Commentaire composé sur Alfred de Vigny, Les destinées, La mort du loup

Texte
[...]
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
II
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
III
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "
Commentaire composé
Comment et pourquoi le poète renverse-t-il l’image traditionnellement rattachée au loup ?
I) Le loup, un animal humain
a) Le comportement du loup
Au tout début du poème, le loup se comporte paisiblement, il est même assis contre un arbre : “Le père était debout, et plus loin, contre un arbre”. Cela ne correspond pas à l’image traditionnelle du loup. Après, sentant la menace arriver, il décide de se sacrifier en allant attaquer le chien qu’il juge le plus dangereux. Ainsi il domine sa peur pour établir une stratégie de combat. Alors que les chasseurs lui tirent dessus, le loup, qui tient la gorge du chien dans sa gueule, avant de le lâcher, ne témoigne aucune souffrance et meurt en silence.
b) Le symbolisme de l’héroïsme du loup (le romantisme)
Le loup représente le personnage romantique qui est prêt à donner sa vie pour sauver plus faible et vulnérable que lui: “Mais son devoir était de les sauver”. Dans ce texte, le narrateur veut persuader le lecteur, en utilisant notamment le registre pathétique et une ponctuation expressive : “Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles”.
II) Un récit philosophique
a) Comment le narrateur se dissocie progressivement du groupe des chasseurs pour faire la transition entre le récit et la morale ?
Le narrateur assiste à la battue malgré lui, il ne s’implique pas dans l’action et se dissocie peu à peu du groupe des chasseurs. La transition entre récit et morale a eu lieu entre la deuxième et la troisième partie: “J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre, Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre A poursuivre sa Louve et ses fils”. Dans la deuxième partie du poème, la morale est implicite : “De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim, A ne jamais entrer dans le pacte des villes Que l'homme a fait avec les animaux serviles”. La morale devient clairement explicite dans la troisième partie du poème puisqu’il adresse des reproches aux hommes : “Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !”.
b) Les procédés épiques qui traduisent la violence du combat
Le combat est décrit avec le registre épique : “deux yeux qui flamboyaient”, “gueule brûlante”. Il y a aussi le champ lexical de la violence : “n'a pas desserré ses mâchoires de fer”, “ coups de feu qui traversaient sa chair”, “nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles”, “tout baigné dans son sang”.
c) La morale (le stoïcisme)
Le loup a un comportement stoïque face cette mort injuste qu’il accepte dignement et sans se plaindre, contrairement aux hommes qui se lamentent sans cesse pour des choses sans importance. Le poète condamne fermement la faiblesse des hommes qui devraient prendre exemple sur le loup : “Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler, Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.”
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MANDIKOU (mardi, 13 décembre 2022 05:26)
J'ai besoin du commentaire composé de la mort du loup complet