La Fontaine, Le songe d'un habitant du Mogol, étude linéaire

La Fontaine, Le songe d'un habitant du Mogol, étude linéaire

Image par Stefan Keller de Pixabay
Image par Stefan Keller de Pixabay

Fable

Jadis certain Mogol vit en songe un vizir

Aux Champs Elysiens possesseur d'un plaisir

Aussi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée

Le même songeur vit en une autre contrée

Un ermite entouré de feux,

Qui touchait de pitié même les malheureux.

Le cas parut étrange, et contre l'ordinaire

Minos en ces deux morts semblait s'être mépris.

Le dormeur s'éveilla tant il en fut surpris.

Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère,

Il se fit expliquer l'affaire.

L'interprète lui dit « Ne vous étonnez point ;

Votre songe a du sens ; et, si j'ai sur ce point

Acquis tant soit peu d'habitude,

C'est un avis des dieux. Pendant l'humain séjour,

Ce vizir quelquefois cherchait la solitude ;

Cet ermite aux vizirs allait faire sa cour. »

Si j'osais ajouter au mot de l'interprète,

J'inspirerais ici l'amour de la retraite

Elle offre à ses amants des biens sans embarras,

Biens purs, présents du ciel, qui naissent sous les pas.

Solitude où je trouve une douceur secrète,

Lieux que j'aimai toujours ne pourrai-je jamais,

Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais ?

Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles ?

Quand pourront les neuf soeurs, loin des cours et des villes,

M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux

Les divers mouvements inconnus à nos yeux,

Les noms et les vertus de ces clartés errantes

Par qui sont nos destins et nos moeurs différentes !

Que si je ne suis né pour de si grands projets,

Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets !

Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !

La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie,

Je ne dormirai point sous de riches lambris

Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?

En est-il moins profond, et moins plein de délices ?

Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.

Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,

J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.

La Fontaine, Fables

Analyse

Comment dans cette fable La Fontaine utilise-t-il le mythe oriental pour appuyer ses réflexions personnelles ?

 MYTHE ORIENTAL

Référence à l’Antiquité grecque et latine “Aux Champs Elysiens” “une autre contrée” “entouré de feux”. L’auteur projette son lecteur dans un univers mythique qui par ces lieux symboliques, définis

la récompense d’un côté

et la punition de l’autre

Les personnages:

un habitant du mogol, permet d’immerger le lecteur dans un pays lointain et inconnu, exotique

le vizir et son séjour sont présentés comme une source de plaisir ultime

comparaison “un plaisir / Aussi pur qu'infini” est un superlatif relayé par la comparaison “ tant en prix qu'en durée”. Ce sont des adjectifs “pur” “infini” qui définissent le paradis.

à l’opposé, la figure de l’ermite est un homme qui consacre sa vie à la religion, est associé à la figure de l’enfer 

participiale “entouré de feux”

Le fabuliste insiste sur l’émotion qu’il produit dans la proposition relative “qui touchait de pitié même les malheureux” puisqu’il a une forme extrême de souffrance évoquée dans l’intensité de la pitié que ce spectacle provoque. 

“Le cas parut étrange, le paradoxe de cette situation est souligné vivement par l’auteur. Il met en exergue une inquiétude. 

Tandis que “contre l'ordinaire”, justifie cette interrogation sur le sens à donner à ce rêve. 

L’intrusion d’un discours indirect libre, qui sont les pensées du Mogol. Nous révèlent une hypothèse d’une erreur de Minos qui est suggérée par le verbe “semblait”, donc erreur sur le jugement divin concernant la récompense à attribuer à chacun des morts, celui qui serait vertueux et celui qui ne le serait pas. 

Or cette hypothèse n’est pas recevable, puisque Minos est un Dieu. 

La surprise interrompt le sommeil “Le dormeur s'éveilla tant il en fut surpris.”, l’adverbe introduit la cause du réveil. 

“Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère,” est une périphrase qui attribue un caractère prophétique au rêve et qui a un sens caché adressé par les Dieux. 

Pour éclaircir le sens de ce songe, (qui a unE interprétation cachée), l’habitant a recours à un interprète comme les grecs avaient recours à un oracle afin de déchiffrer les messages envoyés par les dieux, comme la Pythie de Delphes. 

Dans cette 1ere partie du songe, la culture orientale portée par la présence du vizir et de l’habitant du Mogol se marie à la culture antique grecque grâce à la définition des enfers avec les “Champs Elysiens”

(interprétation du songe)

 RÉFLEXIONS PERSONNELLES

À la suite du songe d'un habitant du Mogol, le fabuliste présente son propre songe, ce qui lui permet d’exprimer ses aspirations par le biais de sa propre imagination. 

“les neuf sœurs” désignent dans ce texte les muses qui inspirent les artistes, notamment LA FONTAINE. Si La Fontaine fait le vœu de se retirer du monde, c’est pour étudier l’astrologie “Les divers mouvements inconnus à nos yeux", le mouvement des astres.

La pensée de La Fontaine, sur le bonheur dans une vie se comprend donc à travers ce rêve qu’il partage avec le lecteur. 

Il fait l’éloge de la solitude, avec le terme de “retraite”, car la retraite préserve l’individu de la corruption  de la cour. 

La Fontaine s’exprime à la première personne du singulier et il donne ainsi son opinion sur la vie qu’il souhaite “Si j'osais”

“Si j'osais ajouter au mot de l'interprète/ J'inspirerais ici l'amour de la retraite,” Dès les premiers vers de la seconde partie de la Fable, le fabuliste annonce au lecteur son projet pour cette fable. Il existe donc une analogie entre l’apologue et le sens qu’en retire le narrateur pour faire l’apologie de la retraite, c’est-à-dire, celui d’une vie retirée des mondanités de la Cour. 

“Si j'osais” L’emploi du conditionnel présent souligne 

une hypothèse venant souligner un conseil pour le lecteur 

ne pas se laisser emporter par la séduction des apparences

comme d’habitude, La Fontaine introduit une leçon

un fait imaginaire

Ensuite, il fait le vœu de retourner à la nature afin d’y trouver une source d’inspiration. 

L’image qu’il emploie d’une Parque fait référence à la divinité antique qui file entre ses mains. “fil d’or” = vie dorée. 


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