Analyse de Fahrenheit 451 de Ray Bradbyry

Analyse de Fahrenheit 451 de Ray Bradbyry

Des personnages confrontés au totalitarisme

La société dans laquelle évoluent les personnages est inquiétante. Les gens y sont surveillés en permanence : « Mon psychanalyste veut savoir pourquoi je vais me promener, pourquoi je marche dans les bois, pourquoi je regarde les oiseaux et collectionne les papillons ». C’est une société totalitaire car les habitants n’ont pas le droit de penser par eux-mêmes : « ils disent tous la même chose et personne n’est jamais d’avis différent », « Tout homme qui croit pouvoir berner le gouvernement et nous est un fou ». C’est la raison pour laquelle on ordonne aux pompiers de brûler tous les livres : « « Vous arrive-t-il de lire les livres que vous brûlez ? » Il éclata de rire. « C’est contre la loi. » ». En effet les livres ouvrent l’esprit à la réflexion et sont donc un outil de rébellion contre le système politique autoritaire en place : « Au type dont on a cramé la bibliothèque. Qu’est-ce qui lui est arrivé ? On l’a embarqué pour l’asile. Les hurlements qu’il poussait ! » Les habitants sont désespérés et font régulièrement des tentatives de suicide : « Des cas comme ça, on en a neuf ou dix par nuit. On en a tellement depuis quelques années qu’on a fait construire ces appareils ». Les livres sont comparés à des oiseaux parce qu’il symbolisent la liberté et procurent la paix de l’esprit : «  Un volume lui atterrit dans les mains, presque docilement, comme un pigeon blanc, les ailes palpitantes. Dans la pénombre tremblotante, une page resta ouverte, comme une plume neigeuse sur laquelle des mots auraient été peints avec la plus extrême délicatesse », « des pelletées de magazines qui s’abattaient comme des oiseaux massacrés ». La personnification des livres renforce l'idée que quand on détruit les livres on tue la pensée et donc l'humanité : « la femme restait immobile au milieu des cadavres ». Le suicide de la vieille femme qui choisit de brûler au milieu de ses livres montre que vivre sans livres ce n’est pas vraiment vivre puisque l’homme se définit avant tout par sa capacité à penser, réfléchir et imaginer, et que la nourriture de l’esprit ce sont les livres. Plutôt que de laisser son esprit mourir de faim, elle préfère mourir en martyre pour manifester sa rébellion, ainsi elle meurt en femme libre puisqu’elle craque elle-même l’allumette avant que Beatty n’actionne son igniteur : « La femme tendit le bras, les enveloppant tous de son mépris, et gratta l'allumette contre la balustrade ». La phrase que la vieille femme prononce : « Soyez un homme, Maître Ridley. Nous allons en ce jour, par la grâce de Dieu, allumer en Angleterre une chandelle qui, j'en suis certain, ne s'éteindra jamais » est une référence aux guerres de religion du XVIe siècle en Europe où l’on brûlait les gens pour hérésie sur de grands bûchers érigés en place publique.

Le discours de Beatty est particulièrement angoissant car il incarne les idées totalitaires : « Tout homme qui croit pouvoir berner le gouvernement et nous est un fou ». Beatty  justifie la destruction des livres par la nécessité du nivellement vers le bas : « on nous rend égaux », « Chaque homme doit être à l’image de l’autre, comme ça tout le monde est content ». Selon Beatty, les livres sont la cause des inégalités intellectuelles qui entraînent par conséquent la jalousie et mènent au désordre de la société, c’est pourquoi il affirme qu’il faut les éliminer afin d’empêcher certains hommes de devenir intellectuellement supérieurs : « Un livre est un fusil chargé dans la maison d’à côté. Brûlons-le. Déchargeons l’arme. Battons en brèche l’esprit humain ». Pour Beatty la connaissance et la réflexion sont des obstacles à la paix civile mais aussi à la paix de l’esprit, c’est-à-dire au bonheur. La distraction est le moyen privilégié pour remplir la vacuité de l’existence humaine tout en empêchant les gens de réfléchir. Les états totalitaires ont toujours pour priorité d’empêcher les gens de penser afin de pouvoir les garder en leur pouvoir : « Qui sait qui pourrait être la cible de l’homme cultivé ? Moi ? Je ne ne supporterais pas une minute.» Le comportement de Beatty à l’égard de Guy Montag est menaçant car il le questionne sans cesse pour savoir s’il a des livres et semble avoir deviné qu’il en a déjà lu : « Vous en avez, vous ? », « On laisse le pompier garder le livre vingt-quatre heure. Si, passé ce délai, il ne l’a pas brûlé, on vient simplement le brûler pour lui.»

