Commentaire composé sur Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand acte V scène 6, La mort de Cyrano

Commentaire composé sur Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand acte V scène 6, La mort de Cyrano

I. Le tragique

 

Le texte que nous analysons ici s'inscrit pleinement dans la tradition du tragique, tant par les thèmes abordés que par la structure des vers. Dès le vers 1, l'exclamation de Roxane, "Je vous aime, vivez !", révèle sa lutte désespérée contre le destin. Cette déclaration d'amour est abrupte, rompue en plein milieu de l'alexandrin, ce qui souligne l'émotion débordante de Roxane face à l'inévitable tragédie. Cependant, Cyrano la rappelle rapidement à la réalité tragique, lui disant que leur histoire ne peut les codes d'un conte de fées : "Non! car c'est dans le conte Que lorsqu'on dit : Je t'aime ! au suivre prince plein de honte, Il a envoyé sa laideur fondre à ces mots de soleil..." (v.1-3). 

La laideur de Cyrano est au cœur de sa tragédie personnelle, comme en témoigne son aveu : "Mais tu t'apercevrais que je reste pareil" (v.4). Malgré l'amour de Roxane, il sait qu'il est irrémédiablement marqué par son apparence, une tare dont il ne pourra jamais se libérer. Ce complexe de Cyrano est renforcé par le thème de la culpabilité, que l'on retrouve chez Roxane, qui s'exclame : "J'ai fait votre malheur" (v.5). Cette culpabilité est répétée avec insistance par l'utilisation du pronom personnel "moi !" (v.6), qui met en lumière son sentiment de responsabilité dans le destin tragique de Cyrano.

Le dialogue entre les deux personnages révèle également une souffrance intime, celle de Cyrano face à l'absence d'amour tout au long de sa vie. Il confesse n'avoir jamais été aimé, ni par une amante, ni même par sa propre mère : "Ma mère Ne m'a pas trouvé beau" (v.7). Cette phrase, placée en contre-rejet, souligne la profonde solitude de Cyrano, qui se désole également de n'avoir jamais eu de sœur, ni d'être aimé par une femme de peur des moqueries : "Plus tard, j'ai redouté l'amante à l'œil moqueur" (v.8). Tout au long de sa vie, il a donc fui l'amour, jusqu'à ce qu'il trouve en Roxane, du moins, "une amie" (v.9), qui lui permet d'atténuer un peu sa solitude.

Dans les derniers instants de Cyrano, la résignation face à la mort devient palpable. Le recours au passé composé, "à passé" (v.10), montre qu'il considère sa vie comme achevée, et qu'il accepte la fin imminente. Il voit sa mort venir, tout comme Roxane qui, dans un ultime cri de désespoir, s'exclame : "Je n'aimais qu'un seul être et je le perd deux fois ! " (v.12), évoquant ainsi la double perte de Cyrano, d'abord lorsqu'elle entre au couvent, puis maintenant qu'il meurt sous ses yeux. Ce moment est marqué par un resserrement tragique du temps, comme le montre l'expression "Elle vient" (v.22), où la mort, personnifiée, arrive avec une inévitable certitude.

Enfin, Cyrano, fidèle à son caractère héroïque, lutte contre le destin jusqu'à ses dernières secondes. Bien qu'il sache que la mort est inévitable, il tente encore de se dresser contre elle, comme lorsqu'il évoque « cette Camarde » (v. 26), la personnification de la mort. Même en mourant, Cyrano reste obsédé par son nez, symbole de sa souffrance et de sa condition tragique. Le combat qu'il mène, bien qu'il sache qu'il est perdu d'avance, est le dernier acte de résistance d'un héros tragique

 

II. La poésie

 

La poésie occupe une place centrale dans le discours de Cyrano, qui utilise constamment les mots pour transcender sa condition et élever sa situation tragique à un niveau plus noble. Dès le vers 4, lorsqu'il évoque "sa laideur [qui] fond à ces mots de soleil", Cyrano montre le pouvoir performatif du langage : par la poésie, il parvient à se sentir aimé par Roxane, malgré son apparence. La poésie devient ainsi un refuge, un moyen de sublimer sa réalité douloureuse.

Cyrano exprime également sa gratitude à Roxane de manière poétique en évoquant une "robe" (v.10), métonymie représentant la femme. Cette image poétique désexualise la relation, en la rendant élégante et sensuelle par la grâce du tissu, symbole de raffinement. Plus tard, lorsqu'il évoque "le clair de lune" (v.11), la lune devient un symbole récurrent de la poésie et de la beauté cachée. La lune, présente dans la scène du balcon, est à nouveau un témoin de ses derniers instants, représentant l'aspect poétique de sa vie. Elle apparaît la nuit, dissimulant ainsi la laideur de Cyrano et devenant un compagnon bienveillant.

Le thème de la mort est abordé avec une grande finesse poétique, notamment lorsque Cyrano parle de « rayon de lune [qui] vient me prendre » (v.14). Ce vers suggère une mort douce et apaisée, une manière pour Cyrano de protéger Roxane de la douleur. De plus, il insiste sur la dignité avec laquelle il souhaite affronter sa mort, évoquant "le grand froid [qui] prendra [ses] vertèbres" (v

La poésie culmine dans les derniers instants de Cyrano, où il utilise des métaphores élégantes pour décrire son départ : "Je me sens déjà botté de marbre, Ganté de plomb" (v.22-23). Les bottes, symboles de son passé militaire, et les gants, signe de sa noblesse, témoignent de son désir de conserver son identité jusqu'à la fin. Cyrano s'efforce de mourir debout, épée à la main, pour défendre son honneur une dernière fois. Cette mort est empreinte de lyrisme, renforcée par un rythme haché et une poésie épique qui se termine par le mot « panache » (v.40), symbole de bravoure et de noblesse. Même dans ses derniers souffles, Cyrano réussit à donner une portée poétique à sa mort, transformant son destin tragique en une épopée pleine de grandeur.

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