Analyse des Caractères de La Bruyère, Irène

Analyse des Caractères de La Bruyère, Irène

 I) Un portrait qui ressemble à une fable

 a) La progression d’une fable

 

 “Irène se transporte à grands frais en Épidaure , voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux.”- situation initiale qui pose le cadre spatio-temporel du récit : l’action se déroule en Grèce Antique, cela est suggéré par le lieu Epidaure, sanctuaire de la médecine, et l’oracle du dieu grec de la médecine Esculape.

 

 “D'abord elle se plaint qu'elle est lasse et recrue de fatigue ; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire.”- introduction du dialogue avec les paroles rapportées au discours indirect - Le dieu répond de manière réaliste et simple.

 

 “Elle dit qu'elle est le soir sans appétit ; l'oracle lui ordonne de dîner peu.

 Elle ajoute qu'elle est sujette à des insomnies ; et il lui prescrit de n'être au lit que pendant la nuit.”- gradation des soucis d'Irène mais les réponses de l’oracle demeurent basiques. “Elle lui déclare que le vin lui est nuisible : l'oracle lui dit de boire de l'eau ; qu'elle a des indigestions : et il ajoute qu'elle fasse la diète.”

 “Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- cette phrase va marquer la fin du respect d'Irène pour l’oracle

 

 b) La fantaisie

 

 “Elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède ; l'oracle répond qu'elle doit se lever avant midi, et quelquefois de se servir de ses jambes pour marcher.”- Le narrateur utilise de l’ironie notamment en prescrivant comme remède à sa pesanteur  de marcher et se moque des fausses  “maladies”  d'Irène.

 

 “Ma vue s'affaiblit, dit Irène. - Prenez des lunettes, dit Escupale.”- Nous avons ici un anachronisme puisque les lunettes n’existaient pas dans la Grèce Antique mais elle commence à se développer au XVIIe siècle, contemporain de La Bruyère.

 

 “Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- L’oracle lui suggère de mourir pour se débarrasser de toutes ses raisons de se plaindre.

 

 c) Des personnages de comédie

 

 Irène est présentée comme un personnage hypocondriaque. De plus le prénom Irène en grec signifie la paix, paradoxe avec ce personnage qui cherche des maladies et à la fin entre en conflit verbal avec l’oracle. A la fin, elle perd le respect pour le dieu et l’oracle puisqu’elle lui pose des questions rhétoriques qui mettent en question sa science : “et ne savais-je pas tous ces remèdes que vous m'enseignez ?”.

 

 L’oracle quant à lui, est un personnage opposé à Irène, il a une vision réaliste des faits et se moque des questions d'Irène qu’il tourne en ridicule. Il est autoritaire puisqu’il prescrit des médicaments et utilise des impératif pour donner des ordres mais il demeure toutefois un personnage moqueur.     

 

 II) La morale

 a) Une critique des courtisans et en particulier de Madame de Montespan

 

 Pendant le règne de Louis XIV, la coquetterie se développe notamment avec toutes les parties de robes ainsi que leur volume,  le maquillage notamment le langage des mouches et l’ampleur des perruques dont la nature du poil désignait le rang social. La cour est à cette période plus que jamais, un lieu d’apparences où la jeunesse et la beauté sont les moyens d’obtenir la faveur du roi, c’est pourquoi les courtisans sont alors prêts à tout pour conserver le plus longtemps possible leurs attraits. Madame de Montespan est le symbole même de la dépense excessive dans tous les domaines (des habits jusqu’aux bals en passant par le Trianon de Montespan). Par opposition à Madame de Montespan, nous avons Madame de Maintenon,qui au début était préceptrice des enfants de Madame de Montespan,  toujours habillée en noir et beaucoup plus humble dans ses dépenses. Elle deviendra l'épouse du roi Louis XIV qui la préfère déjà à Madame de Montespan au moment où La Bruyère écrit Les Caractères.

 

 b) Une réflexion sur la condition humaine

 

 “Je m'affaiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que je l'ai été. - C'est, dit le dieu, que vous vieillissez.” Irène dans ce contexte incarne la personne vieillissante qui ne l’accepte pas et passe son temps à se plaindre. Elle prend sa condition physique comme une maladie mais pas comme un fait qui se produit naturellement. L’Homme manque de bon sens et ne profite pas assez du temps qui lui est imparti, ce qui est souligné par  “ Que n'en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage ?”

 

 “Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- L’oracle casse l’image de la jeunesse éternelle et La Bruyère offre une vision pessimiste de la condition humaine: tout se finira par la mort.

 

 c) Une leçon de vie

 

 “Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- La Bruyère mène une réflexion existentielle et nous donne une leçon de lucidité mais aussi une leçon de l'épicurisme : la morale implicite reprend le Carpe Diem des anciens (cueille le jour, profite de ta vie pour être heureux car ton existence a une durée brève et chaque jour compte).

 Conclusion  : 

Dans ce caractère construit à la manière d’une fable, La Bruyère utilise un contexte spatio-temporel antique, une des caractéristiques du classicisme, pour dépeindre la nature humaine. En effet, La Bruyère critique ironiquement le refus de la vieillesse à travers un personnage hypocondriaque. Dans ce caractère, il critique sa société contemporaine notamment les courtisans.  

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