Analyse de l'épisode du vol des pommes dans Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau

Analyse de l'épisode du vol des pommes dans Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau

Etude linéaire

Introduction : Jean Jacques Rousseau est un écrivain et philosophe du XVIIIe siècle. Né à Genève et orphelin très vite de sa mère, il aura une vie marquée par l'errance. Son œuvre littéraire et philosophique lui vaut notamment de nombreux conflits avec l'Église. En tant qu'écrivain, il connaîtra le succès avec Julie ou la Nouvelle Héloïse en 1761, puis avec Les Confessions et Les Rêveries du promeneur solitaire, avec lesquelles il invente le genre moderne de l'autobiographie. Ces deux œuvres lui offrent en effet l'occasion d'une observation précise de son intériorité et de ses sentiments. 

Reprise du sujet Le passage qui nous occupe se situe à la fin du Livre I des Confessions, publiées en 1782 alors que le jeune enfant Jean-Jacques est en apprentissage à Genève. Il fait le récit d'une « chasse aux pommes », ou comment est-ce qu'il tente d'attraper des pommes qui lui sont interdites d'accès.             

Problématique : En quoi Rousseau s'aide-t-il des mythes pour tirer de son souvenir une morale individuelle ?

Plan : Nous verrons dans un 1er temps le cadre du texte, puis nous nous intéresserons à la gourmandise de l’adolescent, puis nous verrons l’opération de vol. Enfin, nous verrons que la douleur de l’acte est passée et présente et la fin de la réflexion sur le châtiment corporel.

 

I) Sujet du texte l.1-2

 

1ère phrase donne le sujet : une chasse aux pommes qui lui mérita les sévices du maître d’apprentissage.

Terme « chasse » disproportionné pour un vol de pommes – annonce un récit mouvementé

Souvenir l’a marqué puisqu’il s’en souvient encore et provoque à nouveau en lui des réactions contrastées 

- crainte « me fait frémir » -- JE de l’histoire, donc adolescent

- « me fait rire » -- JE de l’écriture, réaction adulte amusée par la bêtise du jeune homme

Double jeu sur le je (jeu de mot) récurrent dans tout le texte, montre la manière dont Rousseau raconte l’histoire, tantôt avec implication du moment, tantôt avec la distance du présent de l’écriture.

 

II) Cadres et circonstances l2-4

 

Pommes entreposées dans une « dépense » CAD un réduit/une réserve/un garde-manger—pièce attenante à la cuisine (voir l.3) et le seul moyen d’éclairer cette remise est une « jalousie » CAD une ouverture à claire voie qui permet de voir sans être vu quand on regarde dans la rue. C’est presque un treillis en bois, en croisillons ou avec des lattes, qui empêche de voir la remise, depuis la cuisine. C’est une fenêtre dormante qui ne peut s’ouvrir.

La May qu’on peut écrire maie est un meuble rustique, un grand coffre qui s’ouvre par le dessus et qui servait de pétrin. On voit donc que pour le jeune home, il y a certaines contraintes : d’abord il faut trouver le bon moment, « un jour que j’étais seul dans la maison » l.3. Ensuite, il lui faut monter sur le meuble pour apercevoir les pommes qui restent inaccessibles, puisque la fenêtre ne s’ouvre pas et que la porte de cette remise est fermée à clé, comme nous le dit implicitement la ligne 20. C’est donc tout un stratagème qu’il faut mettre en place.

 

III) Gourmandise et convoitise de l’adolescent l4-5

 

L’adulte Rousseau écrivant son autobiographie veut rendre compte de la convoitise de la gourmandise de l’adolescent pour des pommes qui te qualifie de « précieux fruits ». Cela nous paraît exagéré pour des simples pommes. La suite va nous faire comprendre pourquoi ces fruits sont si précieux pour lui. En effet il assimile son vol à une quête mythique, celle qu’on trouve dans la mythologie sous le nom de « Pommes des Hespérides ». Qu’avaient-elles de particulier ? Elles étaient sacrées (Gaïa les a offertes à Héra pour son mariage). Cette assimilation montre l’extrême convoitise du jeune homme. A qui s’assimile-t-il lui-même ? Il s’assimile à Hercule dérobant les pommes. C’est un héro épique.  

