Analyse de Voyage au bout de la nuit de Céline

Analyse de Voyage au bout de la nuit de Céline

Analyse de Manhattan, De « Comme si j’avais su où j’allais» à « Un tout minuscule guichet entre de hautes arches, c’est tout»

I- Une atmosphère angoissante 

Tout d’abord, on remarque que Bardamu est perdu “comme si j’avais su où j’allais, j’ai eu l’air de choisir encore et j’ai changé de route”. Le narrateur manque de lumière et ne se sent pas en sécurité “j’ai pris sur ma droite une autre rue, mieux éclairée”. Les “morceaux du ciel” nous donne l'impression que le ciel est déchiré par les buildings, cela crée une atmosphère inquiétante. La vie semble s’être retirée : “restait du jour avec des mouettes”. La lumière est personnifiée et décrite comme “malade” puisque New-York c’est le règne de la nuit au sens propre comme au sens figuré, d’où le titre du roman Voyage au bout de la nuit. Le champ lexical de la saleté provoque un dégoût pour la ville : “et si grise que la rue en était pleine comme un gros mélange de coton sale”. Le narrateur crée un sentiment de détresse de plus en plus marqué et qui n’en finit plus comme la rue “C’était comme une plaie triste la rue qui n’en finissait plus, avec nous au fond, nous autre, d’un bord à l’autre, d’une peine à l’autre, vers le bout qu’on ne voit jamais, le bout de toutes les rues du monde”. Le style oral nous fait partager l’angoisse grandissante du narrateur, de même que la focalisation interne.

 

II- Le règne du dollar

Cette angoisse existentielle est causée par la perte de la foi et de toutes les valeurs humaines et morales puisque l’argent a remplacé Dieu dans le coeur des New-yorkais (personnification du dollar, avec la majuscule), ce qui donne lieu dans la deuxième partie du texte à une longue métaphore filée blasphématoire : “On n’y entre qu’à pied comme à l’église”. Dans cette société régie par par l’argent, c’est l’argent qui donne la vie et non l’amour, ainsi “le beau coeur en banque”, est comparé au Sacré Coeur de Jésus. Le narrateur répète le mot “vrai” pour renforcer son opinion : “un vrai miracle”, “un vrai Saint-Esprit, plus précieux que du sang”, pour les New-yorkais, l'argent à plus de valeur que tout, d’où le blasphème puisque rien ne devrait être plus précieux que le sang de Jésus qui sauve l’Homme. Dans cette société cupide, plus rien ne peut racheter le coeur de l’homme endurci et corrompu. La banque est comparée à une cathédrale “minuscule guichet entre de hautes arches”, le guichet de banque remplace l’autel sacré et les clients deviennent des “fidèles” (le mot fidèle signifie qui croit en quelque chose, ici on croit au pouvoir de l’argent). L’homme a donc perdu toute sa spiritualité dont il ne reste qu’un simulacre avec la métaphore du confessionnal, “petit grillage”, “ils se confessent, quoi”. On peut voir dans la description des routes une représentation symbolique de la vie des employés toute tracée et très quadrillée, rectiligne. Cette vie maussade et monotone fait naître un sentiment de tristesse chez les employés de banque qui brassent de grandes quantité d’argent qui ne sont pas pour eux.

Analyse des tramways, De « En banlieue, c'est surtout par les tramways que la vie vous arrive le matin » à « avec le billet de retour qui coûte autant à  lui tout seul que deux petits pains »

I/ Les voyages en tramway

1/ Un microcosme

- “des pleines bordées d'ahuris brinquebalant” : Le narrateur décide de mettre les banlieusards dans le tramway, lieu public. Les individus, une fois entrés dans le tramway n’ont plus leur propre personnalité ni pensée mais forment une seule personne. Les banlieusards sont condamnés à aller dans le tramway et à suivre le reste des banlieusards. Les banlieusards sont globalisés, réduits à l’anonymat une fois regroupés, comme s’ils formaient une seule personne.