Le personnage de Guy Montag n’apparaît pas comme un héros au début du roman. Il subit sa vie sans se poser aucune question jusqu’à sa rencontre avec Clarisse McCellan, il se contente d’obéir aux ordres : « C’est un chouette boulot ! » Mais Clarisse, en nouant un véritable dialogue avec lui, parvient à ranimer le peu de vie qui restait en lui : « Il sentit tout son corps se scinder en deux, devenir chaleur et froidure, tendresse et dureté, tremblements et impassibilité, chaque moitié grinçant contre l’autre ».

Le personnage de Clarisse McCellan joue un rôle important de révélateur auprès de Guy Montag car elle fait comprendre au pompier que sa vie est vide de sens : « Ne s’était-il écoulé qu’une heure depuis sa rencontre avec Clarisse McCellan […] ? Une heure seulement, mais le monde avait fondu pour resurgir sous une forme nouvelle, incolore ». Son apparition est  poétique et associée au champ lexical du mouvement et de l’automne, saison de transition, pour signifier le changement qu’elle va apporter dans la vie de Guy Montag : « Les feuilles d’automne voletaient au ras du trottoir baigné de lune, donnant l’impression que la jeune fille qui s'y déplaçait, comme fixée sur un tapis roulant, se laissait emporter par le mouvement du vent et des feuilles. […] Elle regardait ses chaussures rompre le tourbillon des feuilles.» Clarisse accorde beaucoup d’importance aux relations humaines et aux plaisirs simples des petits bonheurs de la vie : «  Elle porta la fleur à son menton tout en riant ». Elle refuse de rentrer dans le moule qu’on lui assigne c’est pourquoi ses professeurs disent qu’elle ne s’intègre pas : « Je suis insociable, paraît-il. Je ne m’intègre pas. C’est vraiment bizarre. Je suis très sociable, au contraire. Mais tout dépend de ce qu’on entend par sociable, n’est-ce pas ? ».

Clarisse McCellan est l’exact opposé de Mildred, la femme de Guy. Clarisse représente la vie et Mildred est décrite comme morte, d’ailleurs, elle fait une tentative de suicide. Mildred est associée au champ lexical du froid, du sommeil et de la mort : « Sa femme étendue sur le lit, découverte et glacée comme un gisant », « Le petit flacon de somnifères », « Le souffle exhalé par les narines était si faible ». Mildred vit dans un monde imaginaire, bourrée de somnifères, avec ses écouteurs dans les oreilles en permanence : « Dix ans de pratique de radio-dés avaient fait d’elle une virtuose de la lecture sur les lèvres ». Mildred n’a qu’un seul but, installer un quatrième mur-écran afin de se plonger en immersion totale dans ses émissions de réalité virtuelle : « ce serait comme si cette pièce n’était plus la nôtre, mais celle de toutes sortes de gens extraordinaires », ce qui sous-entend que leur vie à eux est banale et insignifiante. Mildred n’a aucune notion de la valeur de l’argent, ce qui montre qu’elle est complètement déconnectée de la réalité : « Ça ne représente que deux mille dollars. » « C’est-à-dire le tiers de mon salaire annuel ». Elle est très égoïste : « Tu pourrais bien penser à moi de temps en temps ».