 

IV) L’opération l5-14

 

Le but : saisir à distance une pomme et de la passer à travers les lattes de la jalousie pour la manger. C’est une opération délicate ; cela est perceptible :

- au nombre d’outils qu’il doit utiliser : une broche, une autre broche, des supports comme une latte, enfin un couteau. Il s’agit d’amener la pomme, puis de la couper pour la faire passer à travers le treillis

- à l’étirement du temps bien rendu par l’écrivain. Cet étirement du temps se résume dans l’expression « à force d’adresse et du temps » ligne 12, puisqu’il y a eu 2 tentatives, comme nous l’indiquent les lignes 13-14, puis 16. Les expressions qui montrent l’étirement du temps sont nombreuses et peuvent se classer en 3 catégories

- formules duratives, comme « très doucement », « j’étais prêt » et 2 autres verbes à l’imparfait : « déjà la pomme touchait » « j’amenais ».

- les formules itératives comme « plusieurs fois »

-les formules conatives, qui marquent les efforts résumés par l’exclamative « Que d’inventions ne mis-je point en usage pour la tirer ! ». « Invention » est à prendre au sens de « moyens », « trouvailles ». La phrase ternaire lignes 10-11 : « Que d’inventions ne mis-je point en usage pour la tirer ! » Par-là, Rousseau rivalise d’ingéniosité. A qui s’assimile-t-il encore ? à un héro grec.

 

V) Douleur passée et présente L.14-22

 

Souvenir si tenace d’une action si digne de crainte, que le souvenir le fait frémir encore l.1. La preuve à la ligne 21, dans le temps de l’écriture, il lâche sa plume qu’il utilisait pour écrire. Analogie, la chute de la plume correspond à la chute de la broche. 

Les sentiments de peurs sont si exacerbés que les sentiments qui la caractérise sont hyperboliques : mots forts : « que dira ma douleur ? » C’est indicible : personne ne voit ma souffrance « affliction » signifie une grande peine. Sentiment de courage « je ne perdis pas courage » est un terme de chevalerie donc hyperbolique. Rapport au dragon.

Nous sommes donc dans un registre épique où le héros continue de souffrir sans perdre courage jusqu’à un certain point car devant le maitre d’apprentissage, il ne résiste pas.

Il y a un sentiment tragicomique : ce souvenir l’a fait rire : détachement de l’adulte : « lecteur pitoyables, partagez mon affliction ». Les lecteurs sont compatissants, c’est amusant et ironique. Le maitre joue l’ironie avec « courage » qui signifie allez, continuez à un enfant-ironie. Le tragicomique provient d’un hiatus (opposition) entre l’action elle-même et la façon de la présenter.

Comique : -dragon sort d’une dépense

                   -chevalier, héro mythique (Hercule armé d’une broche à rôtir, d’un couteau de cuisine sur un tréteau

Fin de la réflexion sur le châtiment corporel L.22-fin

Nous devinons que Rousseau va être puni fortement par des sévices corporels importants. On le voit à 3 expressions « qui me couta cher » « mauvais traitements » « être battu allaient ensemble ». C’est récurrent. « Me battre comme un fripon » « c’était m’autoriser à l’être » (le fait qu’il soit battu justifie le fait qu’il soit un fripon).

Répétition du verbe battre « me battre » « être battu » « serai battu ». Rousseau se disait différent des autres hommes. Chez lui, la punition va avoir des conséquences opposées à ce qui était attendu : cela va l’inciter à recommencer. Cet épisode est l’illustration de sa différence qu’il revendique dans le prologue. Ainsi, Rousseau mène une réflexion sur le bien-fondé ou non de sa punition.

Verbes d’opinion « je jugeais » « je trouvais » « me disais ».

Gradation croissante dans l’analyse de la punition « à force d’essuyer de mauvais … sensible ». La punition est banalisée, elle a moins d’effets. C’est une sorte de « compensation du vol … continuer ». On vole puis on est puni, c’est une normalité, un droit. Champ lexical du droit « droit » « m’autoriser à l’être » « constituaient » « état » « la vengeance » est un attrait du gain « je serai battu : soit je suis fait pour l’être »

C’est une fatalité, Rousseau est la victime et le maître et le criminel. Il y a une inversion des valeurs.

 

Conclusion : On peut comparer ce passage avec un extrait des Confessions de Saint-Augustin, où celui-ci vole des poires par plaisir de franchir l'interdit. Si Rousseau vole également sans nécessité, Saint-Augustin donne un sens chrétien à cet aveu, qui est une confession à Dieu lui-même. La progression est la suivante : accusation, puis description du larcin, puis contrition, pour obtenir le pardon.

Rousseau, lui, cherche à faire rire le lecteur et, ainsi, à le mettre de son côté. Mais, au-delà du côté burlesque, c'est aussi un plaidoyer pour une certaine éducation, où l'enfant est considéré comme un futur adulte, avec un libre-arbitre équivalent et une capacité à comprendre les choses, et non seulement à les subir. Il mène ainsi une réflexion sur l'éducation des enfants en remettant en cause les châtiments.

Écrire commentaire

Commentaires: 0