Analyse de Crépuscule de Guillaume Apollinaire dans Alcools

Analyse de Crépuscule de Guillaume Apollinaire dans Alcools

Etude linéaire

I. Les thèmes de la mort et de l’oubli

 

Vers 1 : ambiance fantastique et gothique

- Allitérations [fr/brr] // souffle, soupir, vibration, frémissement, frisson, mouvement.

- Champ lexical de la mort redondance « ombre » & « mort ».

- « Ombre » : symbole du flou, de l’errance, de la fragilité et de la vanité.

Vers 2 : nature morte

- « l’herbe » : nature imprécise et vague. Touche de couleur (vert) atténuée immédiatement par le verbe

« exténue ». Installation d’un paysage terne et mort. Personnification du jour qui « s'exténue ».

Vers 3 : femme déchue

- Théâtralité : Arlequine (celle qui accouche) symbole de fertilité est ici privée de son costume très coloré.

- « s’est mise nue » : choix volontaire de se défaire de l’apparat, crudité, thème de la vanité // maxime : « la vérité toute nue ». Fuite du temps et sensualité du corps féminin : rime « mort » / « corps ».

Nostalgie d'Apollinaire confirmée par la dédicace à Marie Laurencin (illustratrice française cubiste avec qui il eut une liaison tumultueuse) : amours passés et déçus.

Vers 4 : l’oubli

- « étang » // le Léthé fleuve qui apporte l’oubli aux âmes des morts dans les Enfers,

- « mire » : miroir, action de fixer le souvenir par le regard alors qu’il est condamné à l’oubli. Tentative d’actualiser un passé mort.

- Poésie orphique : // figure romantique d’Ophélie (Shakespeare, Hamlet), noyée, délaissée par son amant qui a assassiné son père. Voir tableau Ophélie de John Everett Millais, 1851 ci-contre.

 

II. Arlequin : double du poète

 

Vers 5-6 :

Spectacle de la fête foraine : rupture sonore avec l’ambiance mortuaire et silencieuse de l’arlequine de la strophe précédente.

- « Charlatan » : vendeur ambulant qui séduit par ses paroles. Le poète est assimilé à un vendeur mensonger.

La parole poétique est en crise.

- « Charlatan crépusculaire » écho au titre du poème : thème de la mort, le charlatan est au déclin de sa vie, comme le soleil est à son déclin à l’heure du crépuscule.

Thème dominant : l’écoulement de la vie vers la mort, thème qui hante Apollinaire. Enjambements dans les deux derniers vers : allongent la plainte du poète incompris.

Vers 7-8 :

- Champ lexical du ciel : « ciel ; constellé ; astres » : renvoie à la notion d’en haut, d’inaccessible. Tentative du poète de transcender sa peine. Le ciel symbolise le divin, la pureté et l’immortalité. Cette aspiration du poète à l’éternité traduit sa lutte contre la mort.

- Le « lait », dans la comparaison au vers 8, symbolise donc la nourriture spirituelle.

- Images antithétiques : le caractère des astres est le rayonnement, or ici le ciel est « sans teinte », sans couleur, les astres sont « pâles ». Installation d’un décor, toile de fond qui donne à la structure du poème une tonalité pathétique.

Strophe qui traduit les aspirations du poète à accéder à l’immortalité par la parole poétique en même temps que ses errances et ses doutes au cours de cette quête. Les images antithétiques illustrent cette logique des contraires, qui traverse le poème.

Vers 9 :

Scène théâtrale :

- Un arlequin mortuaire « blême », thème obsédant de la mort. Symbole du poète illusionniste ambulant. Le costume d’arlequin est similaire à l’écriture poétique : pirouettes avec les mots. Arlequin, pièce maîtresse de la commedia dell’arte comme le poète de l’avancement du monde.

Vers 10-12 : Des spectateurs ambigus :

- Absence de ponctuation propose deux lectures possibles : les spectateurs sont des sorciers / les spectateurs d’un côté. De l’autre des sorciers.

Cela suppose un ordre renversé, les sorciers qui devraient être sur scène deviennent spectateurs. Cela laisse entendre qu’Apollinaire préfère un public capable de comprendre la merveilleuse aventure magique de l’arlequin, double du poète.

Vers 11-12 :

- « Sorciers, fées, enchanteurs » : pouvoir de la parole. Étymologie « enchanteurs » : du latin carmen la parole magique, donc enchanter qq 1 par la parole.

- « Bohême » : monde de l’errance, de l’aventure et du rêve.

- Apollinaire multiplie les références et les images ce qui crée un effet de fragmentation du réel comme les losanges de la tenue d’arlequin.

L’arlequin médiateur : Fonction du poète définie ici.

- Dans la seconde strophe, le regard se portait vers le ciel. Cette fois-ci l’arlequin arrive à décrocher une étoile, but de l’ascension, du voyage vers le haut.

