Commentaire composé sur Melancholia (vers 113 à 146) De «Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?» à «Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !»
I) Le poète nous donne une représentation précise de la situation des enfants
a) Une description documentaire
“Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ; Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement Dans la même prison le même mouvement.”: La description du travail des enfants est cruelle à cause de l’emploi du mot “prison”,ce mot montre qu’ils ne sont pas libres, ils sont privés de leur enfance.
b) Une description que le lecteur peut facilement se représenter comme s’il était témoin des faits évoqués
“Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue. Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.” : Le poète fait une description physique précise des enfants qui fait ressortir leur souffrance physique, ce qui permet au lecteur de bien se représenter la situation de ces enfants.
II) Une description touchante qui ne laisse pas le lecteur indifférent
a) Le poète insiste sur la souffrance des enfants
“Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ? Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?” : Ces trois questions rhétoriques s’adressent au lecteur et donc cela nous montre que le poème fonctionne comme un discours.
b) Il insiste sur la situation inhumaine qu’on impose aux enfants
“Accroupis sous les dents d'une machine sombre, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre, Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, Ils travaillent”: Le texte prend ici une dimension fantastique avec la personnification de la machine en monstre qui relève la situation inhumaine dans laquelle les enfants se trouvent : “Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !”
c) Effet de disparition du personnage de l’enfant à l’image de ce que le travail accompli produit
“Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »” : L’enfant est sacrifié au profit de la productivité. Le progrès technologique fait disparaître tout sentiment d’humanité à l’égard de ces enfants qui ne sont que des “outils”.
“Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l'homme ! “ : La machine est plus importante que les enfants dans cette société déshumanisée, les enfants sont ainsi représentés comme des “outils” inférieur à une machine qui les dévore et s’en nourrit : “Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,”. Dès leur jeunesse les enfants sont exploités par des adultes les privant de tout, même de leur dignité d’êtres humains.
III) Le poète s’engage et met son écriture au service des hommes
a) Une réflexion sur le travail
“Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer. Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.” :C’est une réflexion sur le travail, car le travail des enfants n’étant pas naturel, il est présenté comme diabolique puisqu’il empêche les enfants de grandir et de se développer normalement : “Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée, La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée, Et qui ferait — c'est là son fruit le plus certain — D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin ! Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre, Qui produit la richesse en créant la misère, Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !” : le progrès de la société n’entraîne pas de progrès humain, au contraire.
“qu'il soit maudit au nom du travail même, Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux, Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !” : Le poète dit que seul le vrai travail rend heureux, le travail des enfants ne doit pas exister car il rend misérable l’enfant mais profite à l’adulte. Aux yeux de Victor Hugo, le travail des adultes est un moyen de conquérir l’autonomie. Or, un enfant ne gagne jamais son autonomie en travaillant puisque son travail l’empêche d’aller à l’école pour s’instruire : “Et qui ferait — c'est là son fruit le plus certain — D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !”
b) Une réflexion soutenue par l’implication énergique et polémique du poète
“Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas ! Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes, « Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »”: Le poète montre l'innocence des enfants en utilisant une comparaison et il accuse les hommes politiques de maintenir l’esclavage des enfants “voyez ce que nous font les hommes !”, “Ô servitude infâme imposée à l'enfant ! “.
“Que ce travail, haï des mères, soit maudit ! Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit, Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !” : Victor Hugo s’insurge contre le travail des enfants en élevant sa voix chrétienne (“maudit” répété trois fois) et paternelle (“haï des mères”). Il s’oppose ainsi au fonctionnement de la société du XIXème siècle qui banalise l’esclavage des enfants.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Analyse linéaire Melancholia (vers 113 à 146)
