Analyse des Caractères de La Bruyère, le portrait d'Acis

Analyse des Caractères de La Bruyère, le portrait d'Acis

Dans cet extrait, le moraliste se donne plusieurs rôles. Tout d'abord, il se positionne comme un observateur critique des mœurs et des comportements humains. Il analyse et juge les paroles et les attitudes d'Acis, en soulignant ses défauts et ses manques. Ensuite, il prend le rôle d'un pédagogue, cherchant à instruire et à corriger Acis en lui donnant des conseils pour améliorer son discours et son comportement. Enfin, il adopte le ton d'un satiriste, utilisant l'ironie et la moquerie pour dénoncer les travers de son interlocuteur et, plus largement, ceux de la société. 

 

Ce texte évoque le genre des essais philosophiques et moraux, notamment ceux de la tradition des moralistes français du XVIIᵉ siècle, comme Montaigne et Pascal. Les écrits de La Bruyère s'inscrivent dans cette tradition en explorant les caractères et les comportements humains avec un regard critique et souvent ironique. Le texte appartient également à la tradition des dialogues philosophiques, où les idées sont discutées et examinées à travers des échanges entre personnages.

 

Le pronom « vous » désigne Acis, le personnage auquel le moraliste s'adresse dans le texte. Cependant, à la première lecture, le lecteur peut se sentir apostrophé, car l'interpellation directe donne l'impression que le moraliste parle à un interlocuteur indéterminé, ce qui peut inclure le lecteur lui-même.

 

Les trois premières phrases du texte sont des questions rhétoriques. Elles ont pour effet de surprendre et de déstabiliser l'interlocuteur, en montrant l'incompréhension et l'agacement du moraliste face au discours d'Acis. Ces questions servent également à attirer l'attention du lecteur et à introduire le sujet de manière vive et engageante.

 

La tournure polie de la demande est marquée par l'emploi du conditionnel "plairait-il" et par la formule de politesse "de recommencer". Cette manière de s'exprimer est typique de la sociabilité des salons du XVIIᵉ siècle, où la courtoisie et la bienséance dans les échanges étaient très valorisées.

 

La Bruyère utilise le comique de répétition et de l'absurde. La répétition des demandes et la déclaration « J’y suis encore moins » créent un effet de surprise et d'absurdité. La chute amusante vient de l’incohérence apparente dans la progression des réponses, montrant l’inefficacité d’Acis à se faire comprendre et la frustration du moraliste.

 

Le point après « encore moins » traduit une pause significative, soulignant l'effet de chute et la frustration du moraliste. Le verbe « devine » et l’adverbe « enfin » sont ironiques parce qu'ils suggèrent une révélation évidente qui, en réalité, ne l'est pas du tout. Au-delà du comique, ces éléments peuvent déclencher des sentiments de frustration, d'agacement et de condescendance chez le lecteur comme chez l’interlocuteur d’Acis.

 

Le sarcasme de cette révélation vient du fait que le moraliste souligne l'évidence banale et inutile du propos d'Acis. Des exemples similaires incluent "Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige" et "Vous me trouvez bon visage". Le nom Acis renvoie à un personnage mythologique connu pour sa beauté et sa simplicité, tandis qu'un « phébus » désigne un discours obscur et prétentieux. La satire vise donc les individus qui se veulent érudits mais dont les discours sont vides de sens et encombrés de grandiloquence inutile.

 

Dans le passage de la ligne 45 à la ligne 49, le moraliste utilise le parallélisme en répétant des structures similaires : « Vous voulez, Acis, me dire... », « Vous voulez m’apprendre... », « Vous me trouvez... ». Il emploie également un rythme ternaire en énumérant trois propositions : « il fait froid », « il pleut ou il neige », « bon visage ». L'effet argumentatif de ces procédés est de mettre en relief la banalité et l’inanité des propos d’Acis, en soulignant par la répétition et le rythme que ces remarques sont superficielles et redondantes.

 

Les propos rapportés de manière indirecte sont : « Vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid », « Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige », « Vous me trouvez bon visage ». Ces propos sont attribués à Acis par le moraliste de façon indirecte. Les paroles rapportées au discours direct incluent des phrases comme : « Dites : 'Il pleut, il neige' » et « Dites : 'Je vous trouve bon visage' ». On peut parler d’un jeu d’écho entre le discours indirect et le discours direct car le moraliste reprend et reformule les propos d’Acis pour les tourner en dérision et montrer leur vacuité.

