Analyse de L'hôte de Camus

Analyse de L'hôte de Camus

Incipit

I) Les personnages

a) L’instituteur

Le point de vue narratif adopté est celui de la focalisation interne→ toute la scène est perçue par le personnage de l’instituteur qui regarde arriver deux inconnus. 

Anonymat des personnages (l’instituteur, deux hommes) → un anonymat qui laisse le lecteur dans une situation d’attente au moment de découvrir l’action.

Le lecteur accompagne le personnage dans ses pensées, ses suppositions → (l’un des hommes, au moins, connaissait le pays. Ils suivaient…), (L’instituteur calcula…), (Ils avaient donc attaqué…).

Son nom n’est évoqué qu’au troisième paragraphe (son nom de famille seul). 

L’instituteur est sans activités pédagogiques (il est sans élèves) → Cela crée une impression de solitude.

 

b) Les deux hommes

(L’un à cheval, l’autre à pied) → Le fait de les présenter de cette manière établit une sorte de hiérarchie (l’un semble être plus important que l’autre sans que l’on ne sache pourquoi).

 Ils sont présentés dans un silence complet, dû à l’éloignement, comme si la scène était dépourvue de son. Les notations sont seulement visuelles, ce qui renforce l’impression de solitude (De temps en temps…naseaux).

L’évocation des personnages laisse le lecteur dans une situation d’attente car l’arrivée des deux hommes est source d’interrogations et la situation de Daru est elle aussi étrange.

 

II) Une atmosphère pesante

a) Un relief hostile

Description de la montagne et des difficultés d’accès → (le raidillon abrupt, flanc de colline, pierres, immense étendue du haut plateau (x3) désert, piste, les masses violettes du contrefort montagneux, porte du désert).

(L’est, le midi, le sud) → endroit à part, l’isolement semble total. A noter l’absence de repères géographiques précis. Les villages sont disséminés. Sentiment de solitude et d’isolement.

 

b) Des conditions climatiques inhospitalières

Le froid et à la neige sont évoqués à de très nombreuses reprises dans cet incipit→ ils pèsent sur l’attitude des personnages, les gênent, les contraignent (Ils peinaient…plateau désert), (le cheval bronchait, il faisait froid… La neige était tombée brutalement).

Les changements climatiques sont d’une extrême violence et dirigent la vie des habitants du plateau.  

On note également l’absence de lumière, de soleil. Au contraire, c’est l’adjectif « sale » qui revient à deux reprises. Ainsi la piste est-elle recouverte d’une « couche blanche et sale » et il est question du matin « qui s’était levé sur une lumière sale ». L’atmosphère est plombée à tel point « qu’a deux heures de l’après-midi, on eût dit que la journée commençait seulement ».

 

c) Des conditions de vie monacales

(Il traversa la salle de classe vide et glacée) →L’endroit où vit Daru est marqué par l’absence de chaleur et la solitude. 

La métaphore des fleuves de France sur le tableau→ souligne l’inaction imposée à l’instituteur. Le temps semble s’être figé, comme la course des fleuves. 

Le confort est des plus sommaires → Daru vit dans « une unique pièce qui constituait son logement, attenant à la classe ».

L’évocation d’une seule fenêtre renforce l’impression de dénuement, de solitude. Il ne semble y avoir que le plateau, visible de tous les points de vue depuis l’école.

Le dialogue entre Daru et Balducci

I) La violence des hommes

a) La violence animale

Comparaison du geste de l’Arabe à celui de l’égorgement d’un mouton→ fait de son auteur un représentant de la monstruosité humaine aux yeux de Daru.

Balducci accompagne la parole (…il a tué le cousin…zic !) du geste « de passer une lame sur sa gorge ». → pour mieux souligner l’aspect à la fois sacrificiel et inhumain de l’exécution.

Daru ne peut rester insensible et sa réaction est violente→ « Une colère subite vint à Daru contre cet homme, contre tous les hommes et leur sale méchanceté, leurs haines inlassables, leur folie du sang. »

Le geste de l’Arabe témoigne, pour Daru/Camus, d’une prédisposition commune à l’espèce humaine, celle qui l’amène à la violence et à la tuerie.  

Quelque chose d’animal que transporte lui aussi Balducci → (« Quand le gendarme se retourna vers lui, l’instituteur sentit son odeur de cuir et de cheval »).

 

b) L’usage des armes

En faisant irruption chez Daru avec son prisonnier, Balducci amène avec lui la violence du monde extérieur, matérialisée par le revolver qu’il décide de donner à l’instituteur (dont la seule arme à feu est réservée à l’usage de la chasse) → « Il tirait en même temps son revolver et le posait sur le bureau » / « Le revolver brillait sur la peinture noire de la table ».

Balducci fait pénétrer, dans un lieu normalement protégé des agressions extérieures (l’école), une menace qui oblige au qui-vive : « Tu devrais l’avoir (le fusil de chasse) près de ton lit. » 

La menace est d’autant plus pesante qu’elle n’est pas clairement définie (« S’ils se soulèvent, J’ai le temps de les voir arriver »). 

Champ lexical de la tuerie et du combat→ (coup de serpe, lame, haines inlassables, folie du sang, armé, fusil etc).

 

II) Des individus sous contrainte

a) Des personnages qui ne se comprennent pas.