Dans cette partie de ce long poème, Victor Hugo décrit la situation des enfants à son époque. Il commence son poème en montrant que l’enfant est forcé d'aller contre sa nature, qui est de rire et d'être heureux : “Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?” Le poète utilise dans le même vers un adjectif positif, montrant le caractère innocent et rêveur des enfants “doux êtres pensifs”, à côté d’un adjectif dépréciatif pour caractériser la fièvre, qui ronge les enfants. Cette utilisation des adjectifs permet à Victor Hugo de susciter de la pitié chez le lecteur : “Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?” Le poète dénonce la société qui détruit les familles, les forçant à se séparer pour aller au travail, et les enfants se retrouvent seuls, sans protection, sous risque d'être enlevés : “Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?” L’usage de ces trois questions rhétoriques permet à Victor Hugo d'entamer son argumentation. Dans les vers suivants, Victor Hugo développe le fait que les enfants sont condamnés à travailler, et sont rendus esclaves de la société. Leurs besoins d’enfants, de jouer, d'être imaginatifs, sont annihilés. Ces enfants sont nés pour travailler, être des esclaves : “Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement Dans la même prison le même mouvement”. L'allitération en [m] accentue le fait que les enfants ont besoin d’amour et de joie, mais leur obligation de travailler détruit cela. Ensuite, Victor Hugo personnifie les machines, en leur donnant des attributs monstrueux. Victor Hugo fait de cette personnification une métaphore filée, afin de montrer que l’enfant est un être imaginatif, mais aussi pour montrer le danger du travail auquel il est soumis : “Accroupis sous les dents d’une machine sombre”. Nul ne sait si un enfant ouvrier rentrera vivant du travail, à cause de la dangerosité des mines : “Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre”. Victor Hugo critique la société de son époque, qui exploitait les enfants afin de les soumettre à des travaux forcés. Les parents, qui n’ont pas d’argent pour vivre, se voient obligés d’accepter ce marché immonde. Il y a un parallélisme entre “innocents dans un bagne” et “anges dans un enfer”, montrant que la situation des enfants esclaves est contre nature. Victor Hugo est un poète messianique. On retrouve dans la plupart de ses poèmes un cadre chrétien : “anges dans un enfer”. Dans le vers suivant la rupture de rythme met en valeur la phrase “Ils travaillent”. Cette rupture donne un effet pathétique, puisqu’on voit que l’homme a détourné le cours de la nature : “Ils travaillent.” D’ailleurs, l'allitération en [r] montre la souffrance à laquelle sont réduits ces enfants. L'allitération en [t], sonorité dentale, renforce la métaphore filée du monstre, qui dévore les enfants : “Tout est d’airain, tout est de fer”. Victor Hugo restitue le cadre avec quatre phrases indépendantes qui donnent un rythme haché, renforçant le registre pathétique du poème. Victor Hugo fait un parallélisme accentuant l'idée que la nature de ses enfants est déformée par l’homme : “Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue”. Victor Hugo parle à la troisième personne du singulier dans cette phrase, afin que le lecteur se mette à la place des enfants. La césure à l'hémistiche faite par un point d’exclamation met en valeur la pâleur des enfants, à cause des travaux et de la fièvre. Le travail affaiblit les enfants et les rend malades. Leur santé est mise en jeu, dans la solitude, alors que d'après la nature, les parents doivent s’occuper de la santé de leurs enfants. Chez les enfants, dans la majorité des cas, tomber malade est rare, mais au dix-neuvième siècle, en pleine période d’industrialisation, cela est fréquent : “Aussi quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las”. Dans les vers suivants, Victor Hugo dénonce sous forme de prière la cruauté de la société qui transforme les enfants en ce qu’ils ne sont pas supposés être : “Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas ! Ils semblent dire à Dieu : — Petits comme nous sommes Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! —”. Le registre dominant est le registre pathétique. L’oxymore “souffle étouffant” montre que l’enfant, qui est fait pour respirer l’air de la jeunesse et de la vie, est étouffé par la société qui le force à travailler, et soumis au souffle du monstre auquel il est exposé. Victor Hugo, poète messianique, montre que le travail que fournissent les enfants va à l’encontre de la volonté de Dieu et s’apparente à de l’esclavage, ce qui est souligné par l’allitération en [f] : « travail dont le souffle étouffant Défait ce qu'a fait Dieu.» Victor Hugo affirme que l’industrialisation corrompt les qualités humaines : “qui ferait [...] D’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !”. Il y a une forte implication du narrateur, qui donne son jugement et son avis sur la situation : “c’est là son fruit le plus certain !”. Victor Hugo caractérise cette esclavage comme le mal, qui capture l'âme des enfants pour le bénéfice de la société, tout en laissant leur famille dans une misère morale et sociale : “Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre, Qui produit la richesse en créant la misère”. L’enfant est une machine de travail : “Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil !”. Victor Hugo critique l’industrialisation, qui détruit des familles en forçant des enfants, qui se voient obligés travailler du lever du jour à la nuit tombée pour gagner une somme misérable : “Progrès dont on demande : Où va-t-il ? Que veut-il ?”. Les machines consomment l’esprit des enfants, les laissant soit morts, soit brisés et séparés de leur jeunesse : “Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l’homme !”. Il y a une allitération en [m], montrant le besoin d’amour chez les enfants, confrontés à la séparation qu’impose travail forcé : “ ce travail, haï des mères” , “maudit”, “comme”, “blasphème”, “même”, “homme”, “mères”, “nom”. Le registre pathétique est encore utilisé à travers l’apostrophe “Ô Dieu!”. Victor Hugo termine son poème en utilisant un argument politique, prônant la liberté individuelle et dénonçant l’esclavage des enfants dans une gradation ascendante : “Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux”. Selon Victor Hugo, le travail choisi délibérément par un adulte, le rend libre et heureux, contrairement au travail forcé qui aliène et détruit.
Écrire commentaire