 

Le verbe « dites » est à l'impératif. Ce choix convient parfaitement à une leçon, car l'impératif est utilisé pour donner des instructions, des conseils ou des ordres. Ici, le moraliste utilise l'impératif pour enseigner à Acis la manière correcte de s'exprimer.

 

Le lecteur n’a pas entendu directement Acis jusqu’ici. La Bruyère a procédé ainsi pour centrer l’attention sur la critique du moraliste et pour mieux préparer l’effet de surprise et de ridicule qui accompagne finalement la prise de parole d’Acis.

 

Les deux premières objections d'Acis sont : « Mais répondez-vous cela est bien uni et bien clair ; et d’ailleurs, qui ne pourrait pas en dire autant ? » Ces objections montrent qu'Acis tente de défendre la clarté et la justesse de ses propos, mais elles révèlent aussi son incapacité à comprendre la véritable critique du moraliste. Cela souligne son manque d’esprit et sa tendance à se justifier maladroitement.

 

Non, Acis ne pose pas réellement une question. Il utilise un procédé rhétorique appelé question rhétorique, où la question est posée sans attendre de réponse, souvent pour affirmer ou nier quelque chose de manière implicite.

 

Acis se trahit en utilisant une double négation maladroite (« ne pourrait pas en dire autant »), ce qui rend sa phrase confuse et incorrecte. Cela révèle son manque de maîtrise du langage et son incapacité à s’exprimer clairement et précisément. Il montre ainsi le contraste entre son prétendu savoir et sa réelle incompétence.

 

La figure de style employée est l'antithèse. Le moraliste oppose ce qui manque à Acis (« l’esprit ») à ce qu’il a en trop (« l’opinion d’en avoir plus que les autres »). Cette opposition souligne l’ironie et renforce la critique du caractère d’Acis.

 

La réponse attendue à la question du moraliste est que l'opinion d’avoir plus d’esprit que les autres conduit à des discours pompeux et vides de sens. La figure de style employée est l'ironie, car le moraliste connaît déjà la réponse implicite et utilise la question pour souligner la vanité et l'ignorance d'Acis.

 

Le ton qui transparaît est un ton de mépris et de condescendance. En utilisant « vous et vos semblables » et « les diseurs de phébus », le moraliste regroupe Acis avec d'autres personnes qu’il considère comme également prétentieuses et vides de substance, renforçant ainsi sa critique moqueuse.

 

La Bruyère répète l’expression pour insister sur le manque crucial d’esprit chez Acis et pour renforcer l'impact de sa critique. Cette répétition crée un effet de martèlement qui peut déstabiliser l’interlocuteur, soulignant l’importance de ce manque et la gravité de la critique.

 

Un synonyme du mot « esprit » dans ce contexte pourrait être « intelligence » ou « finesse ». La proposition de réponse est amenée comme une pointe car elle résume de manière succincte et percutante toute la critique du moraliste envers Acis, en soulignant avec ironie ce qui lui manque fondamentalement.

 

Cette affirmation surprend le lecteur car, après avoir énoncé ce qui manque à Acis, le moraliste ajoute qu'il y a encore plus à critiquer, ce qui aggrave la critique. Ce qui est en « trop » chez Acis, c’est son opinion d’avoir plus d’esprit que les autres, une arrogance qui contraste avec sa véritable absence de finesse et de clarté.

 

Deux expressions qui montrent l’excès chez le diseur de phébus sont « pompeux galimatias » et « grands mots qui ne signifient rien ». La qualité implicitement valorisée par La Bruyère est la simplicité et la clarté dans le langage, une vertu souvent prônée par les moralistes classiques.

 

Le rythme trouvé dans les lignes 58-59 est celui de la liste, avec des énumérations rapides et répétitives. Acis utilise son amphigouri pour donner une apparence de profondeur et de savoir à ses discours, même s’ils sont en réalité vides de sens. Le langage sert de masque car il cache l'absence réelle de contenu et d’esprit sous une apparence de sophistication verbale.

 

La Bruyère crée un sentiment d’urgence en utilisant des impératifs directs comme « ne songez point » et « ayez ». Il parle avec une autorité et une clarté qui contrastent avec le discours embrouillé d’Acis, donnant l'impression que des actions immédiates sont nécessaires pour corriger les défauts du personnage.

