Commentaire composé sur Alphonse de Lamartine, Le vallon (poème entier)

Texte
Alphonse de LAMARTINE
Le vallon
Mon coeur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses voeux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.
Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.
La source de mes jours comme eux s'est écoulée ;
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour :
Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée
N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour.
La fraîcheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne,
M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux,
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s'assoupit au murmure des eaux.
Ah ! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure,
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux.
J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie :
L'oubli seul désormais est ma félicité.
Mon coeur est en repos, mon âme est en silence ;
Le bruit lointain du monde expire en arrivant,
Comme un son éloigné qu'affaiblit la distance,
A l'oreille incertaine apporté par le vent.
D'ici je vois la vie, à travers un nuage,
S'évanouir pour moi dans l'ombre du passé ;
L'amour seul est resté, comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.
Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu'un voyageur qui, le coeur plein d'espoir,
S'assied, avant d'entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment l'air embaumé du soir.
Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ;
L'homme par ce chemin ne repasse jamais ;
Comme lui, respirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l'éternelle paix.
Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne,
Déclinent comme l'ombre au penchant des coteaux ;
L'amitié te trahit, la pitié t'abandonne,
Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.
Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime ;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.
De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore :
Détache ton amour des faux biens que tu perds ;
Adore ici l'écho qu'adorait Pythagore,
Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts.
Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre ;
Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon ;
Avec le doux rayon de l'astre du mystère
Glisse à travers les bois dans l'ombre du vallon.
Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence :
Sous la nature enfin découvre son auteur !
Une voix à l'esprit parle dans son silence :
Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur ?
Commentaire composé
I. L'éloge de la nature
Dans ce poème, Lamartine fait l'éloge de la nature, qui tient un rôle très important. En effet, la nature a plusieurs rôles. Elle a tout d’abord le rôle de refuge, protégeant le poète du monde extérieur, de la société. Lamartine, pour montrer d’avantage le rôle protecteur de la nature, la compare à un “asile”. La nature a sa propre organisation et comme un château fort, protège son peuple avec “ses remparts”, bloquant l’influence de la société. En effet, la nature protectrice entend “Le bruit lointain du monde [qui] expire en arrivant” et isole le poète, qui cherche à reposer “[son] âme, en ce dernier asile”. La nature a aussi un rôle de mère protectrice. En effet, le poète est “Comme un enfant bercé par un chant monotone”. Lamartine intègre dans sa citation “Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure” des mots de sonorités douces pour insister sur la figure maternelle de la nature.
II. Un poème élégiaque (il regrette le passé)
On remarque à la lecture de ce poème qu’il est à la fois lyrique et élégiaque. Le poète fait allusion au passé de nombreuses fois. L'allitération en [s] et en [r] montre que Lamartine a été en difficulté et a souffert. Cette souffrance l'a tellement submergé dans sa vie qu’il pense qu’il n’y a plus d’espoir, que sa vie est terminée “Mon coeur, lassé de tout, même de l'espérance, N'ira plus de ses voeux importuner le sort”. Le poète a l’impression qu’il ne s’est pas montré digne de la mission que Dieu attendait de lui : “mon âme troublée N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour”. Il atteint le bout de sa vie et pense que personne ne se souviendra de lui, qu’il partira comme un être misérable qui n’a rien accompli : “La source de mes jours comme eux s'est écoulée ; Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour”. La mort est selon le poète le destin de l’homme, il passe par une vie monotone et courte pour finalement mourir tout seul : “L'homme par ce chemin ne repasse jamais”, “Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne”, ”Et le même soleil se lève sur tes jours”. Lamartine fait allusion au passé, il était amoureux de Julie très intensément mais malheureusement elle est morte : “L'amour seul est resté, comme une grande image Survit seule au réveil dans un songe effacé”.
III. Le rapprochement entre la nature et Dieu
Tout le poème est construit en référence au psaume 91 : “Celui qui demeure sous l'abri du Très Haut Repose à l'ombre du Puissant. Je dis à l'Éternel: Mon refuge et ma forteresse, Mon Dieu en qui je me confie !” fait écho à : “Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée”. Lamartine étant très croyant rapproche lui, la nature et Dieu : “J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature, A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux”, “Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts” . Le message de Jésus c’est qu’on ne doit pas s’attacher aux choses matérielles car Dieu pourvoira à tous les besoins de l’homme en temps utiles : “Détache ton amour des faux biens que tu perds”. Selon Lamartine, poète romantique, celui qui contemple la nature, voit Dieu, (d’où le titre du recueil : Les Méditations poétiques), “Sous la nature enfin découvre son auteur ! Une voix à l'esprit parle dans son silence : Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur ?”
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