Lecture analytique du poème"Souvenir de la nuit du 4" de Victor Hugo

Lecture analytique du poème"Souvenir de la nuit du 4" de Victor Hugo

Photo by alpay tonga on Unsplash
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Texte

Victor HUGO

1802 - 1885

Souvenir de la nuit du 4

L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.

Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;

On voyait un rameau bénit sur un portrait.

Une vieille grand-mère était là qui pleurait.

Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,

Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;

Ses bras pendants semblaient demander des appuis.

Il avait dans sa poche une toupie en buis.

On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.

Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?

Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.

L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,

Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la lampe.

Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -

Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.

La nuit était lugubre ; on entendait des coups

De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.

- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.

Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.

L'aïeule cependant l'approchait du foyer

Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.

Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides

Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !

Elle pencha la tête et lui tira ses bas,

Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.

- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !

Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !

Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.

Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,

C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre

A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !

On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,

Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !

Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !

Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.

Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.

Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;

Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte

De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -

Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,

Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :

- Que vais-je devenir à présent toute seule ?

Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.

Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.

Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.

L'enfant n'a pas crié vive la République. -

 

Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,

Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

 

Vous ne compreniez point, mère, la politique.

Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,

Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;

Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,

De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,

Ses chasses ; par la même occasion, il sauve

La famille, l'église et la société ;

Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,

Où viendront l'adorer les préfets et les maires ;

C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères,

De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,

 

Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Lecture analytique

Le 2 décembre 1851 Louis Napoléon Bonaparte renverse la seconde république. Il devient Napoléon III. Le peuple et les républicains essayent de résister. Une répression sanglante étouffe la révolte.

 

 

Les vers 1 à 9 ont pour but de scandaliser le lecteur. Le narrateur fait partie des opposants républicains au coup d'état. Il joue dans le poème le rôle de témoin. Les soldats du coup d'état de Napoléon III sont présentés comme des bêtes féroces qui massacrent tout le monde même les enfants. Le narrateur s'adresse directement à la grand-mère de l'enfant assassiné qui représente toutes les mères dont les enfants ont été victimes de cette répression aveugle. L'enfant assassiné de deux balles dans la tête est présenté comme la victime d'un assassinat car une balle pourrait être perdue, mais deux balles sont le signe d'un meurtre. La maison de la grand-mère semble paisible. La toupie est un symbole d'innocence car elle représente les jeux de l’enfance. Dans ce poème l'enfant n'est pas présenté comme dangereux, au contraire de Gavroche qui meurt sur les barricades. La description de la plaie souligne l'abomination de la mort de l’enfant. Cette description, romantique par son horreur et la puissance des émotions qu'elle suscite, est la plus convaincante des argumentations. Comment respecter un empereur qui règne par la terreur et massacre son peuple innocent ? Le narrateur s’adresse directement au lecteur afin de le persuader en faisant appel à ses émotions. La comparaison de la blessure avec une « mûre » qui saigne renforce le pathétique, de même que la précision de l’âge de l'enfant « qui n'avait pas huit ans », ce qui rend sa mort encore plus insupportable puisqu'il n'avait pas atteint l’âge de raison. 

Dans la 1ère partie le poète décrit l’enfant mort, dans la deuxième partie il décrit la réaction de la grand-mère et dans la troisième il critique ironiquement Napoléon III.

L’enfant vient d’une famille pauvre et “honnête” (rime avec “deux balles dans la tête”) ce qui souligne l’injustice de cette mort inacceptable. Ce poème prend la forme d’un tableau représentant la descente de la croix de Jésus avec la description des plaies, la grand-mère qui le prend “sur ses genoux” et la comparaison explicite “il était doux comme un Jésus”. C’était un enfant gentil et bon élève. Les phrases exclamatives montrent l’émotion de la grand-mère et condamnent Napoléon III. Le registre dominant est le registre pathétique (on a envie de pleurer). Dans la troisième partie le registre devient ironique “C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grand-mères [...] Cousent dans le linceul des enfants de sept ans. Les trois accusations portées contre Napoléon III sont : la cupidité (vouloir toujours plus d’argent), le manque d’égards envers son peuple et la cruauté. La description de la grand-mère rend les trois derniers vers encore plus ironiques.


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