Explication de Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor
Première lettre du 12 novembre 1932
Dans cette première lettre du roman épistolaire, le personnage de Martin vante « la largeur de vues, la liberté intellectuelle » de l’Allemagne et affirme que « maintenant on en a même fini avec […] l’arrogance prussienne et le militarisme ». Il croit à un monde de paix et de partage : « C’est une Allemagne démocratique que tu retrouves ». Cet incipit remplit sa fonction informative en présentant le contexte historique mais aussi les personnages puisqu’on apprend que la petite soeur de Max, Griselle, est l’ex petite amie de Martin, son meilleur ami. On comprend aussi que c’est Martin qui avait rompu avec Griselle mais que celle-ci lui a pardonné (« Plus la moindre amertume ») et lui souhaite le bonheur (« avec beaucoup d’amitié »), c’est donc une jeune fille douce et gentille en plus d’être courageuse (« Elle a du cran ») qui ne mérite vraiment pas ce qui va lui arriver, ce qui souligne d’autant plus la cruauté de Martin à son égard lorsqu’il refusera de lui venir en aide, provoquant sa mort dans la suite du roman. Le genre épistolaire permet une plus grande intimité entre le lecteur et les personnages et renforce l’émotion face à cette oeuvre à valeur historique.
Lettre du 25 mars 1933
Cette lettre de Martin a Max relate l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. L’emploi du pronom personnel de deuxième personne du singulier « tu » place le lecteur en position de confident : « Tu as certainement entendu parler de ce qui se passe ici ». Martin évoque la fascination que Hitler exerce sur le peuple allemand : « L’homme électrise littéralement les foules ». Les chemises brunes sont également identifiées comme un danger potentiel par Martin qui, à ce stade du roman, pose un regard d’intellectuel « prudent » sur l’influence grandissante d’Hitler : « je me dis tout bas : où cela va-t-il nous mener ? ». L’emploi du présent de vérité générale dans la phrase « Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées » en fait une maxime et un avertissement. Cependant la culture n’empêche pas de se laisser gagner par une idéologie, comme le montrera l’évolution du personnage de Martin dans la suite du roman.
Lettre du 1er août 1933
Max n’arrive pas à croire que Martin adhère désormais à l’idéologie nazie. Il imagine que son ami lui tient ce discours par peur de la censure car en tant qu’intellectuel (il le qualifie d’ « esprit libéral et droit » il ne peut croire qu’il trouve normal de brûler des livres et même des bibliothèques entières, symboles de la liberté de pensée et de la liberté d’expression. C’est ce que l’on appelle un autodafé et cela signifie que le gouvernement exerce un contrôle exclusif sur les idées qui circulent dans le pays. Ils sont le signe principal d’une dictature. Ce roman nous plonge au coeur du processus de conditionnement en montrant l’endoctrinement progressif du personnage de Martin.
Lettre du 8 décembre 1933
C’est une lettre très émouvante dans laquelle le lecteur apprend la mort du personnage de Griselle, la petite soeur de Max, dans des circonstances tragiques puisqu’elle est traquée et abattue par les SA faute d’avoir reçu de l’aide de la part de Martin, son ex petit ami et meilleur ami de son frère, qui lui a fermé sa porte, la condamnant à une mort certaine : « Enne devait être épuisée car elle n’a pas couru assez vite ». On voit dès le début de la lettre que Max est complètement endoctriné par la pensée nazie. Il évoque la nécessité de protéger sa propre famille pour justifier son attitude meurtrière envers Griselle qui espérait un secours de sa part. Cette lettre montre à quel point l’endoctrinement annihile toute forme de compassion, comme le soulignent les nombreux modalisateurs et l’expression ironique « C’était stupide de sa part d’être venue en Allemagne. Pauvre petite Griselle ».
Lettre du 12 février 1934 et Lettre du 3 mars 1934
Ces deux lettres révèlent la vengeance de Max sur Martin qui a causé la mort de Griselle avec une totale indifférence parce qu’elle était juive, ne faisant aucun cas de leur passé amoureux et amical. Martin est visiblement terrorisé car il comprend que Max fait semblant d’utiliser un langage codé dans ses lettres afin de le faire passer pour un traître aux yeux des nazis. Sa stratégie fonctionne puisque Martin sera arrêté et condamné pour trahison comme le confirmera la dernière lettre de Max qui lui sera retournée portant la mention éponyme « Inconnu à cette adresse ».
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