La répulsion de Daru l’amène à condamner l’ensemble de l’humanité (« contre tous les hommes et leur sale méchanceté »), ce qui le place résolument en dehors de ce monde, dans une solitude butée, peut être sans espoir (tout ça me dégoûte, et ton gars le premier).

L’autre marginal de la scène est l’Arabe lui-même qui, à aucun moment, ne participe à la discussion : il ne comprend pas (l’Arabe, son attention attirée, le regardait avec inquiétude).

Le dialogue entre Daru et Balducci se fait sur le mode de la concision, l’économie de mots reflétant les points de vue antagonistes. Des phrases déclaratives laconiques répondent à de courtes propositions interrogatives (« Naturellement tu es armé ? /J’ai mon fusil de chasse, Où ? /Dans la malle »). 

L’animosité entre les deux hommes est perceptible dans leur attitude (« demanda sèchement Daru/ le vieux gendarme se tenait…sévérité ») et dans les expressions qu’ils emploient. Par trois fois Balducci doute des capacités intellectuelles de Daru (« Tu es sonné fils », « Tu as toujours été un peu fêlé »,  «Tu fais des bêtises ») et le renvoie à une sorte de folie. Mais c’est surtout à la fin du passage que l’incompréhension s’exprime le plus clairement sous la forme de répétitions illustrant l’affrontement (« Je ne le livrerai pas » X 3/ Le verbe « répéter » X 2, la conjonction de coordination « mais » X 3).

 

b) Ce qui fait un homme

Malgré les désaccords qui semblent définitivement séparer les trois individus, il est à noter qu’il y a des tentatives de rapprochement, de conciliation. Ainsi Daru, malgré sa répulsion pour le geste de l’Arabe lui ressert du thé, après avoir hésité. 

Comme hésite Balducci quand il doit entraver son prisonnier (« Balducci, interdit, lui montra la corde »/« Le vieux gendarme hésita »). 

Cette question de la dignité humaine Balducci y revient, en exprimant ses propres contradictions, sa perplexité (« Moi non plus je n’aime pas ça… on a honte »).  

Par trois fois, comme pour marquer un lien de paternité, il utilise le terme « fils » pour s’adresser à Daru, le comparant à son propre enfant. Mais il est l’homme de l’ordre : « C’est un ordre, fils. Je te le répète », malgré tout, ce qui fait qu’il consent à l’absurdité de la situation.

Excipit

I) Détermination et indécision

a) Daru, un homme d’action

Une parole impérative (« Regarde maintenant, tais-toi ») → Il est bien celui qui entreprend, qui provoque, qui agit. Il a le monopole de la parole.

Phrases, déclaratives, brèves, quasi informatives→ précises et qui ne laissent la place à aucune interprétation possible : « A Tinguit, il y a l’administration et la police. Ils t’attendent. » / « ça, c’est la piste qui traverse le plateau. » 

C’est lui qui imprime le rythme, organise, commande : « et il lui montrait la direction de l’est »/« Daru lui prit le bras et lui fit faire, sans douceur, un quart de tour vers le sud. » 

Verbes d’actions→ (« tourna le dos », « fit deux grands pas », « repartit », « se retourna », « fit un grand signe », « repartit », etc.).

 

b) La passivité de l’Arabe

Il subit l’action à tel point qu’il semble être une marionnette entre les mains de Daru → (« Daru lui prit le bras et lui fit faire, sans douceur, un quart de tour vers le sud »).

Inhibé, il lui est impossible de manifester franchement ses intentions→ (« L’arabe regardait vers l’est…et l’argent »/ « une sorte de panique se levait sur son visage »/ « L’Arabe était toujours là…il regardait l’instituteur »). 

Complètement effacé il disparait petit à petit de la scène jusqu’à devenir une silhouette indistincte dans la brume→ (« Il n’y avait plus personne sur la colline »/« Et dans cette brume légère […] la prison »).

 

II) Malentendus

a) Un héros mal à l’aise

Daru multiplie les efforts afin que l’Arabe assume sa décision, ce qui le plonge dans un état d’inconfort physique et intellectuel marqué par l’agitation et le mal-être→ (« il regarda d’un air indécis l’Arabe »/ « Au bout d’un moment, pourtant, il se retourna »/ « Daru sentit sa gorge se nouer […] et repartit »/« Daru hésita »/ « L’instituteur revint sur ses pas », etc.). 

Sa souffrance est également physique → « Quand il parvint à la petite colline, il ruisselait de sueur. Il la gravit […] sur le sommet. » Son attitude confine par instant à l’accès de démence. Il ne se maîtrise plus : « Mais il jura d’impatience, fit un grand signe, et repartit. »

 

b) Un héros en exil

« Un peu plus tard […] du plateau. » → Après s’être démené, Daru ne bouge plus. Vaincu, il prend conscience du malentendu qui le condamne à l’exil. 

Cette solitude silencieuse le renvoie à son refus d’entendre l’Arabe (« Ecoute »/« Non, tais-toi ») → C’est un incompris qui ne comprend pas.

Utilisation du plus que parfait et de l’imparfait (1ère phrase) → souligne le caractère irrémédiable de sa condamnation. 

Prisonnier des hommes, son seul point de fuite, et dernier royaume, est l’horizon (« le ciel, le plateau », « les terres invisibles », « la mer »).

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