Commentaire composé sur Voltaire, La Princesse de Babylone, chapitre 11

Commentaire composé sur Voltaire, La Princesse de Babylone, chapitre 11

De “Ô Muses !” à “vous ferez  grand plaisir à mon libraire, à qui j’ai donné cette petite histoire pour ses étrennes”

 

Introduction

Nous sommes au chapitre XI du conte philosophique La Princesse de Babylone de Voltaire publié en 1768. Voltaire, né en 1694 et mort en 1778, est un philosophe des Lumières, qui, s’est souvent servi du conte philosophique pour dénoncer les travers de la société que ce soit dans le domaine politique, moral, ou religieux. Dans ce conte philosophique, l’auteur met en scène Formosante, une princesse qui va voyager à la recherche de son bien-aimé Amazan et permettre de comparer divers systèmes politiques. Dans l’extrait étudié, le conte vient de se terminer sur une fin heureuse: Formosante et Amazan sont réunis. Vont suivre huit paragraphes, en ajout du conte, où Voltaire va régler ses comptes avec ses contemporains dans un texte polémique. 

 

 

Axe 1: Un discours argumentatif

L’extrait appartient au discours. On relève la présence d’un “je” qui est Voltaire et l’emploi de la 2ème personne regroupant divers personnages réels ou fictifs apostrophés: les Muses (l.2353), Fréron (l.2359). Le passage est en rupture avec le passage précédent: on avait du récit, de la narration à la 3ème personne, un temps incertain alors qu’ici, on se rend compte qu’on est au XVIIIème siècle car Voltaire évoque des noms de contemporains: Fréron (l.2359), “Larcher” (l.2335). Voltaire s’adresse aux muses en les interpellant par des apostrophes “ô muses” (l.2318 et 2330), ou par des adjectifs valorisants “nobles et chastes” (l.2357) ou encore par des périphrases “filles du ciel” (l.2353). Voltaire prétend se situer dans une tradition poétique “qu’on invoque [...] la fin” (l.2318-2319) mais marque par cela même son originalité. Il demande aux muses leur protection: “vous n’en [...] protectrices” (l.2321). Sa demande se fait à l’impératif: “Empêchez” (l.2321), “imposez” (l.2330), “protégez-moi” (l.2358). Voltaire se présente donc comme une victime persécutée par ses ennemis qui attaquent ses oeuvres. Dans un premier temps, l’écrivain proteste contre les suites ou reprises de ses oeuvres qui en déforment le sens : “des continuateurs [...] récit” (l.2321-2323), il passe ainsi pour victime de plagiat. Il se pose aussi en victime de calomnie: il reproche à Fréron les critiques acerbes de ses oeuvres “ne manquez pas [...] athée” (l.2373 à 2375), de faire censurer ses écrits “Tâchez [...] Sorbonne” (l.2375 à 2377). Il reconnaît toutefois que cela lui fait de la publicité: “dites-en [...] lise” (l.2370). On relève un passage pathétique qui accentue la victimisation. Ce registre pathétique concerne le “typographe”, autrement dit le libraire qui est présenté comme “chargé [...] l’encre” (l.2327 à 2329).

 

