Commentaire composé sur la fable de La Fontaine Les membres et l'estomac
Les Membres et l’Estomac est une fable écrite par La Fontaine en 1650. La France connaît à cette période la Fronde, mouvement mené par les parisiens mécontents du pouvoir Royal. Colbert, le ministre des finances demande au peuple de trop grandes taxes et est menacé. Louis XIV qui est au pouvoir tente d’apaiser le climat. Il est réputé pour être un mécène des arts et semble approuvé par La Fontaine dans cette fable contrairement à la plupart des autres publiées pour le discréditer. La Fontaine laisse transparaître une crainte de nouvelles révoltes.
Cette fable est inspirée d’Esope, auteur grec, notamment de l’oeuvre “Le ventre et les Pieds”.
Mais en quoi cette fable montre-t-elle la nécessité de la monarchie mais aussi ses travers ?
Et en quoi cette fable est-elle représentative de l’apologue ?
Nous verrons dans un premier temps la forme originale de la fable pour ensuite étudier son aspect apologie classique.
I) Une fable originale
1) Des protagonistes inhabituels
Cette fable de La Fontaine se distingue des autres par les personnages principaux de l'histoire : en effet il n’est pas question d’animaux ou de plantes anthropomorphes mais ce sont des membres du corps. Ils sont caractérisés par l’estomac, les jambes, le coeur, les bras. Cette fable a un aspect anatomique et énumère les membres un à un. Cela accentue un effet de symbiose : nous sommes conscients que le corps marche en entier contrairement à d’autres fables dans lesquels les personnages n’étaient pas complémentaires. Ces membres représentent la société et en particulier montrer que les nobles ne peuvent pas vivre sans le peuple car ils sont nourris par le peuple, ne produisent rien.
De plus, ils sont doués de parole “disaient-ils”, “disent”, de raisonner ou même de prendre des décisions “chomons”, “ainsi dit, ainsi fait”.
La Fontaine inclut plusieurs notions comme une référence historique pour appuyer son propos avec Ménélus, qui désigne la Royauté directement et emprunte l’expression “Messer Gaster” à Rabelais désignant en latin le ventre, l’estomac.
De plus, cette fable cite à travers un récit toutes les classes sociales : la Royauté, les Marchands, les Magistrats, le Laboureur…
Il introduit une notion de respect à l’égard des travailleurs.
2) La construction atypique de la fable
Le schéma des rimes est très irrégulier : croisées (royauté/ouvrage/côté/image), embrassées (gentilhomme/gaster/air/somme) ou encore suivies (ressent/lassant).
Cela reproduit le côté chaotique de la société de l’époque, où il n’y a pas d’harmonie entre les nobles et le peuple.
On note de même des alexandrins du vers 5-14 (représentation de la noblesse) puis des octosyllabes ou encore un décasyllabe. Le schéma métrique en est complètement bouleversé donnant un aspect dynamique au texte.
Certains alexandrins sont césurés à l’hémistiche (à la moitié) ou d’autres avec des césures plus particulières notamment vers 9 avec plusieurs découpes (3-3-2-4 pieds).
Le plan est lui aussi assez particulier : les vers 1 à 4 constituent une introduction avec une intervention du fabuliste pour justifier l’écriture de cette oeuvre “je devais” ,puis les vers 5 à 20 constituent le récit dans lequel La Fontaine explique les modalités de la mutinerie avec des temps du passé “résolut”, “disait-il”.
Les vers 21 à 23 représentent la morale avec un présent de vérité générale, puis au lieu de suivre la structure habituelle d’une fable, La Fontaine continue son récit après la morale pour ajouter une allégorie du Royaume de France incarnée dans les vers 24 à 32.
La Fontaine finit par appuyer son propos à travers un exemple mené des vers 33 à 44 avec Ménélus.
C’est un argument d’autorité : ça ne peut pas être remis en cause.
L’originalité de la fable est ce que l’on remarque en premier mais certains éléments lors d’une deuxième lecture permettent de constater que cet apologue est avant tout argumentatif comme le reste des fables de La Fontaine.
II) Un apologue classique
1) Une fable qui fait l’apologie du roi
Ambivalence de la fable : le Roi est décrit comme “oisif et paresseux” donc négativement, puis “contribue” donc plutôt positivement.
L’estomac est décrit comme un membre indispensable : sans lui le corps ne peut plus fonctionner malgré le fait qu’il soit “paresseux” : “chaque membre en souffrit”. Cela montre que La Fontaine décrit le Roi comme un mal nécessaire au bon fonctionnement du pays : sans lui ce serait le chaos comme dans le corps et malgré ses excès ou sa langueur il est utile.
Le sujet de plainte qu’est l’inégalité est vite apaisé par un élément de raison majeur : l’affaiblissement général du corps”.
La Fontaine joue ici un rôle de médiateur : il défend et dénigre tout à la fois la Royauté : il dénonce les problèmes mais apaise en montrant par un argumentaire complet qu’il est nécessaire.
La “grandeur royale” est sujet de la plupart des verbes “reçoit et donne”, “fait subsister”, “enrichit”...
2) Mais une fable équivoque : une très grande différence entre le roi et le peuple
Cette fable constitue tout de même une critique : “devais” laisse supposer que La Fontaine a été obligé d’écrire cette fable.
La Fontaine prend la défense du peuple, le prend en pitié “les pauvres gens”.
L’opposition entre le roi et le peuple est marquée notamment dans la rime (gentilhomme/bête de somme) et montre que le roi déshumanise ses sujets.
L’estomac a une fonction mais est le seul à avoir un titre qui provoque un effet comique : “Messer Gaster”. Cette référence renvoie à l'appétit sans fin de l’estomac “notre soin n’aboutit qu’à fournir ses repas”.
Nous pouvons en conclure que La Fontaine fait un parallèle entre le corps anatomique et le corps social : chaque membre correspond à une corporation de métier. Le roi représenté par l’estomac est à la fois décrédibilisé et montré utile : on comprend ici que La Fontaine cherche à plaindre le peuple mais aussi à apaiser les tensions sociales.
Écrire commentaire