Commentaire composé sur Alain Fournier, Le grand Meaulnes, l’aventure

Commentaire composé sur Alain Fournier, Le grand Meaulnes, l’aventure

Texte

A une heure et demie de l'après-midi, sur la route de Vierzon, par ce temps glacial, Meaulnes fit marcher la bête bon train car il savait n'être pas en avance. Il ne songea d'abord, pour s'en amuser, qu'à notre surprise à tous, lorsqu'il ramènerait dans la carriole, à quatre heures, le grand-père et la grand'-mère Charpentier. Car, à ce moment-là, certes, il n'avait pas d'autre intention.

    Peu à peu, le froid le pénétrant, il s'enveloppa les jambes dans une couverture qu'il avait d'abord refusée et que les gens de la Belle-Etoile avaient mise de force dans la voiture.

    A deux heures, il traversa le bourg de La Motte. Il n'était jamais passé dans un petit pays aux heures de classe et s'amusa de voir celui-là aussi désert, aussi endormi. C'est à peine si, de loin en loin, un rideau se leva, montrant une tête curieuse de bonne femme.

    A la sortie de La Motte, aussitôt après la maison d'école, il hésita entre deux routes et crut se rappeler qu'il fallait tourner à gauche pour aller à Vierzon. Personne n'était là pour le renseigner. Il remit sa jument au trot sur la route désormais plus étroite et mal empierrée. Il longea quelque temps un bois de sapins et rencontra enfin un roulier à qui il demanda, mettant sa main en porte-voix, s'il était bien là sur la route de Vierzon. La jument, tirant sur les guides, continuait à trotter ; l'homme ne dut pas comprendre ce qu'on lui demandait ; il cria quelque chose en faisant un geste vague, et, à tout hasard, Meaulnes poursuivit sa route.

    De nouveau ce fut la vaste campagne gelée, sans accident ni distraction aucune ; parfois seulement une pie s'envolait, effrayée par la voiture, pour aller se percher plus loin sur un orme sans tête. Le voyageur avait enroulé autour de ses épaules, comme une cape, sa grande couverture. Les jambes allongées, accoudé sur un côté de la carriole, il dut somnoler un assez long moment...

    ... Lorsque, grâce au froid, qui traversait maintenant la couverture, Meaulnes eut repris ses esprits, il s'aperçut que le paysage avait changé. Ce n'étaient plus ces horizons lointains, ce grand ciel blanc où se perdait le regard, mais de petits prés encore verts avec de hautes clôtures. A droite et à gauche, l'eau des fossés coulait sous la glace. Tout faisait pressentir l'approche d'une rivière. Et, entre les hautes haies, la route n'était plus qu'un étroit chemin défoncé. La jument, depuis un instant, avait cessé de trotter. D'un coup de fouet, Meaulnes voulut lui faire reprendre sa vive allure, mais elle continua à marcher au pas avec une extrême lenteur, et le grand écolier, regardant de côté, les mains appuyées sur le devant de la voiture, s'aperçut qu'elle boitait d'une jambe de derrière. Aussitôt il sauta à terre, très inquiet.

Alain-Fournier - Le Grand Meaulnes - L'aventure (extrait)

Commentaire composé

I. Un espace effrayant

1. Le froid et la mort

Dans cet extrait de l’oeuvre “Le Grand Meaulnes” d'Alain Fournier, l’espace dans lequel évolue le personnage semble dangereux. En effet, des thèmes sinistres tels que celui du froid et de la mort sont omniprésents. Nous observons une insistance sur le froid à plusieurs reprises, le froid qui va ensuite devenir un synonyme de mort. L’adjectif “froid” est fréquemment utilisé dans les romans d’aventures puisqu’il représente un moment désagréable dans la vie du héros qui doit passer outre afin de grandir.  Dans l’extrait, le froid pénètre Meaulnes "le froid le pénétrant", "froid, qui traversait maintenant la couverture" ce qui renvoie cette image de la mort et d’un cadavre figé puisque les gens n’entendent rien. Le lieu est alors représenté comme étant un lieu de mort.

 

2. La solitude du héros

De plus, nous observons que la scène se passe en plein jour mais qu’il n’y a personne dans le village, qui est représenté comme étant un pays dans l’extrait : “aussi désert, aussi endormi”. Le narrateur insiste  sur le fait que notre héros soit seul, il part du principe qu’un héros est par définition toujours seul. Plus tard, la notion de risque est mise en avant puisque le héros se retrouve seul avec des animaux. Nous repérons une personnification de la nature, une nature décrite comme étant inhospitalière rendant notre héros encore plus héroïque. La solitude du héros est aussi marquée par le fait que ce dernier finit par complètement se perdre a la fin de l’extrait.

 

II. Un parcours initiatique

1. La progression du héros

Par la suite, le narrateur met en avant le parcours initiatique du héros en mettant en scène sa progression. En effet, nous pouvons nous apercevoir que notre héros perd petit à petit ses repères temporels : au début le narrateur nous indique des temps précis puis commence à donner des approximations au fur et à mesure que le temps passe. Le narrateur nous indique aussi que notre héros prenait  du plaisir au début de la scène mais la peur va peu à peu prendre le dessus sur ses émotions, il ne sait plus où il est et il n’y a personne qui peut l'aider. Ensuite, il cherche à se mettre en contact avec les autres mais sans succès, la personne à qui il demande de l'aide ne le comprend pas. L’utilisation de l’adverbe “enfin” amplifie l'idée d’une recherche vaine. Le héros commence même à avoir des réactions incohérentes, il commence à être inquiet car il ne peut rien faire. La progression du héros est aussi représentée par le fait qu’il soit joyeux au début puis finit par être inquiet à la fin.

 

2. Le passage dans un autre monde

Enfin, le passage dans un autre monde est mis en scène par le narrateur. En effet, nous remarquons des pertes des repères spatio-temporels, ainsi que le fait que notre héros débute son aventure sur la route de Vierzon puis finit par se perdre et n'est pas sûr de la route sur laquelle il se trouve. De plus, il y a un changement explicite dans le texte : "il s'aperçut que le paysage avait changé". Ce changement est annoncé à Meaulnes par le froid qui traverse sa couverture, le froid étant une situation désagréable. Ensuite vient le phénomène de l'hésitation, les faits racontés deviennent incohérents par rapport au personnage de Meaulnes. La route mal empierrée et la jument bloquée renforce l'idée de passage dans un autre monde, route inutilisable, au contraire de la route qu'il utilisait avant sur laquelle la jument de Meaulnes pouvait trotter. Les repères temporels jouent aussi un rôle important dans ce thème, 1h30 au début, 2h00 sur la route de la Motte, puis on ne connaît plus l'heure. Pour finir, le fait que la jument boîte nous confirme que Meaulnes est passé dans un environnement inhospitalier et donc un nouveau monde. 

Cet extrait est donc un passage initiatique, créé afin de faire grandir notre héros malgré lui.


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