Explication linéaire de la fable de La Fontaine Le chat et le renard

Fable
Le chat et le renard, comme beaux petits saints,
S'en allaient en pèlerinage.
C'étaient deux vrais tartufs, deux archipatelins
Deux francs patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,5
S'indemnisaient à qui mieux mieux.
Le chemin étant long, et partant ennuyeux,
Pour l'accourcir ils disputèrent.
La dispute est d'un grand secours.
Sans elle on dormirait toujours.10
Nos pèlerins s'égosillèrent.
Ayant bien disputé, l'on parla du prochain.
Le renard au chat dit enfin :
«Tu prétends être fort habile,
En sais-tu tant que moi? J'ai cent ruses au sac.15
- Non, dit l'autre; je n'ai qu'un tour dans mon bissac ;
Mais je soutiens qu'il en vaut mille.»
Eux de recommencer la dispute à l'envi.
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.20
Le chat dit au renard :« Fouille en ton sac, ami ;
Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr ; pour moi, voici le mien. »
A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.
L'autre fit cent tours inutiles,25
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.
Partout il tenta des asiles ;
Et ce fut partout sans succès ;
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.30
Au sortir d'un terrier, deux chiens aux pieds agiles
L'étranglèrent du premier bond.
Le trop d'expédients peut gâter une affaire :
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon.35
Fable XIV, « Livre neuvième », Fables, La Fontaine, 1678,1679.
Analyse
Premier mouvement : Une mise en scène digne de La Fontaine
Situation initiale : deux personnages entreprennent un voyage
v1 “petits saints”, V2 “pèlerinage” : ironique puisque le chat et le renard sont des brigands de grands chemins (des voleurs et des assassins) : “Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage”. Ils sont décrits de façon amusante “Deux francs patte-pelus” c’est-à-dire des hypocrites.
Deuxième mouvement : L’aventure on the Road (genre cinématographique des films qui déroulent sur les routes ; en littérature, on l’appelle le genre picaresque)
Récit de voyage pendant lequel les personnages discutent et échangent leurs points de vue : champ lexical de la discussion “dispute”
Les personnages s’emportent, ils n’ont pas le sens de la mesure, ce ne sont pas des honnêtes hommes au sens du XVIIème siècle (un homme qui garde son calme en toutes circonstances, et qui garde son honnêteté intellectuelle sans jamais s’énerver ou rabaisser les autres, c’est un homme d’honneur, qui reste toujours digne), ce sont des héros picaresques (comme Don Quichotte de la Mancha) qui font beaucoup de bruit pour rien.
La Fontaine aime l’art de la dispute qui permet le débat d’idées : “La dispute est d'un grand secours. Sans elle on dormirait toujours”
Le dialogue au discours direct rend la fable plus dynamique et apporte de la gaïté.
Le renard est prétentieux et se vante d’être le plus intelligent : “En sais-tu tant que moi? J'ai cent ruses au sac” V15
Jeu de mots autour de l’expression populaire “avoir plus d’un tour dans son sac.
élément perturbateur : “ Une meute apaisa la noise” V20 ils sont attaqués par des chiens
Troisième mouvement : L’action
Le chat nargue le renard en le mettant au défi d’échapper aux chiens : “:« Fouille en ton sac, ami ; Cherche en ta cervelle matoise Un stratagème sûr ; pour moi, voici le mien. »“ V21 à 23
Le chat n’a qu’une seule ruse, celle de monter aux arbres “A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.”
Le renard si malin qu’il soit, n’arrive pas à trouver de solution : “ L'autre fit cent tours inutiles [...] deux chiens aux pieds agiles L'étranglèrent du premier bond.”
Dernier mouvement : la morale
La morale est explicite dans les trois derniers vers et elle peut se lire à plusieurs niveaux. D’abord on comprend que mieux vaut avoir une seule compétence utile que savoir faire mille choses inutiles (“N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon.”) De plus, La Fontaine conseille la prise de décision rapide car trop penser provoque de la paralysie (“Le trop d'expédients peut gâter une affaire : On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.”). Enfin La Fontaine critique implicitement dans cette fable les courtisans qui se vantent beaucoup pour se faire remarquer à la cour mais qui n’ont aucune compétence réelle et aucune qualité humaine, ce sont des Tartuffes (“C'étaient deux vrais tartufs”).
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