- “Là-dedans, c'est nous.” : Céline nous englobe dans la mauvaise condition des banlieusards, on est sclérosés dans cette société qui est là pour broyer les gens, les maintenir dans un état dégradé.

-  “surtout celles qui descendent au marché vers Saint-Ouen, les demi-bour­geoises” : Le narrateur  fait un amalgame entre les femmes. Elles sont représentées comme vulgaires, agressives. Le terme demi-bourgeoise montre que les femmes des extérieurs de Paris sont des bourgeoises qui ont été contaminées par la saleté morale de la banlieue, ce qui les rétrograde. 

- “qu'elles demandent bien avant d'y arriver pour faire voir qu'elles ont de quoi” indique que les femmes du tramway cherchent à montrer aux autres qu’elles ont de l’argent, même si elles n’ont nécessairement pas beaucoup, la pression sociale prend la forme d’une compétition.

- L’auteur utilise des expressions afin de globaliser les hommes, femmes et situation financière : “ les complets détrempés, [...] cols inusables et raides”. 

 

 2/ L'agitation frénétique des banlieusards

-  “des pleines bordées d'ahuris brinquebalant”: Tout le monde se laisse guider par le tramway afin d’aller au travail ou ailleurs. 

- “Au matin donc le tramway emporte sa foule se faire comprimer dans le métro”: Les banlieusards sont destinés à suivre la même routine, toujours enfermés dans le tramway. On a l’impression que l'arrêt de tramway marque l'échec, comme s’ils étaient condamnés au malheur.

- “le métro avale tous et tout”: Le tramway est personnifié et représenté comme un monstre dévoreur de banlieusards.

-  “les complets détrempés, [...] glorieux de la guerre”: L’accumulation montre que les banlieusards sont désemparés, empilés comme des sardines “dans la caisse en fer”. 

 

3/ Une image de l'humanité

 -  “si sale qu'on la prend tou­jours pour les chiottes”: L’auteur donne une image sale, dégradée, usée de l'humanité. L'humanité est négativement décrite, comme s’il fallait se mettre en quarantaine afin de ne pas être contaminé par cette saleté et la mauvaise hygiène.”

- “Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol”: Le narrateur donne plus d’information sur la vie et la misère des gens vivant dans ces banlieues. Cette métaphore montre la mauvaise hygiène des habitants qui sont englués dans la misère. 

- “Là-dedans, c'est nous.” : Le narrateur nous fait comprendre que tout ce qu’il décrit, tout ce qu’il nous raconte reflète réellement ce que les gens vivent et dans quelles conditions. 

- “Les femmes, ça ne médite jamais”, “Les hommes ça les rend méditatifs de se sentir devant l'eau qui passe”: Les femmes et hommes sont péjorativement décrits. Les femmes sont présentées comme des écervelées et les hommes méditent en urinant, ce qui n’est pas du tout valorisant. Nous sommes donc confrontés à une vision très négative de l’humanité.

- “Paris, celui qui vous sauve de crever de faim, ils ont énormément peur de le perdre, les lâches”: Le patron de l’ouvrier est critiqué par l’auteur, il est décrit comme un esclavagiste : “Il vous la fait transpirer pourtant sa pitance. On en pue pendant dix ans, vingt ans et davantage. C'est pas donné” ; et l’ouvrier comme un soumis, une personne qui ne peut se débrouiller sans son patron. 

- Dans le dernier paragraphe, l’auteur énumère tout ce que les gens ratent dans la vie. 

- “Comprimés comme des ordures qu'on est dans la caisse en fer”: Le narrateur fait une critique de la société, les gens se suivent comme des moutons, sont réduits à un style de vie qu’ils n'apprécient pas forcément. Il fait aussi une critique des distinctions de classes sociales, les gens vivent pour travailler au lieu de travailler pour vivre. Ils sont encore une fois condamnés. 

 

II/ L'originalité de l'écriture célinienne

1/ “Une alternance entre le langage familier et les idées philosophiques

- “On se rend alors compte où qu'on vous a mis” : Céline fait une faute syntaxique pour nous mettre dans le contexte de ce qu’il décrit, comme si on était présent, on voit ce que le narrateur raconte et on est imprégné de cette misère à la fois sociale et morale.