- Rôle qui coûte la vie du poète comme suggère l’image percutante du pendu qui sonne de ses pieds les « cymbales ». Tension exprimée par la répétition du phonème TEND/TAND puis END => temps. Effort démesuré qui semble se solder par la mort. Les cymbales sonnent un glas caricatural.

L’artiste est en lutte contre la réalité. Il se sait d’avance condamné à l’échec. Les arlequins sont des menteurs qui créent un monde imaginaire, une œuvre idéale.

 

III. La fonction du poète :

 

Les contraires s’attirent et forment des couples.

dynamisme/statisme : « berce, passe/regarde ».

grand/petit : « nain/trismégiste » (nain : poètes traditionnels qui observent Apollinaire moderniser la poésie ?)

maternité/filiation : « biche/faons ».

passé/avenir + beauté/laideur +fraîcheur/décadence... : « aveugle/enfant »

réalité/fiction

- La figure de l’aveugle symbolise la clairvoyance (profondeurs de l’inconscient).

- Biche et faons : image de la vie qui passe indifférente et impassible.

Dans le dernier vers l’arlequin est devenu trismégiste « trois fois très grand ». L’arlequin comme le poète est capable d’une maîtrise soudaine de l’univers. L’épithète « trismégiste » est celle du dieu Hermès patron des alchimistes.

Apollinaire rend hommage à Charles Baudelaire. Le poème prologue au Fleurs du Mal comprend ces vers :

« Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste

Qui berce longuement notre esprit enchanté »

Ici Satan est assimilé à Hermès. Apollinaire fournit une clé d’interprétation à ce poème qui joue sur les contraires et les renversements, comme Baudelaire.

 

CONCLUSION :  Apollinaire souligne ici la beauté qui peut être tirée d’un thème sombre : la mort. L’évocation du temps qui passe à travers la figure d’une vie mise en scène, grimée, met en évidence la fonction du poète médiateur, alchimiste du verbe, en quête de sens et de renouvellement. Le poète, comme arlequin, fait des pirouettes avec les mots. C’est un être extraordinaire et marginal, doué de pouvoirs magiques, illusoires, qui transfigure la réalité et crée un monde voué à l’échec.

Commentaire composé

I) Un poème construit comme un tableau (dédicacé à un peintre)

a) La dimension picturale (les images et les couleurs)

 

Ce poème est dédicacé à un peintre, Marie Laurencin. Ce poème est construit tel un tableau, on peut retrouver du vert avec l’herbe et du bleu avec le lac: “Sur l’herbe où le jour s’exténue” ; “Et dans l’étang mire son corps”. Au centre une femme nue : ”L’arlequine s’est mise nue”. Il y a un décor bucolique: “La biche passe avec ses faons”. 

 

b) L’univers du cirque (thème du tableau)

 

Le tableau est basé sur le thème du cirque comme nous le montre le champ lexical très présent :  “L’arlequine”, “charlatan”, “Vante les tours que l’on va faire”,

“Sur les tréteaux l’arlequin”, “Salue d’abord les spectateurs”, “Tandis que des pieds un pendu”, “Sonne en mesure les cymbales”, “Le nain,”, “l’arlequin”.

Le cirque est un univers très coloré comme le costume de l’arlequin, il y a donc une vraie mise en scène picturale autour de ce tableau.

 

II) Une atmosphère inquiétante (entre la vie et la mort)

a) La magie

 

Dans son poème, Apollinaire, introduit la magie. Il mentionne “Des sorciers” ce qui rend le poème inquiétant, car les sorciers sont souvent maléfiques. Il parle également de “fées” et “d’enchanteurs”, ce qui est moins effrayant mais tout de même surnaturelle.  

 

b) La présence de la mort

 

La mort est présente tout au long du poème. Tout d’abord au vers 1 avec: “Frôlée par les ombres des morts”, cela nous fait penser à des fantômes. 

Le jour “s’exténue” évoque que la vie symbolisée par le jour va bientôt disparaître, idée renforcée par le mot “crépusculaire”. Il semble que l’on assiste à une lutte entre la vie et la mort et que cette dernière va l’emporter. Le champ lexical de la mort est très présent. “Le ciel sans teinte” cela peut laisser penser que le soleil ne se lèvera plus jamais, qu’il fera toujours sombre.

Ensuite on peut retrouver le champ lexical du cadavre comme le soulignent les expressions : “pâles comme du lait”, “blême”.

Le fait de “décroché une étoile” est impossible, on peut imaginer qu’il est au ciel, mort.

Au vers 4 “l’étang” fait penser au mythe d’Ophélie, personnage de Shakespeare dans Hamlet qui se noie.  “L’aveugle” a l’air mutilé, quelqu’un lui a peut être crevé les yeux. Et enfin le “pendu” semble mort. On voit donc une gradation de l'horreur au fil du poème.

 

Ainsi, Apollinaire dresse un tableau sur le thème du cirque avec un décor bucolique. Cela est rapidement contredit par l'atmosphère étrange et inquiétante qui se met en place. 

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