Commentaire composé sur Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier, Le spectacle de Pierrot

Commentaire composé sur Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier, Le spectacle de Pierrot

Texte

Enfin glissa lentement, entre les rideaux, la face - sillonnée de rides, tout écarquillée tantôt par la gaieté tantôt par la détresse, et semée de pains à cacheter ! - d'un long pierrot en trois pièces mal articulées, recroquevillé sur son ventre comme par une colique, marchant sur la pointe des pieds comme par excès de prudence et de crainte, les mains empêtrées dans des manches trop longues qui balayaient la piste.

    Je ne saurais plus reconstituer aujourd'hui le sujet de sa pantomime. Je me rappelle seulement que dès son arrivée dans le cirque, après s'être vainement et désespérément retenu sur les pieds, il tomba. Il eut beau se relever ; c'était plus fort que lui : il tombait. Il ne cessait pas de tomber. Il s'embarrassait dans quatre chaises à la fois. Il entraînait dans sa chute une table énorme qu'on avait apportée sur la piste. Il finit par aller s'étaler par delà la barrière du cirque jusque sur les pieds des spectateurs. Deux aides, racolés dans le public à grand'peine, le tiraient par les pieds et le remettaient debout après d'inconcevables efforts. Et chaque fois qu'il tombait, il poussait un petit cri, varié chaque fois, un petit cri insupportable, où la détresse et la satisfaction se mêlaient à doses égales. Au dénouement, grimpé sur un échafaudage de chaises, il fit une chute immense et très lente, et son ululement de triomphe strident et misérable durait aussi longtemps que sa chute, accompagné par les cris d'effroi des femmes.

    Durant la seconde partie de sa pantomime, je revois, sans bien m'en rappeler la raison, "le pauvre pierrot qui tombe" sortant d'une de ses manches une petite poupée bourrée de son et mimant avec elle toute une scène tragi-comique. En fin de compte, il lui faisait sortir par la bouche tout le son qu'elle avait dans le ventre. Puis, avec de petits cris pitoyables, il la remplissait de bouillie et, au moment de la plus grande attention, tandis que tous les spectateurs, la lèvre pendante, avaient les yeux fixés sur la fille visqueuse et crevée du pauvre pierrot, il la saisit soudain par un bras et la lança à toute volée, à travers les spectateurs, sur la figure de Jasmin Delouche, dont elle ne fit que mouiller l'oreille, pour aller ensuite s'aplatir sur l'estomac de Mme Pignot, juste au-dessous du menton. La boulangère poussa un tel cri, elle se renversa si fort en arrière et toutes ses voisines l'imitèrent si bien que le banc se rompit, et la boulangère, Fernande, la triste veuve Delouche et vingt autres s'effondrèrent, les jambes en l'air, au milieu des rires, des cris et des applaudissements, tandis que le grand clown, abattu la face contre terre, se relevait pour saluer et dire :

    "Nous avons, messieurs et mesdames, l'honneur de vous remercier !". 

Alain-Fournier - Le Grand Meaulnes - La pantomime

Commentaire composé

Dans l’extrait qui relate “La pantomime” du Grand Meaulnes, nous remarquons un effet d’attente avec l’utilisation d’adverbe tel que “lentement” ou encore d’expressions comme “entre les rideaux”. De plus, le thème mystérieux de la fête du domaine est évoqué à travers la révélation de l'identité du bohémien.

Ensuite, la transposition de la vie va être mis en avant grâce à l’utilisation d’une syntaxe désarticulée dès la première phrase ce qui représente le mal être du personnage. La détresse vient ensuite embellir l’histoire avec l’utilisation d'onomatopées tel que des cris des chouettes, ululement. Le symbole de la poupée considéré comme étant « visqueuse et crevée » informe les spectateurs que la chère Valentine a disparu. 

Cet extrait montre que Pierrot incarne la dualité de chaque être. En effet, l'omniprésence de champs lexicaux pourtant contraires à l’un l’autre, tel que celui du bonheur et celui du malheur, reflète ce fait. De plus, on notera l’utilisation de rythmes binaires à de multiples reprises révélant l’importance de ce thème : « tantôt par la gaieté tantôt par la détresse ».

Cet extrait du Grand Meaulnes couvre aussi l’importance ainsi que la difficulté de grandir. En effet, l’alternance entre les cris et l’absence de paroles démontrent l'importance de ce thème dans l’extrait. Ici, nous pouvons associer la pièce à de la Pantomime puisque cet extrait parle de l’enfance, une période pendant laquelle on ne parle pas. De plus, il y a une référence à une poupée qui se vide de son bourrage de son dans l’extrait, où le son désigne un résidu de la mouture des grains dont la poupée est remplie pour lui donner sa consistance. Le son est alors associé à un sablier qui lui même représente le temps qui passe, une magnifique métaphore pour un magnifique extrait. Ensuite, nous nous apercevons d’un d’un motif récurrent tel que celui de la chute, tombe est conjugué cinq fois dans ce petit extrait ce qui nous fait comprendre qu’il ne se relève pas, une référence au fait qu’il ne grandit pas qui est un geste rageur vers Jasmin qui veut faire l’homme de 17 ans. Métaphore de l'adolescence.

Pour finir, l’extrait porte le thème de la dimension tragique de notre condition. Ceci peut être observé grâce à l’emploi d’adverbes tels que « vainement » ou encore « désespérément », tous deux sont signes du tragique de la condition humaine. De plus, nous remarquons une absence de sens qu'a la pantomime ce qui reflète l'absurdité de la vie. Enfin, le thème de la chute devient contagieux dans cet extrait comme un effet de dominos puisque Frantz qui est le bohémien commence puis vient le tour des spectateur afin de finir sur des cris de la part de ces derniers. 


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