L’univers décrit dans ce roman est futuriste et violent : « C’est vrai qu’autrefois les pompiers éteignaient le feu au lieu de l’allumer ? », «  Mon oncle dit que son grand-père se souvenait d’une époque où les enfants ne s’entre-tuaient pas. Mais c’était il y a longtemps, quand tout était différent ». Les pompiers n’hésitent pas à recourir à la violence et à encourager la délation pour trouver des livres à brûler : « il la gifla avec un incroyable détachement et répéta sa question. », « Stoneman brandit […] la lettre de dénonciation », « abattant leur hache argentée sur des portes qui n'étaient même pas fermées ». Les machines remplacent les humains pour des tâches essentielles comme la médecine : « Pourquoi le service des urgences n’a pas envoyé de docteur ? […] Pour un truc comme ça, on n’a pas besoin de médecin ». Dans cette société déshumanisée, les rapports humains se sont distendus : « Nous sommes trop nombreux […] Personne ne connaît personne ».

 

Un questionnement sur la société de consommation

Montag souhaite lire les livres volés après le départ de Betty pour se rendre compte par lui-même si les livres sont réellement dangereux ou pas. Il veut pouvoir avoir sa propre opinion sur le contenu des livres. Il veut aussi comprendre pourquoi la vieille femme a été jusqu'à sacrifier sa propre vie pour défendre les idées contenues dans les livres. Par cette démarche Montag s’oppose au totalitarisme car il veut préserver sa liberté de penser. Il prend aussi le relais de Clarisse : il veut vérifier si il se sentira davantage vivant et connecté au reste de l’humanité après avoir lu des livres comme celle-ci le lui affirmait.

Montag se pose de plus en plus de questions au sujet de la société dans laquelle il vit mais aussi au sujet du sens de la vie et de la réalité virtuelle dans laquelle se plongent les personnes qui l'entourent pour oublier la vacuité de leur existence : « Pourquoi tout le monde refuse d'en parler ? […] Est-ce parce qu'on s'amuse tellement chez nous qu'on a oublié le reste du monde ? Est-ce parce que nous sommes si riches et tous les autres si pauvres que nous nous en fichons éperdument ? Des bruits courent ; le monde meurt de faim, mais nous, nous mangeons à satiété. Est-ce vrai que le monde trime tandis que nous prenons du bon temps ? Est-ce pour cette raison qu'on nous hait tellement ? » Le personnage de Montag a donc beaucoup évolué depuis le début du roman, d'abord grâce à Clarisse McCellan, puis grâce à la vieille femme qui est morte brûlée parmi ses livres. Il est maintenant prêt à passer une à étape supérieure. Le personnage de Faber, le vieux professeur d'anglais, va poursuivre l'initiation de Montag commencée par Clarisse. La personnification des mains de Montag montre que ce personnage a depuis longtemps une attitude ambiguë envers les livres et qu'il se détache de plus en plus des actions pyromanes qu'il est obligé de mener en tant que pompier car d'un côté il est forcé de brûler les livres, c'est la loi et c'est son travail, mais d'un autre côté il voudrait les préserver car il comprend qu’ils sont précieux. Il se sent donc coupable de les détruire et considère que cette élimination de la culture est criminelle, c’est pourquoi ses mains qui tiennent la lance à pétrole le dégoûtent au point qu’il n’arrive plus à les regarder. Cela rappelle le sentiment de fracture qu’il avait déjà ressenti avec Clarisse.

