent que par l’apparence, ils ne peuvent comprendre que le poète est bien plus fort par la pensée. Ils trouvent que le poète est «comique et laid» car il est handicapé à cause de ses ailes et donc de son imagination et de sa supériorité. 

A première vue, les hommes du peuple acceptent la poésie, mais lorsqu’ils essayent de la comprendre, ils n’en sont pas capables. Comme ils sont inférieurs aux poètes, ils essayent de les rabaisser par jalousie.

v11 «L’un agace son bec avec un brûle-gueule.» La foule cherche à empêcher le poète de parler car il est supérieur par la parole mais inférieur dans le conflit physique. L’homme qui possède un brûle-gueule fume, il n’a donc symboliquement pas une belle voix, contrairement au poète. Le peuple est donc incapable de s’exprimer comme le poète, ce qui confirme son infériorité.

 

2. Le poète se compare à l’albatros

 

Les trois premières strophes décrivent la capture de l’oiseau par les marins.

L’albatros est décrit de deux manières : Méliorative lorsqu’il vole : «Vastes oiseaux des mers, compagnons de voyage, rois de l’azur, beau, prince des nuées», et péjorative lorsqu’il est sur le bateau, surtout dans la 4ème strophe.

v2 «Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,» : comme le monde intérieur du poète est grand et vaste. 

v3 «Qui suivent indolents compagnons de voyage» : l’oiseau est comme le poète, il suit le bateau et atterrit dessus par erreur. L’albatros ne peut plus s’envoler une fois qu’il tombe sur le bateau à cause de sa trop grande envergure, il est donc prisonnier et sûrement condamné à mort. Le poète va dans le même sens que l’humanité mais reste à part (dans les airs) et ne se mélange à la foule que de manière involontaire ou uniquement lorsqu’il y est obligé. Comme le poète est supérieur intellectuellement au peuple, il ne peut continuer son métier car le peuple le rabaisse. Ils empêchent sa pensée de s’élever.

v4 «Le navire glissant sur les gouffres amers»: le navire est comparé à la plume du poète qui glisse sur les pages de son recueil.

v10 «Lui naguère si beau,» représente le point de vue du poète qui se trouve beau grâce à son imagination sans limite. 

v13 «Le poète est semblable au prince des nuées.

v14 Qui hante la tempête et se rit de l’archer.» : dès que le poète écrit ou laisse libre court à son imagination, il devient «le prince des nuées», majestueux et loin du peuple. Il «hante la tempête» car lorsqu’un malheur frappe le peuple, il n’est pas touché, il est en marge de la société et ne subit donc pas la tempête. Il «se rit de l’archer» car plus rien ne peut l’atteindre, il est trop supérieur et plus aucun affront ne peut ralentir son imagination. 

v5 «A peine les ont-ils déposés sur les planches,

v6 Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,» signifie que dès que le poète se mêle à la vie des gens ordinaires, il est handicapé par son imagination, symbolisée par ses ailes qui l'empêchent de devenir un homme ordinaire et de se fondre dans le décor. Le poète est handicapé car il possède quelque chose de plus que les autres : l'imagination que Baudelaire surnomme “la reine des facultés”. 

v6 «Rois de l’azur» : pour l’oiseau cela décrit la couleur du ciel, pour le poète il s’agit de la couleur de l’encre qui démontre encore sa faculté intellectuelle hors norme.

Le poète est maladroit et honteux, il n’est pas capable de se comporter en société et subit de nombreuses moqueries.

v7 «Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches» : le peuple peut empêcher le poète de créer en le privant de son inspiration. En revanche il ne peut le salir, il restera blanc, couleur de la pureté. «Piteusement» : sentiment de pitié que l’on éprouve lorsque l’on voit un poète en société alors qu’il était majestueux comme un roi dans le ciel (sur le papier).

v8 «Comme des avirons traîner à côté d’eux» : Comparaison avec les avirons : grandes rames : le poète “rame” lorsqu’il est en société, il ne peut se comporter normalement et éprouve des difficultés pour s'adapter et ne pas se faire remarquer. Il est donc très différent des autres, et subit donc des moqueries.

v9 «Ce voyageur ailé comme il est gauche et veule» : le poète est un voyageur, qui ne va en société que pour faire une sorte d’escale, il ne veut pas y rester le reste de sa vie. Il est donc fragilisé et maladroit durant ce séjour car il n’est pas adapté à la vie en société avec ses grandes ailes blanches. 

v12 «L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait» : l’oxymore «infirme» / «volait» montre que le poète était élégant mais en arrivant dans la société il devient handicapé et donc infirme. Le rythme ternaire hachuré mime les pas du poète- albatros qui boite. 

v15 «Exilé sur le sol au milieu des huées, 

v16 «Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.»  : Le poète se retrouve de nouveau en société de manière forcée : il est loin de sa terre natale, l’imagination et les airs où personne ne le domine. Il se retrouve dans ce territoire qui lui est hostile. Il n’est pas adapté à la vie en société, son plus grand avantage dans la poésie, son imagination, l'empêche de marcher et devient donc sa contrainte dans la vie au milieu de la foule.

Les rimes croisées montrent que le poète et la foule ne se comprennent pas, ils se croisent sans se comprendre, ce qui crée un conflit.  Les allitérations en [k] et en [r] soulignent la souffrance du poète lorsqu’il est persécuté par la foule imbécile. Enfin, on remarque que le rythme est ample lorsque l’albatros vole et qu’il est saccadé lorsqu’il peine à marcher.

 


Écrire commentaire

Commentaires: 0