- “Les maisons vous pos­sèdent, toutes pisseuses qu'elles sont, plates façades, leur cœur est au propriétaire”: Le narrateur donne une image philosophique de la pauvreté et de sa manière de travailler. Au lieu de dire qu'ils possèdent les maisons, il dit l’inverse afin de montrer qu’une personne de classe basse doit travailler afin d’entretenir sa maison, son logement, toute sa vie est consacrée à acquérir des objets matériels. Les pauvres travaillent pour gagner de l’argent, contrairement aux riches qui travaillent pour acquérir de l’expérience et de la connaissance, c’est pourquoi les pauvres restent toujours pauvres. 

- “Il envoie son gérant, la vache” : Le narrateur donne davantage des informations sur le contexte en utilisant de l’argot, des mots de langage familier. Il s’adresse au lecteur sur le mode d’une conversation amicale.

 

2/ Des images contrastées

- “Les cheminées, des petites et des hautes, ça fait pareil de loin qu'au bord de la mer les gros piquets dans la vase” : Céline décrit le paysage de manière réaliste, mais en même temps il le décrit de manière poétique. Contrairement au but de la poésie, de montrer de belles choses, de nous émerveiller, Céline nous dégoûte encore plus de la saleté misérable des banlieues.

- “la Seine, ce gros égout qui montre tout” : Avec cette métaphore, le narrateur donne directement une image de misère de Paris. La Seine qui traverse directement Paris attirant tous les touristes et parisiens est considérée comme un égout, comme si elle était contaminée par l’ordure des banlieues.

- “et on odore ferme en même temps” : La description n’est pas seulement visuelle mais aussi auditive et olfactive, on peut donc parler de synesthésie.

 

3/ Le rythme des phrases

- Le narrateur fait de longues phrases dans lesquelles on se perd, suivies de courtes phrases non verbales (ex: “Grande déroute”), comme si chaque courte phrase était une conclusion des pensées développées dans ses phrases longues.

- Le narrateur utilise du discours direct afin de nous plonger encore plus dans le récit et de le rendre plus vivant : “« Combien les carottes ? » qu'elles demandent”. 

Analyse de La mort du maréchal des logis, De « Le messager vacillant se remit au « garde-à-vous » à « Lui pourtant aussi il était mort ».

On distingue trois grandes étapes dans ce texte : l’arrivée du messager, “On ne pouvait démêler s’il voulait nous parler ou bien s’il pleurait”, le dialogue absurde avec le colonel qui n’a de cesse de répéter « Et alors ?», la réflexion du narrateur au sujet de la guerre «  De ce côté-là, faut en convenir, de temps en temps, elle avait l’air de servir à quelque chose la guerre ».

Le dialogue entre les deux personnages met en évidence deux attitudes opposées pendant la guerre, le messager est horrifié et paniqué (« L’homme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose d’articulé ») tandis que le colonel reste calme et serein, il semble totalement indifférent à la mort du maréchal des logis, comme si c’était tout-à-fait normal. Cette indifférence souligne l’horreur de la guerre, de même que la métaphore de la musique (« changer d’instrument ») et des guêpes (« comme des essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes ») pour évoquer les tirs allemands. Le langage familier permet une meilleure immersion dans le texte, de par la proximité des personnages : « c’est à la mitrailleuse qu’il poursuivent leurs sottises ». Les sensations sont tellement fortes que le narrateur les intègre au point de ne plus pouvoir les distinguer : « je croyais bien que c’était fini, que j’étais devenu du feu et du bruit moi-même ». La situation mise en scène constitue une dénonciation de la guerre puisque la vie des soldats semble ne pas avoir d’importance aux yeux des militaires gradés.