 

En utilisant des impératifs et en adoptant un ton plus direct et urgent, le moraliste donne de la valeur à ses dernières paroles en les présentant comme des conseils essentiels et urgents. Cette manière de parler indique qu'il considère ces dernières recommandations comme cruciales pour qu’Acis puisse améliorer son discours et son comportement.

 

Dans la dernière phrase, La Bruyère exprime un ordre, utilisant l’impératif « ne songez point » et « ayez ». Il continue d’utiliser le mode impératif pour donner des instructions claires et directes. Un autre exemple de ce mode dans le texte est « dites » (l. 47).

 

L'adjectif qui qualifie le langage idéal de la conversation est « simple ». L’ultime remarque est particulièrement cruelle car elle suggère que malgré tous ses efforts, Acis n’aura jamais véritablement d’esprit, et que le mieux qu’il puisse espérer est de donner l’illusion d’en avoir en utilisant un langage simple.

 

La citation à retenir serait : « ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit : peut-être alors croira-t-on que vous en avez. » Pour le thème de « la comédie sociale », le nom serait « masque » et le verbe « feindre », en référence à la manière dont le langage maniéré peut masquer la véritable absence de contenu et d’esprit.


Comment La Bruyère se sert-il du personnage d’Acis pour dénoncer la préciosité ?

 

I) Un vice de langage

a) L’obscurité du discours d’Acis 

 

“Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J’y suis encore moins.” : cette série de questions fait penser qu’avant Acis a fait un discours incompréhensible et trop compliqué alors que ce qu’il voulait dire pouvait s’exprimer beaucoup plus simplement :  “Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid : que ne disiez-vous : « Il fait froid » ?” : le moraliste utilise l’ironie pour ridiculiser Acis qui voulait dire quelque chose de simple : il se moque de ses tournures de langage et donc de sa préciosité.

 

b) Une leçon de bien-dire 

 

“Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites : « Il pleut, il neige ». Vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m’en féliciter ; dites : « Je vous trouve bon visage. »” : le moraliste lui apprend comment s’exprimer clairement pour être compris des autres : il lui apprend des sujets simples pour rendre Acis encore plus ridicule. Il veut aussi lui apprendre que le but du langage devrait être de communiquer en établissant un lien entre les interlocuteurs, et non créer une distance avec les autres et montrer tout ce qu'on connaît pour se placer en position de supériorité.

 

II) Acis est un personnage pédant

a) La réplique d’Acis est précieuse 

 

“de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien” : cette phrase définie la préciosité et représente Acis comme une caricature du personnage précieux qui en aurait tous les défauts : cela fait ressortir un comique de caractère.

 

b) La critique de la préciosité 

 

“les diseurs de phébus “ : cette expression qui désigne l’ensemble des précieux est négative pour démontrer que dire des mots complexes ne permet pas de montrer qu’on est plus intelligent, cela permet seulement de n'être compris de personne 

“une chose vous manque, c’est l’esprit” : le moraliste dit que la façon de parler des précieux ne font pas voir qu’ils ont de l’esprit et qu’embrouiller les autres les rend juste plus insupportables.

 

III) Savoir être honnête 

a) Un conseil d’ami

 

“ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit “ : le moraliste donne le conseil a Acis de s’exprimer plus simplement, donc d'arrêter d'être précieux à l'extrême, car c’est ce qui fera que l’on appréciera plus sa compagnie : en effet quelqu’un qui sait communiquer clairement avec les autres est en général quelqu’un qui a vraiment de l’esprit. Le conseil qu’il lui donne est un rude, ses paroles envers Acis sont dures en général.

 

b) Savoir s’effacer

 

“Ne songez point à avoir de l’esprit, n’en ayez point, c’est votre rôle “ : le moraliste donne un conseil à Acis car pour être un bon ami il ne faut pas parler beaucoup, surtout de soi, mais savoir écouter et donc s’effacer : c’est une des caractéristiques qui différencie les honnêtes hommes des autres. En effet, au XVIIième siècle, l’idéal de l'honnête homme est un homme qui est moral et qui parle dans le but de se faire comprendre, le moraliste critique qu’à ce moment les courtisans puissent acheter des titres de noblesse alors que la noblesse n’est pas une question de richesse mais de grandeur morale. 


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