Désir, passion et liberté

Désir, passion et liberté

Le désir, la conscience et autrui

Distinction entre le besoin et le désir

Hegel dans La Phénoménologie de l’Esprit dit que le désir humain porte toujours sur un autre désir, tout désir est désir de reconnaissance et « l’homme diffère des animaux en ce qu’il ne désire pas seulement des objets réels et tangibles, son désir porte sur le désir des autres hommes ». 

Lorsque nous désirons des objets ce n’est pas tant pour leur matérialité que pour ce qu’ils symbolisent. « On ne consomme pas des objets mais des signes » dit Baudrillard. A travers tous nos désirs, nous recherchons le désir de l’autre. Par exemple quand on achète une Harley, on cherche à appartenir à une communauté. Il y a un désir d’intégration, on est toujours en quête de reconnaissance.

Le désir est toujours désir de dépassement

Il renaît de sa satisfaction. Cette dimension du désir a été symbolisée par le mythe d’Eros dans Le Banquet de Platon. Il se caractérise par le manque, l’aspiration et c’est contradictoirement parce que le sujet ressent cette incomplétude qu’il va tout faire pour la combler. Ce qui fait que la créativité de l’homme et son action, sa productivité, sont liées au désir humain. « Le désir est le désir de persévérer dans son être » dit Spinoza. Cependant, si nos désirs sont source de créativité, ils entraînent également la servitude et la passion.

Description de la passion

La passion n’est pas une simple envie qui coexiste avec les autres désirs. « La passion est un désir qui ne permet pas d’en avoir d’autres » dit Condillac. Il y a focalisation de toute l’énergie du sujet sur un seul but. On devient étranger à tout ce qui ne concerne pas l’objet de sa passion. La passion s’oppose à la construction volontaire du sujet. Dans la passion il y a un désir d’échapper au temps explique Ferdinand Alquié dans Le désir d’éternité. On a tendance à vouloir répéter des plaisirs qu’on a eus dans le passé. Le sujet est lié à son passé sans le savoir. Freud nous montre que l’inconscient est dominé par le principe de répétition, à savoir que le sujet cherche à répéter à travers ses désirs des états de satisfaction antérieurs. Il recherche, comme Aristophane dans Le Banquet de Platon, l’unité perdue. Dans la passion il y a une dénaturation du désir, une perversion du désir quant au but. Par exemple dans L’Avare de Molière, Harpagon considère sa fille comme un moyen et l’argent comme une fin, alors que normalement c’est le contraire ; son désir débouche sur l’appauvrissement et la solitude. Don Juan ne désire plus les femmes dès qu’elles sont amoureuses de lui, il est malheureux à cause de cela car il subit son désir et n’arrive pas à aimer. Ce que désire Don Juan c’est son propre désir = l’insatisfaction, le manque. Peut-on réduire la passion à un état névrotique, et comme le disent les philosophes stoïciens, à une maladie de l’âme ?

Peut-on vivre sans passion ?

Dans L’Ethique, Spinoza dit que les passions relèvent généralement d’une nécessité de notre nature. Nous sommes des êtres de désir : notre nature est déterminée. Je subis mes désirs, je ne décide pas d’en avoir ou pas. On ne peut pas s’empêcher d’avoir des désirs. Rousseau dans La Nouvelle Héloïse dit qu’ « il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’aurait ni désirs, ni craintes, se donnerait la peine de raisonner ». La passion est un aliment de la décision volontaire qui peut nous pousser à prendre des risques. Nietzsche dit que l’ascétisme c’est la dévalorisation du monde sensible par rapport au monde intelligible. Il donne l’exemple du christianisme où il y a une peur du plaisir sensible, une dévalorisation du corps ; l’ascète religieux refuse tous ses désirs. Il y a toujours une peur de la liberté sexuelle. Nietzsche dit que refouler la passion c’est encore une passion, celui qui refoule toutes les passions devient l’homme du ressentiment (aigri, haineux).

Peut-on maîtriser ses passions ?

Pour les philosophes stoïciens comme Epictète et Sénèque, les passions sont des « maladies de l’âme », et il faut accomplir ses désirs pour être libre : « Est libre celui qui est comme il veut, qu’on ne peut ni contraindre, ni empêcher, ni forcer ». « C’est celui dont les volontés sont sans obstacles ». Pour les stoïciens les obstacles ne sont pas extérieurs mais intérieurs. Nous ne dépendons pas des choses mais de nos jugements sur les choses. Les désirs qui nous aliènent à autrui doivent être neutralisés par la puissance de la réflexion. Les préjugés donnent une force beaucoup plus grande aux passions comme la peur et la haine. Le mal c’est l’ignorance : croire qu’on sait. Il ne faut pas vouloir adapter la réalité à nos désirs mais conformer nos désirs à la réalité pensent les stoïciens. Ce n’est pas une attitude de résignation. Il faut désirer ce qui est possible pour nous en fonction de nos connaissances et de nos aptitudes. Pour eux la liberté c’est l’autonomie, l’autarcie qui signifie qu’on a un pouvoir sur nos passions par la force de nos représentations. C’est une philosophie très exigeante au niveau de la volonté et qui s’est incarnée au cours de l’histoire chez des gens comme Martin Luther King ou Gandhi. Il y a une vérité dans le stoïcisme, à savoir que la passion est toujours reliée à nos représentations et à la réflexion, l’étendue de nos connaissances, une vie spirituelle donnent une autonomie par rapport à nos affects. Cependant les stoïciens ont peut-être surestimé le pouvoir de la conscience et de la raison sur les passions. Freud montre que chez certains malades mentaux qui souffrent de jalousie obsessionnelle, le prise de conscience de cette jalousie comme un obstacle à leur liberté ne les empêche pas de la subir. Parce que nous avons un inconscient, la raison n’a pas de prise et de force sur l’irrationnel. La quête du bonheur et de la liberté est un art de vivre individuel chez les stoïciens : pour eux il y a un destin social, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de vision historique de la société, de conception réformiste ou révolutionnaire. C’est ce que leur ont reproché certains philosophes du XIXème siècle comme Hegel ou Marx. Hegel disait que les stoïciens ont conquis la liberté intérieure mais qu’elle n’est pas suffisante. Pour Marx il y a des causes sociales et économiques de la passion. Par exemple le fanatisme politique et religieux se développe toujours sur fond de crise sociale et économique. Et lorsqu’il dit que « la religion est l’opium du peuple », il pense que la religion donne un sens à la souffrance. Spinoza annonçait au XVIIème siècle une vision moderne des passions en faisant une distinction entre la conscience des passions et la connaissance des causes de la passion : « Les hommes se croient libres pour la seule raison qu’ils sont conscients de leur action et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ».

La passion n’est pas un vice, c’est une conception médiévale. Il ne faut pas se lamenter, il faut s’interroger sur les causes de la passion et agir sur ces causes. La passion met en jeu tous les aspects de l’existence humaine (psychologiques, économiques et socio-politiques).

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