Le narrateur peut être qualifié d’anti-héros car il n’est pas courageux, et ce qui est pire, n’a aucun esprit de solidarité puisqu’il a volé une boîte de conserve (« Chacun sa guerre ! ») et souhaite la mort de certains soldats de son régiment, « de sacrées ordures que j’aurais bien volontiers aidé à trouver un obus comme Barousse ». Il en vient même à trouver que la guerre a du bon lorsqu’elle sert ses intérêts personnels : «  De ce côté-là, faut en convenir, de temps en temps, elle avait l’air de servir à quelque chose la guerre ».

Cet anti-héros se présente donc comme un égoïste plongé au coeur d’un univers qu’il ne comprend pas.

La croisade apocalyptique, De « Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? » à « Il n’y avait plus rien à voler »

I) Bardamu : un anti-héros 

a) Un narrateur plongé dans la tourmente : nombreux péjoratifs « fous héroïques et déchaînés », « enragés », « vicieux », « foireux », crétin »… La violence du choc apparaît aussi à travers la ponctuation expressive.

b) Le contraire d’un soldat héroïque : champ lexical de la peur. Bardamu se décrit comme un lâche, il regrette de ne pas être en prison : « il n’y avait plus rien à voler ».

c) Un homme du peuple : le registre familier : « foireux », « mariole » ; le langage parlé : «  faut être » ; quelques mots de langage soutenu : « apocalyptique », « abomination »…

 

II) Dénoncer la guerre

a) L’horreur et l’absurdité de la guerre : mots négatifs : « meurtre en commun »… La guerre semble ne pas avoir de motif valable : «  « maldonne », « abominable erreur »… Les valeurs humaines sont inversées par la guerre : « se tirer dessus n’est pas défendu, c’est même encouragé »…

b) Les héros sont dangereux : oxymore « deux millions de fous héroïques » ; « le colonel ne bronchait toujours pas » : l’héroïsme mène à l’aveuglement.

c) Les chefs restent à l’abri : le général n’est pas sur le front, c’est l’agent de liaison qui risque sa vie pour transmettre les messages.

d) L’ironie pour se moquer de la guerre : « avec casque, sans casque […] adorant leur rage » : longue énumération qui montre la folle absurdité de la guerre. « encouragé par les gens sérieux comme le tirage au sort (c’est le hasard qui décide qui revient vivant de la guerre), les fiançailles (représente l’amour par opposition à la guerre qui sème la mort), la chasse à courre ( à la guerre les soldats se tirent comme des lapins mais ce n’est pas pour faire du sport). Comparaison antithétique entre faire l’amour et faire la guerre : « puceau de l’horreur ».

Analyse de L’arrivée à New-York, De « J’en profitai pour leur parler des puces » à « on vous foutra à l’eau »

I) Un personnage hors du commun

La spécialité du héros participe du comique de caractère parce que compter les puces n’est pas une activité utile et de plus c’est une activité de maniaque, une obsession. Le langage familier et très oral, souligné par les points de suspension, accentue l’impression de folie maniaque qui se dégage du personnage de Bardamu. En plus du comique de mots, on voit un comique de situation puisque Bardamu arrive à émigrer aux Etats-Unis parce qu’il sait compter les puces, une activité absurde et vaine.

 

II) La satire de l’Amérique

Bardamu est un maniaque, il fait des statistiques sur les puces donc son talent de statisticien est gâché dans une activité absurde. Les migrants sont dévalorisés dans cet extrait. Tous les personnages, même les gardes, ont un langage vulgaire et vide de sens. Cette histoire de dénombrement des puces a pour but de montrer l’absurdité d’une société irrationnelle et qui a perdu le sens des valeurs morales et humaines.

Analyse de Molly, De «  Nous devînmes intimes par le corps et par l’esprit » à «  et c’est entendu comme ça pour toujours ».

I) Molly, une femme étonnante

Molly, en tant que prostituée, gagne beaucoup plus d’argent que Bardamu qui est ouvrier chez Ford. Elle lui témoigne son amour en lui offrant de l’argent afin qu’il puisse s’acheter un nouveau costume à la mode car elle sait qu’une bonne image de soi renforce l’identité (« Un complet neuf, ça vous bouleverse les idées »). Bardamu en est très étonné mais content, malgré ses scrupules, puisqu’il est certain que sa mère n’aurait pas approuvé cet argent « sale » et que, de plus, ce costume beige le fait ressembler à un maquereau.

