Commentaire composé sur Madame du Châtelet - Discours sur le bonheur

Texte
II faut commencer par se bien dire à soi-même et par se bien convaincre que nous n'avons rien à faire dans ce monde qu'à nous y procurer des sensations et des sentiments agréables. Les moralistes qui disent aux hommes : réprimez vos passions, et maîtrisez vos désirs, si vous voulez être heureux, ne connaissent pas le chemin du bonheur. On n'est heureux que par des goûts et des passions satisfaites ; je dis des goûts, parce qu'on n'est pas toujours assez heureux pour avoir des passions, et qu'au défaut des passions, il faut bien se contenter des goûts. Ce serait donc des passions qu'il faudrait demander à Dieu, si on osait lui demander quelque chose [...].
Mais, me dira-t-on, les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d'heureux ? Je n'ai pas la balance nécessaire pour peser en général le bien et le mal qu'elles ont faits aux hommes ; mais il faut remarquer que les malheureux sont connus parce qu'ils ont besoin des autres, qu'ils aiment à raconter leurs malheurs, qu'ils y cherchent des remèdes et du soulagement. Les gens heureux ne cherchent rien, et ne vont point avertir les autres de leur bonheur ; les malheureux sont intéressants, les gens heureux sont inconnus. [...]
On connaît donc bien plus l'amour par les malheurs qu'il cause, que par le bonheur souvent obscur qu'il répand sur la vie des hommes. Mais supposons, pour un moment, que les passions fassent plus de malheureux que d'heureux, je dis qu'elles seraient encore à désirer, parce que c'est la condition sans laquelle on ne peut avoir de grands plaisirs ; or, ce n'est la peine de vivre que pour avoir des sensations et des sentiments agréables ; et plus les sentiments agréables sont vifs, plus on est heureux. Il est donc à désirer d'être susceptible de passions, et je le répète encore : n'en a pas qui veut.
Madame du Châtelet - Discours sur le bonheur
Commentaire composé
I La défense de la passion
a) Le point de vue de l’auteur
“nous n'avons rien à faire dans ce monde qu'à nous y procurer des sensations et des sentiments agréables” : dès le début du texte elle expose sa thèse et défend son point de vue avec la tournure négative.
“On n'est heureux que par des goûts et des passions satisfaites” : Pour elle, on ne peut arriver au bonheur qu’en satisfaisant nos passions. Cela se voit à travers la négation qui pose une condition restrictive.
“je dis des goûts, parce qu'on n'est pas toujours assez heureux pour avoir des passions, et qu'au défaut des passions, il faut bien se contenter des goûts” : L’auteur a un point de vue très féminin sur le bonheur puisque son idéal est la passion. De plus, elle explique que la passion se cultive et que pour atteindre ce but ultime il faut déjà commencer par développer ses goûts. Elle nous livre ici un “mode d’emploi” pratique du bonheur.
b) Les destinataires
“Mais, me dira-t-on, les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d'heureux ?” : On comprend qu’elle s’adresse aux moralistes qui vont la critiquer et anticipe leurs attaques et prépare déjà sa réponse : “Je n'ai pas la balance nécessaire pour peser en général le bien et le mal qu'elles ont faits aux hommes”.
“Les gens heureux ne cherchent rien, et ne vont point avertir les autres de leur bonheur” : Ici, elle s’adresse encore une fois à ceux qui vont critiquer son essai. Elle répond à la question “Pourquoi on ne voit pas des hommes heureux”.
“les malheureux sont intéressants, les gens heureux sont inconnus.” : Elle reproche aux moralistes de ne s’intéresser qu’aux malheurs et de dépeindre l’homme comme misérable.
II Un texte des lumières
a) Une critique des moralistes
“Les moralistes qui disent aux hommes : réprimez vos passions, et maîtrisez vos désirs, si vous voulez être heureux, ne connaissent pas le chemin du bonheur” : Elle attaque les moralistes et les perçoit comme insensibles et froids.
“Ce serait donc des passions qu'il faudrait demander à Dieu, si on osait lui demander quelque chose [...]” : Elle reproche aux moralistes d’avoir utilisé et déformé la religion dans le but de terroriser les gens qui ont fini par se refuser tout plaisir par peur de brûler en enfer.
“mais il faut remarquer que les malheureux sont connus parce qu'ils ont besoin des autres, qu'ils aiment à raconter leurs malheurs, qu'ils y cherchent des remèdes et du soulagement” : Elle critique le fait que les moralistes, en culpabilisant sans cesse les gens, les ont rendus dépendants de leurs confesseurs chez qui ils couraient pour demander l’absolution de tous leurs péchés.
“On connaît donc bien plus l'amour par les malheurs qu'il cause, que par le bonheur souvent obscur qu'il répand sur la vie des hommes.” : Elle explique que les moralistes ne sont pas capables de parler de bonheur car ils ne le connaissent pas du fait qu’ils s’en sont eux-mêmes privés en le condamnant.
b) Une défense du plaisir (de l’épicurisme)
“Mais supposons, pour un moment, que les passions fassent plus de malheureux que d'heureux, je dis qu'elles seraient encore à désirer, parce que c'est la condition sans laquelle on ne peut avoir de grands plaisirs” : Même si les passions faisaient plus de malheureux que d’heureux, elles vaudraient encore mieux qu’une vie sans plaisir car elles sont le seul chemin vers le bonheur. L’auteur a une vision épicurienne du bonheur puisqu’il passe par le plaisir : “or, ce n'est la peine de vivre que pour avoir des sensations et des sentiments agréables”.
“et plus les sentiments agréables sont vifs, plus on est heureux” : Il faut chercher l’excès dans le plaisir afin d’atteindre l’idéal du bonheur.
“ Il est donc à désirer d'être susceptible de passions, et je le répète encore : n'en a pas qui veut” : Le fait de ressentir du plaisir est une faculté qui peut se développer par l'entraînement. De plus, le plaisir ne vient pas à tous ceux qui le désirent. Il faut travailler à le ressentir et à le rechercher.
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