Analyse du Pin des Landes de Théophile Gautier

Analyse du poème Le Pin des Landes de Théophile Gautier

INTRODUCTION

Gautier dans son siècle : Introduit dans les cercles littéraires parisiens par Gérard de Nerval, Gautier sera un défenseur d'Hugo dans la bataille d'Hernani. Sa

conception de l'art s'affine avec les années. En 1835, Théophile Gautier consacre le principe théorique de « l'art pour l'art ». L'auteur, chef de file du Parnasse, donne

ses mots d'ordre : respect de l'art, culte de la beauté, amour du métier : « L'art, écrit-il, c'est la liberté, le luxe, l'efflorescence, c'est l'épanouissement de l'âme dans

l'oisiveté. » Désormais, les outrances romantiques sont bannies ; seule compte la beauté. Baudelaire dédiera à son aîné les Fleurs du mal en ces termes : « Au poëte

impeccable / Au parfait magicien ès lettres françaises. » España dans l’œuvre de Gautier : du 5 mai au 7 octobre 1840 Gautier découvre l'Espagne. Ce séjour lui fournit

la matière de la section España, impressions vigoureuses marquées par la fraicheur du regard, l'étonnement de la vision et le souci toujours exacerbé de la justesse du

dire. « Le pin des Landes » dans España : Théophile Gautier y représente et y manifeste l’ambition poétique dans un monde désolé. Structure classique équilibrée : 4

quatrains d’alexandrins ; rimes croisées ; alternance rime masculine / féminine ; Asymétrie : 3 strophes pour découvrir le pin ; dernière strophe qui explicite l’allégorie.

LECTURE

Problématique : En quoi l’émouvante personnification du pin se présente-t-elle comme une allégorie de la fonction du poète ?

Plan : I. Vers 1 à 12 : (strophes 1 à 3) un pin dans un environnement hostile

II. Vers 13 à la fin : (strophe 4) un poète idéalisé

I. Vers 1 à 12 : un pin dans un environnement hostile

 

Un environnement sinistre :

- « Landes » : nom propre. « désertes » = « Sahara »

- « poudré » = poussière

- Sable est blanc = sécheresse = désert hostile

- « On ne voit que » : négation restrictive

- « eau verte » pas eau « de vie » mais plutôt « rare et croupie »

- > monde présenté comme nu, stérile, uniforme

Le pin, un arbre : vers 1 à 3 : vocabulaire qui désigne ce pin en tant qu’arbre • titre • champ lexical :

« arbre », « pin », « résine », « sève » ; Vers 4 : transition le poète utilise les mots « plaie » et « flanc » qui devraient caractériser un être animé (animal ou humain).

Un arbre solitaire : rejeté par les hommes,

- premier mot, « on » -> pronom indéfini

- Landes comparées au Sahara -> hostile, lointain ; opposition sécheresse du désert et fécondité du pin.

- On parle du pin au singulier mais ils sont en fait des milliers -> le pin devient unique

Un arbre christique : « plaie au flanc »

Un homme au comportement de prédateur :

- allitération en [r] -> insistance sur les mots qui décrivent l’homme, violence du son pour simuler la violence de l’acte meurtrier.

- gradation + hyperbole avec « assassine » (l’homme ne tue pas l’arbre) : insistance sur le

comportement de l’homme ; diabolisation de l’homme qui exploite avec avidité et mercantilisme.

- « ne [...] que » : négation restrictive, comme dans la première § : paradoxe et fatalité du destin du pin

L’humanisation du pin : personnification « larmes », « sang », « soldat blessé ».

Animé, humain, il devient acteur doué de volonté et sujet de verbes d’action au troisième quatrain. Doué de sensations (physique, douleur) et de sentiments (absence de regrets, volonté). « sillon »

rime avec « création » -> idée de la création poétique, fécond. Pin porteur intérieurement d’un trésor qui n‘émergera que s’il est blessé

Tonalité épique, pin héroïque, homme accompli avec la comparaison « soldat blessé ». « Sur le bord de la route » -> sur le bord, rejeté. Allitération [t] mime le son de la sève qui tombe. « toujours » hyperbolique pour la tonalité héroïque. Verticalité physique // homme : « droit » et « debout » représentent une verticalité morale, le signe

de sa dignité : le poème exhibe ainsi la transfiguration progressive qu’il met lui-même en œuvre.

II. Vers 13 à la fin : un poète idéalisé

 

Allégorie du poète arbre : « Le poète est ainsi » -> explicitation. « Le » -> article défini à valeur

généralisante, « est » -> verbe être, présent gnomique (vérité générale) définition, « ainsi» -> explicite le rapprochement.

Association à la rime « trésor » + « or ». écho au v. 5 « larmes de résine » // « larmes d’or».

Quatrième strophe exige une relecture du poème pour comprendre les différentes facettes du poète : - Maudit (strophe 1) - Qui souffre en silence, qui par sa création met en relation les hommes avec plus grand

qu’eux (strophe 2) - Fécond et créateur (strophe 3)

La poésie permettrait ainsi de transformer la souffrance contenue en chacun de nous en « divines larmes d’or » => métaphore : la poésie transforme la douleur en beauté. (Cette alchimie de l’opération poétique est formulée différemment selon les poètes. Baudelaire, par exemple, se sert de l’image de la boue qui devient de l’or.)

 

CONCLUSION : Ce poème révèle une conception très romantique du poète et de l’inspiration poétique : la souffrance y est perçue comme source de

la création ; le poète, comme un soldat courageux a une mission à remplirais un monde qui ne le comprend pas. On peut donc rapprocher cette vision du poète de

celle que développe Alfred de Musset (1810-1857) dans le poème « La nuit de Mai » : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux/ Et j’en sais d’immortels

qui sont de purs sanglots ». Pourtant, la perfection un peu froide de la forme du poème et une certaine distance, une retenue dans l’émotion, l’absence de

l’utilisation de la 1ère personne, nous rappellent aussi que Théophile Gautier a rapidement refusé ce qu’il considérait comme les excès du romantisme et qu’il a été

ensuite le chef de file de l’Art pour l’Art. Enfin, par sa structure (métaphore filée du poète développée sur trois strophes, la quatrième explicitant la comparaison),

et par sa vision du poète incompris de la société, souffrant de l’hostilité du monde, ce poème peut aussi faire penser à « L’Albatros » de Baudelaire (Les fleurs du

Mal, 1857).

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