 

II) Une femme d’expérience

Molly connaît bien le monde ouvrier car la plupart de ses « clients » en sont issus. (« Molly, elle avait l’habitude des ouvriers »). Ainsi elle est capable d’anticiper les besoins et les désirs de Bardamu, ce qui en fait une compagne idéale, bien qu’elle soit une prostituée. Avec elle, pour la première fois de sa vie, Bardamu se sent réellement compris, ce qui lui procure un sentiment de bien-être et de sécurité paradoxal par rapport au métier exercé par la jeune femme (« Pour la première fois un être humain s’intéressait à moi »).

 

III) Une femme bienveillante

Molly entrevoit une carrière littéraire pour Bardamu (« Les livres ça vous plaît »). Elle a confiance en lui le croit promis à un bel avenir. Elle pense qu’il n’est pas à sa place dans le milieu ouvrier et elle a raison (« N’allez donc plus chez Ford »). Elle joue auprès de lui un rôle de mentor.

La mort de Bébert, De «Bébert ne délirait pas encore, il n'avait seulement plus du tout envie de bouger» à «Il n’y avait plus personne à elle sur terre.»

Tout d'abord Céline introduit le thème de la mort d'un enfant, Bebert, par une longue description médicale : “Un peu de chair jaunie et mobile lui tenait encore au corps en tremblotant de haut en bas à chaque fois que son cœur battait”, “Il dépassa ainsi très aimablement les 39 et puis les 40 et demeura là pendant des jours et puis des semaines, pensif.” Cette mort est un sujet très touchant et révoltant. D'autant plus que Bébert accepte la mort avec beaucoup de stoïcisme, contrairement aux adultes qui paniquent autour de lui. 

Ainsi la tante de Bébert est effondrée, elle n'arrive pas à maîtriser son chagrin comme le montre l'emploi du registre pathétique : “Du chagrin enfin lui était venu tout au bout des mots, elle n’avait pas l’air de savoir qu’en faire du chagrin, elle essayait de se le moucher, mais il lui revenait son chagrin dans la gorge, et des larmes avec, et elle recommençait.” Le bouleversement de l’ordre des mots mime les sanglots qui empêchent la tante de s’exprimer correctement.

Ensuite on remarque l'impuissance de Bardamu  en tant que médecin. La maladie de Bébert est personnifiée, ce qui donne l’impression que Bardamu se bat contre le diable, et dans Voyage au bout de la nuit, le diable gagne toujours : “Une espèce de typhoïde maligne c'était, contre laquelle tout ce que je tentais venait buter, les bains, le sérum... le régime sec... les vaccins... Rien n'y faisait. J'avais beau me démener, tout était vain.” Le médecin vit ce combat perdu d’avance comme un échec personnel : “Je n'avais pas de veine avec lui Bébert, mort ou vif.”

Dans cet extrait, on peut remarquer que le personnage parle à la première personne du singulier, nous sommes donc dans une focalisation interne. Ce procédé permet au lecteur de vivre ce décès et cet échec dans l'intimité du narrateur et de partager ses émotions: “Je n'avais pas de veine avec lui Bébert, mort ou vif. Il me semblait qu'il n'y avait rien pour lui sur terre, même dans Montaigne.”  

La focalisation interne est renforcée par l'usage du langage familier  qui abolit toute distance entre le personnage est le lecteur directement confronté à ses réflexions, à la manière d’un journal intime. Le récit ne semble pas destiné à un lecteur, ou en tout cas le narrateur semble ne faire aucun effort pour se faire comprendre du lecteur. Evidemment c’est un effet stylistique très recherché qui veut détruire l’image trop lisse du personnage de roman traditionnel : “Sa femme devait être fière d'avoir un bon mari qui s'en fasse pas comme son Michel. Enfin, c'était leur affaire à ces gens. On se trompe peut-être toujours quand il s'agit de juger le cœur des autres. Peut-être qu'ils avaient vraiment du chagrin ? Du chagrin de l'époque ?”