Montag n'arrive pas à mener à bien son projet d'apprendre un livre par cœur parce qu'il subit en permanence le matraquage publicitaire qui lui lave le cerveau et l'empêche de réfléchir. Cela est particulièrement remarquable dans le passage où Montag se trouve dans le métro et où il en vient à perdre l’usage du langage à cause de la réclame pour le dentifrice. Le dentifrice est d'ailleurs très symbolique puisqu'il sert à laver mais ici ce qui est lavé c'est le cerveau des gens : « Denham résout le problème !» On peut parler d'une lutte entre Montag et le reste des passagers du métro qui le regardent d'un air accusateur et le prennent pour un fou dangereux, ils sont prêts à le dénoncer et même à le lyncher, au point que Guy doit prendre la fuite. Cet épisode du métro est une prolepse, ce qui laisse deviner que l'attitude de Montag va fatalement aboutir à un accès de violence face à ceux qui demeurent endoctrinés par le pouvoir.

 

La résurrection du Phénix

La troisième partie du roman s’apparente au genre du roman d’aventures, avec la traque de Montag puis son errance avec les autres vagabonds. Le récit en focalisation interne donne le point de vue du personnage de Montag et permet au lecteur un accès direct à ses pensées et à ses sentiments : « Et comme avant, c'était bon de répandre l'incendie, il avait l'impression de s'épancher dans le feu,  de faire éclater sous la flamme et d'évacuer l'absurde du problème. S'il n'y avait pas de solution, et bien, il n'y avait plus de problème non plus. Le feu était la panacée ! »

Le fait que la guerre éclate enfin après avoir plané comme une menace tout au long du roman constitue un élément de résolution de l'intrigue car nous savons enfin pourquoi les bombardiers survolaient la ville jour et nuit : « Tous ces engins qui n'arrêtent pas de tournoyer dans le ciel ! Qu'est-ce que ces bombardiers fichent là-haut à chaque seconde de notre existence ? Pourquoi tout le monde refuse d'en parler ? »

L'explosion nucléaire finale provoque la destruction instantanée et soudaine de la ville comme le montrent les champs lexicaux de la violence et de la rapidité : « Et la guerre commença et s’acheva en cet instant », « Une fois les bombes larguées, c'était terminé. Dans les trois secondes, autant dire l'éternité, avant que les bombes ne frappent, les appareils ennemis avait disparu de l'autre côté du monde visible ».

Granger, qui fait office de dernier mentor pour Montag, évoque la figure du Phénix, oiseau mythique qui renaît de ses cendres. Ce symbole de la résurrection montre que quelle que soit la catastrophe subie, l'homme est capable de se relever. C'est pour cette raison que les vagabonds érudits choisissent d'apprendre par cœur des chapitres entiers de leurs livres préférés : ils savent qu'un jour viendra où la culture et la liberté seront ressuscitées. Ce symbole du Phénix apporte donc une lueur d'espoir après l'apocalypse de la guerre nucléaire.

Cette image du Phénix peut aussi s'appliquer à Montag qui est désormais capable de penser par lui-même. Ainsi ce personnage vit une résurrection intellectuelle après le lavage de cerveau (symbolisé par la publicité pour le dentifrice dans le métro) qu’il a subi pendant la première partie de sa vie, jusqu’à sa rencontre avec Clarisse McCellan puis Faber : « Il se récita les mots en silence, à plat ventre sur la terre frémissante, il les répéta à plusieurs reprises, et ils lui venaient sans effort, dans leur intégralité, sans dentifrice Denham nulle part ». À la fin du roman, le feu prend donc une valeur positive, purificatrice, contrairement à la première partie du roman ou le feu était uniquement destructeur : « c'était un feu étrange parce qu'il prenait pour lui une signification différente. Il ne brûlait pas ; il réchauffait ! »

Dans les dernières pages du roman, le personnage de Montag devient une figure christique, comme l’indique la citation biblique de l’apocalypse de Jean, puisqu'après s'être sacrifié pour sauver l'humanité en cachant des livres, Montag se met en route et les autres le suivent car il est devenu pour eux un guide spirituel : « Montag se mit en marche vers le nord et, au bout d'un moment, s’aperçut que les autres s’étaient rangés derrière lui. Surpris, il s'écarta pour laisser passer Granger, mais celui-ci le regarda et lui fit signe de continuer. Montag reprit la tête de la colonne. » 

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