Analyse de Adolphe de Benjamin Constant

Analyse de Adolphe de Benjamin Constant

Le portrait d’Ellénore, Chapitre II

 

De « Ellénore n’avait qu’un esprit ordinaire » à «  On l’examinait avec intérêt et curiosité comme un bel orage »

 

Dans quelle mesure peut-on parler d’un portrait paradoxal ?

 

I) Une femme tourmentée

 

Ellénore vit dans le déshonneur puisqu’elle a eu deux enfants illégitimes avec son amant en titre le comte de P***. Ainsi elle construit sa vie en totale opposition avec les valeurs morales et religieuses qui l’animent : « Elle était très religieuse, parce que la religion condamnait vigoureusement son genre de vie ». Ellénore est déchirée entre l’image de la femme qu’elle est devenue en suivant la voie de l’amour contre celle de la bienséance, et la femme qu’elle aurait voulu être : « et comme elle sentait que la réalité était plus forte qu’elle, et que ses efforts ne changeaient rien à sa situation, elle était fort malheureuse. ». Ce remords et cette culpabilité rejaillissent sur sa relation ambiguë avec ses enfants, qu’elle finira d’ailleurs par abandonner pour se livrer pleinement à sa passion pour Adolphe : « On eût dit quelquefois qu’une révolte secrète se mêlait à l’attachement plutôt passionné que tendre qu’elle leur montrait, et les lui rendait en quelque sorte importuns ».

 

II) Une héroïne passionnée

 

Ellénore est une héroïne romantique tourmentée, totalement dominée par ses sentiments et ses émotions sur lesquelles elle n’exerce aucun contrôle et qui la rendent très malheureuse et d’humeur changeante : «  Souvent elle était rêveuse et taciturne ; quelquefois elle parlait avec impétuosité ». La comparaison romantique : « comme un bel orage » souligne la nature indomptable de cette héroïne. Le champ lexical du combat (« Cette opposition entre ses sentiments et la place qu’elle occupait dans le monde avait rendu son humeur fort inégale ») qui domine dans son portrait laisse deviner la suite tragique du roman puisque Ellénore finira par mourir de ne pas se sentir suffisamment aimée.

 

Le sacrifice, Chapitre IV

 

De « Si je l’avais aimée comme elle m’aimait » à «  J’acceptai son sacrifice »

 

En quoi ce passage est-il représentatif du roman d’analyse ?

 

I) L’analyse des sentiments

 

Le personnage d’Adolphe fait dans ce passage un récit rétrospectif. L’emploi récurrent de l’irréel du passé dans le premier paragraphe (« Si je l’avais aimée comme elle m’aimait ») traduit le foisonnement de la pensée du personnage, typique du roman d’analyse. Les nombreux points virgules accélèrent le rythme du récit, ce qui souligne l’intensité des émotions du narrateur qui est rongé par la culpabilité d’avoir accepté de la part d’Ellénore un aussi grand sacrifice : « J’acceptai son sacrifice ». Le narrateur exprime la complexité de sa situation par une comparaison médicale : « semblable à ce que ressent un homme qui doit acheter une guérison par une opération douloureuse ». 

 

II) Un noeud qui se resserre

 

Ellénore sacrifie à Adolphe le peu d’honneur qui lui reste en quittant le comte de P*** dont elle était la maîtresse officielle : « je l’ai servi dans tous ses intérêts. Il peut se passer de moi maintenant : moi, je ne puis me passer de vous ». Elle va jusqu’à abandonner ses enfants pour vivre avec Adolphe : « Mes enfants sont ceux de M. De P***. Il les a reconnus : il en aura soin ». Le narrateur essaye sans succès de dissuader Ellénore qui, toute à sa passion, n’écoute pas les arguments du jeune homme : « Tout est considéré, interrompit-elle ». Ellénore choisit de se sacrifier en se déshonorant aux yeux du monde tout en sachant que tout retour en arrière sera impossible et qu’il lui faudra vivre dans la pauvreté et la souffrance. Elle se prend pour le Christ mais son sacrifice est inutile ce qui la rend à la fois tragique et pathétique.

 

Les tourments, Chapitre X

 

De « Son agitation devint extrême » à «  comme la nature se résigne ! »

 

Sur quoi la dimension dramatique de cet extrait repose-t-elle ?

 

I) Un entretien pathétique

 

Ellénore domine l’échange car c’est-elle qui parle le plus, comme pour maintenir le lien ténu qui l’unit encore à Adolphe. Mais le jeune homme se justifie très maladroitement, ce qui fait encore plus douter Ellénore de la sincérité de ses sentiments. C’est une scène de rupture pathétique car le personnage d’Ellénore est toujours passionnément amoureuse d’Adolphe dont l’amour s’est changé en pitié au fil du temps : « L’amour était toute ma vie : il ne pouvait être la vôtre ». Ellénor, héroïne romantique, va mourir d’amour. Elle appelle la mort de ses voeux pour être délivrée de sa souffrance mais aussi pour rendre sa liberté à Adolphe car elle l’aime tant qu’elle ne veut plus être un poids pour lui : « Je ne serai pas longtemps malheureuse, vous n’aurez pas longtemps à me plaindre. »

 

II) L’agonie à venir

 

La description de la nature est symbolique et reflète les sentiments du personnage d’Ellénore : « Le ciel était serein ; mais les arbres étaient sans feuilles ». Il s’agit d’un paysage état d’âme, caractéristique de l’écriture romantique. Les sentiments du personnage romantique sont si forts qu’ils rejaillissent sur la nature qui les lui renvoie comme un miroir : « comme la nature se résigne ».  A chaque pas de cette promenade glacée qui installe davantage de froid entre les deux personnages, il semble qu’Adolphe brise un peu plus le coeur d’Ellénore qui se dirige résolument vers la mort : « le seul bruit qui se fît entendre était celui de l’herbe glacée qui se brisait sous nos pas ».

 

La lettre d’Ellénore, Chapitre X

 

De « Adolphe, me disait-elle, pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? » à «  et que vous ne daignez plus récompenser d’un regard ».

 

En quoi cette lettre s’apparente-t-elle à un monologue tragique ?

 

La lettre d’Ellénore, qu’Adolphe ne peut s’empêcher de lire bien qu’il lui ait promis de ne pas le faire, s’apparente à un monologue tragique. En effet, on y trouve de nombreuses questions rhétoriques qui retranscrivent l’introspection du personnage d’Ellénore dans un registre tragique : « Adolphe, me disait-elle, pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? Quel est mon crime ? »  La ponctuation expressive traduit le désespoir du personnage d’Ellénore face au dilemme auquel elle est confrontée : « Qu’exigez-vous ? Que je vous quitte ? Ne voyez-vous pas que je n’en n’ai pas la force ? ». Le discours d’Ellénore est accusateur : « Pourquoi vous montrez-vous furieux et faible ? », mais malgré sa déception face à l’absence de grandeur d’âme de son ancien amant, elle ne peut réprouver la passion violente qu’elle éprouve pour lui et qui l’empêche de reprendre les rennes de son destin. Bien qu’elle soit pleinement consciente qu’Adolphe ne mérite pas son amour ni son sacrifice, elle ne peut lutter face à la force de sa passion qui la dépasse. Cela fait d’elle une héroïne tragique.

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