L’insertion du passage sur Montaigne apporte une réflexion philosophique sur la mort. La lettre citée développe la philosophie stoïcienne qui nous enseigne à rester impassible face à la mort puisqu’on ne peut pas l'éviter : “Il me semblait qu'il n'y avait rien pour lui sur terre, même dans Montaigne. C'est peut-être pour tout le monde la même chose d'ailleurs, dès qu'on insiste un peu, c'est le vide.” Dans ce contexte de la mort d’un enfant, cette philosophie stoïcienne paraît très difficile à appliquer, aussi bien un pour les personnages adultes que pour le lecteur. Pourtant, le petit Bébert est un modèle de sagesse et d’acceptation puisqu’il attend la mort en souriant : “Il dépassa ainsi très aimablement les 39 et puis les 40 et demeura là pendant des jours et puis des semaines, pensif”, “Bébert passait, irrésistiblement emmené, souriant. Il se tenait tout en haut de sa fièvre comme en équilibre, moi en bas à cafouiller.” L’enfant donne donc une leçon aux adultes, ce qui rend ce texte encore plus bouleversant.

Ainsi au-delà de l'apparence d'une écriture facile et familière, Céline introduit dans ce texte complexe une réflexion philosophique sur la mort et sur le stoïcisme.

Analyse de La fin du roman

Les indices qui montrent que l’on se trouve à la fin du roman sont qu’il parle du passé pour faire le bilan de sa vie : “qu’il y a vingt ans” et il parle aussi beaucoup de la mort : “magnifique et bien commode pour mourir…” La focalisation interne nous donne accès aux pensées intimes de Bardamu et l’image que donne ce personnage est très péjorative. En effet, il donne l'impression d’être ronchon, têtu, désagréable et peu éduqué car il parle d’une manière très familière et orale : “Les miennes d’idées elles vadrouillaient plutôt dans ma tête avec plein d’espace entre”. Il fait des erreurs de syntaxe : “Avoir du chagrin c’est pas tout”. Les négations expriment le pessimisme du personnage car cela montre qu’il n’a pas fait grand chose de sa vie et qu’il n’a rien accompli de grand : “et cependant j’avais même pas été aussi loin que Robinson dans la vie…” La phrase “le monde était refermé” indique un renoncement du personnage à toute idée de progrès. Cela donne une vision négative de l’homme qui semble incapable de s’améliorer et de construire un monde meilleur, ni pour lui ni pour les autres. Céline montre que son héros est habité par la peur car il décrit un sentiment d'angoisse permanent marqué par la présence du champ lexical de la peur : “horrible”, “mourir”, … mais aussi parce qu’il se perd dans ses pensées : “Plus grosse encore une idée que ma grosse tête, plus grosse que toute la peur qui était dedans”. Bardamu est jaloux de Robinson car lui a réussi à accomplir des choses dans sa vie alors qu’elle a été plus courte que celle de Bardamu, parce qu’il n’était pas dominé par la peur qui a paralysé le héros. Dans la phrase : “Les miennes d’idées elles vadrouillaient plutôt dans ma tête avec plein d’espace entre, c’étaient comme des petites bougies pas fières et clignoteuses à trembler toute la vie au milieu d’un abominable univers bien horrible” on remarque que les mots ne sont pas placés dans l’ordre attendu car ainsi Céline reproduit dans la syntaxe le chaos qu’il a observé dans le monde. Bardamu est un anti-héros car il fait tout pour ne pas être quelqu’un d'exemplaire. Il n’est ni courageux, ni admirable. Il utilise pour se décrire des termes péjoratifs qu’un véritable héros n’aurait pas utilisés. C’est pour cela qu’il utilise notamment le mot “juteux” pour décrire le héros traditionnel que lui-même n’est pas puisqu’il n’a rien semé de bon au cours de sa vie.

Écrire commentaire

Commentaires: 0