Le travail est-il l'expression de la servitude ou de la liberté ?
Le mot « travail » vient de tripalium dont le sens est : tourmenté par de petites manipulations, c’est aussi le bâti où l’on ferrait les animaux : idée de souffrance. Nous allons nous interroger uniquement sur le travail de l’homme : toute activité dès l’instant qu’elle est socialement rentable, mais cette définition est trop vague. On peut définir le travail par ses buts : le travail c’est la transformation de la nature dans un but utile à l’homme en vue de la satisfaction de ses besoins, alors que le sport ou l’activité artistique lorsqu’ils sont pratiqués comme des loisirs ont comme but la satisfaction désintéressée. Nous allons d’abord examiner le sens du travail dans la vie humaine et définir l’essence du travail humain. Ensuite nous montrerons qu’il y a des conditions sociales, politiques, économiques qui dénaturent l’essence du travail à travers les philosophes du XIXème siècle : Hegel, Marx, Nietzsche.
Le travail est ce par quoi l’homme produit son humanité.
Le fait que le travail soit nécessaire ne s’oppose pas à la liberté mais définit notre humanité : c’est parce que l’homme s’affranchit du milieu naturel par le travail qu’il se libère de sa dépendance avec la nature.
L’homme travaille, l’animal a une activité instinctive.
Karl Marx, Les Manuscrits de 1844 : « La différence qu’il y aura toujours entre le travail de l’abeille la plus habile et le travail de l’architecte le plus maladroit c’est que l’architecte porte déjà sa maison dans sa tête. » la production de l’abeille est instinctive, programmée et partielle alors que l’homme produit les lois qu’il invente : il peut produire indépendamment de la satisfaction de ses besoins physiques. Hannah Arendt dit que l’homme produit deux sortes d’objets : les objets de consommation utile et les œuvres qui se caractérisent par leur durée.
I) La valeur du travail humain
Aristote distingue deux aspects du travail : d’une part la poeïesis et d’autre part la praxis. La poeïesis c’est tout ce qui relève de la production : « c’est l’action par laquelle le sujet modifie la matière hors de soi ». La praxis : tout travail entraîne l’édification du sujet : « La praxis c’est l’action par laquelle le sujet modifie la matière et se modifie lui-même ». La praxis consiste à changer notre inaptitude en aptitude, par tous les apprentissages manuels et intellectuels, elle consiste à rendre possible ce qui était impossible. C’est le travail qui opère la transfiguration du désir en volonté : le musicien est celui qui répètera ses morceaux même s’il n’en n’a pas le désir, car dans le travail notre volonté s’affirme par le fait de se remotiver par la réflexion. Marx dit : « Par le travail l’homme passe du pôle de l’animalité au pôle de l’humanité ». Non seulement le travail est la projection spirituelle de soi, mais il permet la conquête de l’autonomie et le dépassement de l’angoisse. Selon Hegel, le travail est un exorcisme de la peur de la mort. L’existence humaine n’est pas la même que l’existence d’un animal ou d’un objet. Hegel dit qu’exister pour un homme ce n’est pas seulement subsister comme un animal, l’homme a besoin de se sentir exister et pour cela il a besoin de s’objectiver dans autre chose que lui-même : « L’homme a l’intuition de lui-même dans un objet étranger », c’est-à-dire que pour se sentir exister et reconnu par autrui l’homme a besoin de se contempler dans un objet étranger parce qu’il est ce qu’il fait. Ce que dit Hegel c’est que le peintre ne peut pas tricher en disant ce qu’il n’est pas. L’homme ne peut éprouver son existence comme une réalité effective que s’il objective son intelligence dans autre chose que lui-même. Le travail est bien un exorcisme de l’angoisse, seule la création humaine nous permet de conjurer l’idée de la mort. Pascal dit que le travail c’est le divertissement, l’oubli de soi.
II) Les formes sociales et historiques du travail
« L’histoire de l’homme est l’histoire de l’exploitation de l’homme » dit Marx.
La révolution industrielle au XIXème siècle entraîne la création du travail à la chaîne. Marx fait l’analyse de l’exploitation du travailleur dans la société capitaliste mais cette exploitation n’a pas pour cause le développement de la société industrielle. Selon Marx, elle vient de l’organisation sociale et politique du travail : l’exploitation du prolétaire vient de la société capitaliste qui se caractérise par un antagonisme de classes sociales, la classe bourgeoise détient les instruments de production mais ne produit pas, et la classe ouvrière est la source de la richesse de la nation alors qu’elle ne détient pas les moyens de production. L’exploitation capitaliste c’est la généralisation de la force de travail comme marchandise. Le travailleur vend sa force de travail : le salaire n’est pas le prix du travail mais le prix de la reproduction de la force de travail (on gagne de l’argent pour vivre et pour pouvoir travailler à nouveau. L’aliénation est une notion psychologique, c’est la réification du travailleur qui effectue un travail qui ne nécessite aucune qualité humaine ni aucun esprit d’initiative et qui va ainsi devenir étranger à son travail et donc à lui-même.
« Le travail est la meilleure des polices » dit Nietzsche
« On vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir… tel qu’un travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bribes et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance ».
III) Le loisir aliéné
Dans l’Antiquité Aristote faisait une distinction entre le travail et le loisir, mais qui n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui : la poeïesis était méprisée, l’homme était libre dans le loisir (politique, scientifique, philosophique) ayant pour but la satisfaction désintéressée. Baudrillard dit : « Le temps dégagé sur le travail n’est jamais assez libre pour être complètement soustrait aux exigences de la production ».
Le travail est-il l’expression de la liberté ou de la servitude ?
Non seulement il y a du chômage, mais en plus il y a une régression dans les conditions de travail en période de crise : c’est la prolétarisation. Dans Le Contrat social, Rousseau dit que le véritable esclave est celui qui prend son esclavage pour le vrai visage de la liberté. Or actuellement, les travailleurs qui sont exploités et aliénés en ont conscience, et sont donc sur la voie de la liberté. La liberté ne se regarde jamais en face, elle s’éprouve à travers une libération par rapport à certaines contraintes. Le pessimisme est une croyance qui entraîne quelquefois le fatalisme. Si on regarde l’histoire des ouvriers, on s’aperçoit qu’il y a eu une amélioration des conditions de travail. La connaissance du passé nous permet de sortir du pathos du présent. Il ne faut pas se réfugier dans le pessimisme ni dans un optimisme béat.
Conclusion :
Le travail est bien un enjeu fondamental de l’existence humaine. Dans notre société actuelle, on sait bien que la logique économique n’est pas une fatalité, qu’elle n’est jamais indépendante des facteurs sociaux et politiques. Et le sens de l’existence se découvre à travers la manière dont on affronte à chaque époque les obstacles, les servitudes et les contraintes qui n’ont jamais la même nature.
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