Axe 2: Les attaques de Voltaire

Le texte prend vite l’allure d’un règlement de comptes. En effet, au début, Voltaire s’en prend à des ennemis anonymes: “des continuateurs téméraires” (l.2322), mais il va rapidement citer des noms sans aucune précaution: “coger” (l.2330), “Larcher” (l.2335), “fréron” (l.2359). Le texte se transforme en véritable réquisitoire contre ses hommes de lettres sans talent ni scrupule. Voltaire va alors utiliser des arguments ad hominem: “détestable Coger” (l.2330), “pédant Larcher” (l.2335), “maître Aliboron” (l.2359). Le philosophe va donc accuser ses ennemis et leur faire différents reproches en utilisant un vocabulaire péjoratif: leur manque de talent et d’honnêteté (“bavarderie” (l.2334), “vilains libelles diffamatoires” (l.2333), “pédant” (l.2335)), leur ignorance (“sans savoir un mot” (l.2335), “il n’a jamais entendu parler de” (l.2350), il croit se sauver” (l.2355)), leur orgueil (“ils ont osé falsifier” (l.2323), “soi-disant jésuite” (l.2359)), leur manque de moralité (“ce libertin de collège” (l.2342), “éloges sur la pédérastie” (l.2353), “cabaret du coin” (l.2361). Du vocabulaire laudatif, élogieux est également présent à la fin de l’extrait quand Voltaire s’adresse à Fréron: “maître” (l.2359), “digne fils” (l.2363)... Mais ce vocabulaire est à valeur ironique: c’est tout le contraire qui doit être compris. Voltaire emploie ici l’antiphrase. Il prête à ses ennemis une vie amoureuse et sexuelle inexistante: “pour avoir [...] aventures” (l.2354). Voltaire est donc calomnieux en accusant de pédophilie ou de bâtardise (l.2363).

 

Axe 3: Un texte provocateur

Ce texte est une provocation car Voltaire, plutôt que de supplier ses ennemis de ménager son oeuvre, leur demande au contraire de ne pas l’épargner. Il montre ainsi qu’il n’a pas peur d’eux et espère même ainsi de la publicité. Voltaire, en 1768, ne craint plus rien: il domine son siècle, il est riche, sa réputation est immense. Publier un tel texte en citant des noms est la preuve de son immunité littéraire. Voltaire critique aussi la religion. La première allusion se trouve à la ligne 2320: “dire de grâces [...] bénédicité”. Ce choix lexical est une provocation humoristique pour l’auteur qui a horreur des rituels. Puis, Voltaire cite différentes sortes de religieux: “un ex-capucin” (l.2325), “des capucins” (l.2326)...Voltaire évoque ici un XVIIIème siècle écrasé par le poids de la religion dont les représentants ont un pouvoir considérable. Le philosophe dénonce ici la pression que la religion exerce sur la littérature. Voltaire se glorifie. Pour lui, il délivre un message juste qui a une valeur didactique et morale pour les lecteurs: “les vérités [...] récit” (l.2322-2323). Il se pose en défenseur des Anciens: “Bélisaire et Justinien” (l.2332). Il prétend avoir fait un voyage qu’il n’a pas fait ailleurs que dans la littérature: “sans avoir voyagé comme moi [...] Tigre” (l.2336-2337). Il se montre respectueux des femmes, dénonce la pédophilie, se vante de ses succès théâtraux. On voit donc ici un auteur sûr de lui en tant qu’homme et en tant qu’écrivain. On remarque que Voltaire manipule l’autodérision en utilisant un ton emphatique avec des hyperboles: “notre incomparable Ninon” (l.2348), “fait rire [...] Ecossaise” (l.2369). Voltaire s’amuse en exagérant ses accusations en particulier en ce qui concerne les moeurs des femmes orientales (l.2343-2344) et les origines de Fréron (l.2363 à 2366).

 

Conclusion :

 

A travers le commentaire de cet extrait, nous avons pu découvrir la manière dont Voltaire, après avoir fini son récit sur la belle Formosante, écrivait un discours argumentatif où après, dans un premier temps, s’être posé en victime, il réglait ses comptes dans une attaque en règle contre Larcher et Fréron directement nommés. L’écrivain s’amuse ici à accuser, attaquer se sachant tout-puissant. Il manipule volontiers l’ironie et l’hyperbole. Ce texte polémique n’est pas le seul dans les écrits du philosophe. Ayant de l’esprit, et de l’énergie combative, Voltaire s’est souvent attaqué à des cibles précises, comme dans le chapitre XVIII du Traité sur la tolérance où il va s’en prendre aux jésuites. 

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